«Un désir de combler un vide dans la création littéraire marocaine»

Nadia Ayoub, écrivaine, poète et peintre

Propos recueillis par Najib El Amrani

Native de Fès, Nadia Ayoub est agrégée de lettres et antérieurement formatrice dans les centres de préparation à l’agrégation des écoles normales supérieures de Meknès et de Rabat, où elle a enseigné la littérature, la stylistique et la grammaire. Après une retraite anticipée de la fonction publique, elle a poursuivi sa fonction dans le privé, en tant qu’enseignante dans les classes préparatoires aux grandes écoles. Installée en Espagne, elle se consacre à la peinture et à l’écriture. Elle a sorti en 2019, son premier roman, « Pérégrinations » aux éditions Marsam 1. Un récit à la deuxième personne du singulier qui retrace les errements d’une femme divorcée, qui entre dans la vie quotidienne avec les illusions de la novice qui n’a gardé du son expérience conjugale que quelques échos lointains et qui se heurte de façon et blessantes à la réalité des relations amoureuses.  Interview

Une première question toute simple, qui est Nadia Ayoub et qu’est ce qui la fait courir ?

Laissez-moi, pour commencer, vous remercier pour l’intérêt que vous portez à ma personne et à mon œuvre…La réponse à la question toute simple, comme vous dites, de qui je suis est, je dirais, d’une complexité insurmontable ! Je pourrais y répondre  de façon sommaire en disant que je suis une marocaine lambda qui, en touchant à la cinquantaine, a développé quelques vocations qui n’étaient pas intégrées à son plan d’éducation initial, ou alors parler sans les épuiser des différentes casquettes sous lesquelles je pourrais me mettre, et dire que je suis à la fois enseignante, pédagogue, femme engagée, à la parole toujours sincère ( mes amis pourront le confirmer) ,artiste un peu fantasque, écrivaine  passionnée, pour elle-même et pour les autres, peintre et sculptrice à ses heures perdues, devenues plus importantes que les heures gagnées finalement….et j’ai arrêté de courir en fait !

«Pérégrinations » est votre premier roman où vous semblez faire le procès des faux couples, des relations conjugales déséquilibrées, infondées, fades… Existe-t-il un parti pris derrière ce choix ?

A priori, quand on écrit, c’est sur la base d’un ou de plusieurs partis pris. « Pérégrinations » est né d’un désir de combler un vide dans la création littéraire marocaine, en abordant un sujet qui pourrait paraître mineur, voire léger, et qui pour cette raison peut-être est négligé, qui est celui des relations amoureuses, et de la quête de l’amour. On a tendance à aborder les questions de couple par le biais des injustices, des brimades et des inégalités, mais bien plus rarement, à ma connaissance, selon la perspective de la quête amoureuse en elle-même, comme si cela était trop léger pour justifier un roman. Quoique… ! Ce roman n’est pas un roman d’amour à proprement parler, c’est l’histoire d’une femme, mère de famille, qui solde une relation conjugale désastreuse par un divorce, bien après la quarantaine. La possibilité de refaire sa vie ne pose presque jamais de problème pour un homme, quel que soit son âge, et là où il est, on va dire anodin de célébrer l’union d’un vieillard avec une jouvencelle, une femme d’un certain âge, sans être sénile, se heurte à des difficultés insurmontables si jamais elle s’avise de vouloir s’octroyer le même type de droit. Si de surcroît elle est mère de famille, le pari est loin d’être gagné ! Mon livre parle finalement beaucoup moins de ce qui se passe au sein d’un couplé que des difficultés à en construire un qui ne soit pas boiteux, que l’on ne prenne pas comme plan de la dernière chance.

Vous êtes une artiste accomplie, mais on n’arrive toujours pas à vous situer à l’instar des auteurs classiques, vous êtes une idéaliste, rêveuse ou plutôt un témoin qui restitue les maux de la société « avec des mots « au ton léger et décapant », comme le souligne Jean Zaganiaris ?

