Sionisme, antisionisme et antisémitisme
Mokhtar Homman
Nous avons présenté une situation de tension maximale au niveau régional et au niveau mondial. Que ce soit en Ukraine ou en Palestine, il y a des incertitudes sur la direction que vont prendre les conflits. Le Royaume-Uni avec l’Union Européenne en Ukraine et Israël au Proche-Orient poussent à la guerre. Dans ce contexte, la question qui se pose est quel avenir se présente pour la cause palestinienne.
Pour analyser les issues possibles de la situation extrêmement dramatique et potentiellement dévastatrice que connaît le Proche-Orient nous devons tout d’abord examiner le rapport des forces en présence au niveau régional et mondial et donc quels sont les leviers pour réaliser d’abord une accalmie, un cessez-le-feu durable, ensuite une issue diplomatique et politique juste.

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Le rapport de forces
Nous faisons ci-après une évaluation qualitative, et non quantitative, des principales forces et faiblesses de chaque camp. Par le signe + nous signifions point en faveur des droits du peuple palestinien et de la paix, par le signe – point en faveur du sionisme et de la guerre.
- Israël
– Le soutien massif militaire (y compris la présence de militaires occidentaux), diplomatique et financier de l’Occident, principalement des États-Unis, via la plupart des dirigeants et grands médias.
– La domination sioniste de la politique étrangère de l’Union Européenne (à l’opposé des opinions publiques européennes).
– La population israélienne juive fanatisée par l’extrême droite/ultra droite raciste et les extrémistes religieux, lobotomisée par une propagande massive basée sur la peur, le rappel de la Shoah, l’exacerbation des mythes sionistes.
– La faiblesse de la gauche israélienne non sioniste, de nos jours groupée principalement autour du parti Hadash, 5 députés à la Knesset, et du camp de la paix israéliens ; même la gauche sioniste, l‘autrefois puissant parti travailliste, n’a que 4 députés à la Knesset, le Meretz aucun (1), tous deux en voie de fusion.
+ Les manifestations pour le retour des otages et prisonniers contre Netanyahou.
+ L’isolement d’Israël et des États-Unis au niveau international, ce dernier pouvant éventuellement prendre conscience de leur divergence d’intérêts.
+ La distanciation avec la « diaspora » juive, tant politiquement que financièrement, en raison du génocide ; une grande partie de cette « diaspora » refuse être complice ; un sondage récent a montré que les jeunes américains juifs sympathisent à 37% avec le Hamas et 42% considèrent qu’Israël commet un génocide à Gaza (2).
+ Le développement de l’embargo d’armes par les pays du Sud global (et des tentatives d’interdiction d’exportation d’armes en Occident, comme au Canada et aux Pays-Bas) et la suspension du transit d’armes vers Israël par certains pays (Irlande, Espagne, Portugal).
+ L’accentuation du mouvement BDS – Boycott Désinvestissement Sanction – dans le monde, et des actions de la Fondation Hind Rajab portant plainte devant des tribunaux européens contre les soldats israéliens coupables de crimes de guerre ; Hind Rajab était une petite fille de 6 ans assassinée par l’armée sioniste le 29 janvier 2024 alors qu’une ambulance, elle aussi attaquée, devait aller la récupérer avec autorisation israélienne.
+ L’émigration peut être définitive de nombreux Israéliens (actuellement environ 6% des Israéliens juifs ont quitté Israël pour une longue période).
+ La crise économique en raison de la mobilisation militaire prolongée ne pouvant plus être palliée par les aides financières occidentales.
+ La profonde division, sauf sur la question palestinienne, de la société israélienne sur la réforme de la Justice, sur la non-conscription des étudiants ultra-orthodoxes.
+ Les fractures culturelles selon l’origine européenne ou non européenne des Israéliens juifs.
+ L’enquête sur les évènements du 7 octobre et la mise en lumière des négligences (le chef d’État-Major a déjà démissionné) et peut-être la mort de civils israéliens par l’armée israélienne.
+ Le choc produit par la perception de la réalité à Gaza lors du cessez-le-feu et le retour des prisonniers israéliens, révélant les mensonges du gouvernement et l’échec de sa stratégie génocidaire ; ce qui pourrait entraîner des développements politiques importants.