Est-ce si important de pouvoir intégrer un classement ? Je vous dirais ce que j’avais répondu à quelqu’un qui m’avait dit un jour sur un ton moqueur si j’avais la prétention de devenir le nouveau Voltaire, ou un autre Hugo : Jamais je n’aurai la prétention de me comparer à aucun de ceux qui ont gagné tous les suffrages, ni même à ceux qui luttent encore pour en gagner. Je ne fais rien pour ressembler à quelqu’un, je ne cherche pas à m’inscrire sur une ligne déjà répertoriée et homologuée, je me contente de suivre le flux spontané de mes propres élans créatifs. Je ne dirais pas non plus que ce que je fais est unique, ce serait trop gros. Nous subissons tous des influences multiples qui nous construisent, nous façonnent, et font que notre manière d’être est à la fois semblable et différente de nos prédécesseurs. Mais je sais qu’en disant cela je ne vous apprends rien de nouveau. En revanche, ce que je peux dire avec certitude, depuis le temps que je me fréquente, c’est que je n’aime pas me limiter à un genre ou à un style. J’aime les expérimenter tous, et ils conviennent tous au foisonnement que je ressens en moi. Je ne sais si c’est bien ou mal, mais c’est ma façon d’être et de m’exprimer de la façon la plus spontanée et aussi la plus légère qui soit. Le tragique n’a jamais été un genre pour moi, de toute façon.

Chez Nadia la peintre, la femme, ou plutôt le corps féminin occupe tout l’espace, il est au centre, il est entier, sans fard et sans retouches, il est pour ainsi dire naturel et beau. Serait-il le centre du monde ?

Maintenant que vous le dites, je me rends compte, en effet que le corps féminin est au centre de mes peintures. On y trouve une grande diversité de formes et de couleurs. Mes « femmes » reflètent différents états du féminin, avec une palette assez intéressante des préoccupations liées au corps dans l’espace public. Trop visible, pas assez, trop vieux, trop fardé, trop mince, trop rond -rondeurs qu’ils faut absolument cacher faute de pouvoir les faire disparaître, mais qui deviennent objet de fierté dans la seule situation valorisante reconnue pour la femme qu’est la maternité. Pourtant, il n’y a, à mon sens, rien de plus naturel qu’un corps féminin dans tous ses états, rien de plus beau quand on le laisse non pas s’exprimer dans l’extravagance, mais simplement être lui-même, sans avoir à le voiler comme une chose honteuse, ni à l’exhiber de façon théâtrale ! Qui aurait l’idée saugrenue de voiler un bel oiseau aux couleurs chatoyantes, ou de lui ajouter de la couleur pour l’embellir – pas gagné- davantage ? Ce serait tout aussi absurde de contraindre le corps féminin par des actions du même type !

Ces temps sombres de pandémie ont-ils un impact sur votre vision des choses ? 

Assurément ! Le premier enseignement que l’on peut tirer de cette situation inédite est qu’il est possible de vivre dans la sobriété́ et le dépouillement d’une vie sans loisirs et sans sorties. J’ai compris qu’à tout moment, un individu peut mettre sa vie en pause pour reconsidérer ses priorités, pour recalculer ses motivations et ses positionnements. D’un autre côté, je peux dire que j’ai toujours été captivée par la démonstration pascalienne relative aux deux infinis ! De pouvoir l’expérimenter dans son quotidien, à travers des angoisses réelles et tangibles est quelque chose d’inédit ! On prend ainsi la mesure de nos vulnérabilités, de notre impuissance face à ce que nous ne comprenons pas très bien, mais nous apprenons aussi à nous dépasser, à nous challenger, à rompre avec nos plis et avec notre ramollissement ! On devient conscient et proactif à travers nos gestes du quotidien ! On réfléchit techniquement à la gestion des tâches les plus anodines, comme de porter un masque, de faire ses courses, on invente de nouvelles manières de garder ou de tisser des liens sans être dans une situation de promiscuité́… Avant la pandémie, on ne se rendait pas compte de tout cela. La pandémie nous a transformés !

Al Bayane

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