+ Le procès Netanyahou en Israël (en cours et à terme de mandat) et espérons-le à la CPI.
- Palestine
+ Le peuple uni et résistant.
+ L’appui international croissant (Chine, Russie, Asie, Afrique, Amérique Latine, Sud global, certains pays de l’UE).
+ Le basculement en faveur du peuple palestinien des opinions publiques occidentales.
+ Le soutien des peuples arabes et musulmans.
+ L’obligation des dirigeants arabes, sous pression populaire, à réagir face à la menace de l’expulsion des Palestiniens de Gaza.
+ Le droit international, résolutions de l’ONU, de la CIJ, de la CPI.
+ Le soutien diplomatique international en forte croissance, marqué par les reconnaissances de l’État palestinien.
– Les divisions palestiniennes (Fatah/Hamas) non encore cicatrisées.
– La faiblesse de l’Autorité Palestinienne.
– La faiblesse potentielle du soutien des dirigeants arabes et musulmans (voire la complicité avec Israël : Azerbaïdjan, Kurdes, double jeu de la Turquie qui permet l’acheminement du pétrole azéri vers Israël et converge avec le sionisme en Syrie, peut-être avant un affrontement).
– L’influence des États-Unis dans les budgets de l’Égypte et la Jordanie.
– La présence de bases militaires des États-Unis dans des pays arabes du Golfe, en Syrie et en Irak.
– La faiblesse du Liban, du Soudan, la division en Libye.
– L’implosion de la Syrie et les risques associés.
- Affrontement hégémonie occidentale/Sud global
+ Le développement des BRICS en tant qu’alternative multipolaire et non hégémonique au système dominé par les États-Unis et le dollar.
+ La dé dollarisation croissante des échanges commerciaux en faveur des pays dits du « Sud global » et en défaveur des États-Unis.
+ La réduction progressive de la domination économique occidentale en Asie, en Afrique, en Amérique Latine à la faveur des coopérations mutuellement avantageuses avec les pays des BRICS, notamment avec la Chine.
+ La crise économique et récession rampante des économies occidentales, affaiblissant leur potentiel belliciste.
+ L’attachement de la grande majorité des pays au droit international, à l’ONU et ses organisations, dont la CIJ.
– L’agressivité accrue de l’impérialisme qui a recours aux peuples (Ukraine, Taïwan pour la période récente) comme chair à canon pour consolider son hégémonie.
– La multiplication des tentatives de changement de régime (Géorgie), les manipulations électorales (Roumanie), les menaces et sanctions (Cuba, Venezuela).
– Les risques de guerre majeure au Proche-Orient, en Europe, en mer de Chine, aux développements incalculables.
C’est un bilan contrasté, qui ne dessine pas une issue dans un sens ou dans l’autre. Cependant il montre une composante dynamique positive que les progressistes et les partisans de la paix et la justice en Palestine doivent saisir pour renforcer leur combat.
Nous allons examiner les scénarii potentiels à court, moyen et long termes (ces deux derniers dans le prochain article) en nous basant sur l’histoire de ces trente dernières années, des forces en présence et du rapport de forces élaboré supra.
Le facteur américain frappe toujours deux fois
Après le soutien militaire inconditionnel de l’administration Biden au génocide à Gaza, le cessez-le-feu imposé par le nouveau président des États-Unis à Netanyahou transmet un flou sur ses intentions par rapport à la question palestinienne. D’une part il s’est opposé à la politique génocidaire de Netanyahou et ses acolytes extrémistes. Mais peu après il a proposé de faire partir un million et demi de Gazaouis en Égypte ou en Jordanie, chaudement félicité par le ministre Smotrich. Ce qui est le même objectif sioniste par d’autres méthodes.
Pendant son premier mandat Trump avait transféré l’ambassade américaine à Jérusalem et reconnu l’annexion de Jérusalem-Est et des hauteurs du Golan comme faisant partie d’Israël. D’autre part son Gouvernement comprend pratiquement que des ultra-sionistes. Le lobby sioniste aux États-Unis est toujours aussi puissant, les chrétiens sionistes toujours aussi influents. Est-il raisonnable de penser qu’il changerait d’une politique pro sioniste ?
Le cessez-le-feu à Gaza, suite à l’accord intervenu sur médiation des États-Unis, de l’Égypte et du Qatar (3) et par la pression de Trump sur Netanyahou, a des perspectives très incertaines. Il se décompose en trois étapes et il est manifeste qu’Israël cherche à violer l’accord dès la fin de la première phase, en refusant de négocier dans les délais la deuxième phase, en poursuivant les assassinats à Gaza et en Cisjordanie. Sa transformation en une paix durable dépend de plusieurs éléments. L’un d’eux est l’entrée en crise d’Israël.
Israël en crise
Cette crise démarre par l’épuisement d’Israël sur les plans militaire et l’impossibilité d’une victoire militaire, alors que l’armée israélienne a subi officiellement plus de 400 soldats morts et des milliers de blessés graves, incapable de tenir face à l’incessante résistance à Gaza. Sur le plan économique Israël traverse une grave crise, suite à la mobilisation militaire massive et une émigration forte privant de forces de travail, en y ajoutant le coût des populations du nord et d’autour de Gaza déplacées.
Les images de Gaza après le cessez-le-feu au moment de la libération des otages ont montré que la résistance est toujours là, qu’elle n’a pu être détruite contrairement aux promesses de Netanyahou. « Hamas est en meilleure position pour contrôler les affaires civiles à Gaza et graduellement reconstruire sa force militaire » (4). C’est une défaite politique pour Israël.
La libération des soldates israéliennes, souriantes et en bonne santé, sous une parfaite organisation et démonstration de force de la résistance palestinienne a provoqué un choc dans la presse et l’opinion publique israélienne. Celle-ci manifeste pour la libération des otages et prisonniers israéliens, contre Netanyahou.

Manifestation à Tel-Aviv pour la libération immédiate des otages et prisonniers, 15 mars 2025 (source : Dana Reany / Pro-Democracy Protest Movement).
Ces images et interrogations pourraient créer une crise politique majeure en Israël. Car les sujets de mécontentement ne manquent pas contre Netanyahou : le procès en cours de Netanyahou pour corruption, une potentielle enquête sur les défaillances le 7 octobre, l’indifférence du Gouvernement extrémiste à l’égard des « otages », la reprise des manifestations contre les réformes judiciaires. Ajoutons à cela l’évolution des mandats d’arrêt de la CPI contre Netanyahou. La coalescence de tous ces facteurs pourrait provoquer la chute du Gouvernement de Netanyahou et l’arrivée, très peu probable, de dirigeants israéliens modérés, éventuellement via des pressions occidentales.
L’opposition à la reprise du génocide et au nettoyage ethnique
Les résolutions de la CIJ et la CPI menacent les dirigeants occidentaux d’être accusés de complicité. La pression des opinions publiques occidentales réduit leur soutien public au génocide. Les États-Unis pourraient prendre conscience de leur affaiblissement international en raison de leur soutien et complicité dans le génocide israélien à Gaza.

Photo de famille des dirigeants arabes réunis au Caire pour un sommet sur Gaza, le 4 mars 2025 (sources : Présidence égyptienne, AFP).
Une hypothétique fermeté arabe à l’image de la réduction de la production du pétrole arabe en 1973, constituerait assurément un point fort en faveur de la cause palestinienne. Les résolutions pour la reconstruction de Gaza en refusant l’expulsion des Palestiniens lors du Sommet du Caire le 6 mars et celui au niveau ministériel de l’OCI à Djeddah le 14 mars sont des pas positifs qu’il faut renforcer. La proposition des États-Unis pour faire de Gaza une « Riviera » en expulsant les Palestiniens a reçu une opposition frontale mondiale excepté Israël.
Enfin les Accords d’Abraham, et les accords Israël-Égypte et Israël-Jordanie, peuvent se transformer en force de pression sur Israël.
La fuite en avant sioniste ?
À contrario, la nécessité pour Netanyahou de maintenir la tension pour préserver son pouvoir et ne pas avouer un échec peut le pousser à faire des provocations et trouver des prétextes pour relancer sa sale guerre à Gaza ou en Cisjordanie. Lors de son discours au Congrès américain en Juin 2024, il déclarait : « la guerre à Gaza pourrait prendre fin demain si le Hamas capitule, désarme et restitue tous les otages. Mais s’il ne le fait pas, Israël combattra jusqu’à ce que nous détruisions les capacités militaires du Hamas et son pouvoir à Gaza et que nous rapatriions tous nos otages. C’est ce que signifie une victoire totale, et nous ne nous contenterons de rien de moins » (5). Le cessez-le-feu, tel qu’il se présente officiellement, serait alors une défaite complète pour Netanyahou.
Il ne faut pas exclure la fuite en avant des dirigeants israéliens, enhardis par l’implosion de la Syrie, vers le déclenchement d’une guerre régionale, notamment contre l’Iran, ce qui risque de provoquer une guerre généralisée au-delà du Proche-Orient. Toutefois la riposte iranienne aux provocations israéliennes a montré qu’une attaque contre l’Iran pourrait être suicidaire pour Israël (6). La signature d’un traité stratégique entre la Russie et l’Iran le 17 janvier 2025 peut avoir un effet dissuasif.
La ligne de crête
À court terme donc la situation est sur une ligne de crête. Elle peut évoluer vers le pire si Netanyahou s’assure de l’appui des États-Unis, ce qui n’est pas exclu, pour poursuivre sous d’autres formes son agression, voire lancer une guerre régionale. Mais elle peut aussi évoluer vers une stabilité durable qui permette l’évolution de la question palestinienne en sa faveur sur le plan diplomatique mondial.
Mais au-delà du court terme, incertain, qui peut dépendre de facteurs conjoncturels favorables ou défavorables, il faut analyser les perspectives à moyen et long termes qui se basent sur les facteurs constitutifs du conflit. Et là les options et leurs probabilités sont plus claires.
Mokhtar Homman, le 14 mars 2025
Demain : XXVIII – L’avenir se décide maintenant
Notes
- What is the duty of the Israeli left in a time of genocide? +972 Magazine, 3 Janvier 2025.
- US Jewish teens likely to criticize Israel, sympathize with Hamas – The Jerusalem Post, 23 Novembre 2024. Ce sont de jeunes mineurs, mais cela reflète une évolution significative de leur environnement.
- Cet accord est le même que celui proposé par les États-Unis le 27 Mai 2024, suivi par un vote unanime, le seul, du Conseil de Sécurité de l’ONU appelant au cessez-le-feu et rejeté par Israël.
- Ha’aretz : “How Trump scared Netanyahu into accepting a cease-fire deal with Hamas”, 18 janvier 2025.
- Ali Abunimah: Day 468: How Gaza’s resistance defeated Israel, The Electronic Intifada, 18 Janvier 2025.
- Les deux attaques de missiles iraniens des 13 Avril et 1er Octobre 2024, en représailles du bombardement de l’ambassade iranienne à Damas et de l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh à Téhéran, ont transpercé la défense israélienne et atteint les bases militaires israéliennes. Ce fut le cas par exemple dans la base de F-35 à Nevatim touchée par 32 missiles balistiques iraniens (selon le James Martin Center for Nonproliferation Studies (CNS) du Middlebury Institute, en Californie). Par contre la dernière riposte israélienne du 26 Octobre a dû être avortée car la première vague d’avions rencontra un système de défense inconnu (russo-iranien) qu’elle ne pouvait détruire. Les deux vagues suivantes (100 avions au total), prévues bombarder les centres militaires stratégiques iraniens, ont rebroussé chemin de crainte d’être atteints. L’Iran a ainsi montré sa capacité à détruire massivement des installations israéliennes, et à se défendre. En corollaire, les ultra modernes et furtifs F-35 américains de l’armée de l’air israélienne, réputés aussi invulnérables que chers, ont montré leurs limites. Le Portugal, le Canada, la Suisse et l’Allemagne seraient en train de reconsidérer l’achat de F-35.