«3ème vague, le Maroc doit anticiper»

Entretien avec Ahmed Rhassane El Adib, professeur en anesthésie-réanimation, université Cadi Ayyad-Marrakech.

Ouardirhi Abdelaziz

Face à la troisième vague de l’épidémie de Covid-19 qui touche de plein fouet la France, la Belgique, l’Espagne, l ’Italie, dont les structures hospitalières sont de nouveau sous tension, avec des services de réanimation saturés et des professionnels de santé de nouveau en première ligne pour faire face à la flambée de l’épidémie; le Maroc doit anticiper.

Pour bien comprendre ce qui se passe sous d’autre cieux où une 3e  vague est en train de chambouler totalement l’existence de centaines de milliers d’individus, le Maroc devrait continuer dans cette optique : redoubler davantage de vigilance en termes des mesures afin d’anticiper  la venue du nouveau variant de la covid-19 et sa propagation sur le territoire.

Rappelons-nous que le Maroc avait été le premier pays au monde à prendre des mesures fermes, responsables,  courageuses, pour protéger la population, en décidant un confinement historique et le respect des mesures barrières contre le SRAS COV 2, à l’instar de la Chine.

On a obtenu d’excellents résultats car toute la population avait adhéré au processus préventif.

Mais, les pressions des milieux économiques pour que tous les commerces puissent ouvrir, pour que la vie revienne à la normale, que tout puisse s’améliorer, c’est quelque chose que nous avons tous désirer et plus particulièrement, lors de l’Aid Al Kebir où personne ne respectait les mesures préventives, les déplacements dans tous les sens, les réunions des familles…

Les résultats ont été catastrophiques, les malades se comptaient par milliers, les services de réanimation devenaient saturés, il y avait des décès par centaines chaque jour………

Nous avons certes regretté ces erreurs, et il s’agit aujourd’hui de ne pas les commettre à nouveau. Il n’est pas question ici de sanctionner quiconque, mais de maitriser le virus, si on ne veut pas que notre pays soit confronté à une nouvelle vague. Il ne faut pas céder aux sirènes de l’économie qui cherchent toujours à s’opposer aux décisions prises par le département de la santé qui cherche à préserver la santé des citoyens.

Aujourd’hui, on constate l’ouverture de cafés, restaurants, Hamam , Mosquées, les écoles où  la distanciation sociale, le port de masque, l’utilisation du gel hydro-alcoolique, sont des attitudes et gestes oubliés. Il y a même des villes entières où toute la population vit en dehors du processus qui est recommandé par les autorités sanitaires. Les mauvaises habitudes du passé sont revenues. Le virus circule toujours et les nouveaux variantes sont plus contagieux, plus virulents, plus difficiles à traiter. De nos jours, au regard de ce qui se passe dans des pays relativement proches (3ème vague), on ne peut occulter les risques auxquels notre pays pourrait être confrontés,  si des mesures urgentes ne sont pas prises immédiatement.

Pour nous permettre d’avoir des informations pertinentes, utiles et utilisables, un avis et une analyse d’expert, nous avons contacté Ahmed Rhassane El Adib professeur en anesthésie – réanimation, à la faculté de médecine, université Cadi Ayyad-Marrakrch, qui est en première ligne dans la lutte contre la Covid-19 depuis le début de l’épidémie mars 2020.

Entretien.

ALBAYANE : Vous venez de tirer la sonnette d’alarme quant à l’éventualité d’une 3ème vague de Covid-19 plus virulente et plus dangereuse. Quels sont les éléments qui suscitent vos inquiétudes ?

Professeur  Ahmed Rhassane El Adib : Un calcul simple nous permet de comprendre que nous sommes dans une phase qui interpelle et qui ne peut laisser insensible. Je m’explique. Quand  vous avez trois ingrédients :93 nouveaux cas sévères en 24 h : sachant que les cas sévères constituent au maximum 2,5 % des vrais cas, donc il y a 10 jours il y avait 93 × 40 = 3720 cas au lieu des 500 déclarés. Les autres sont depuis 10 jours entrain d’errer sans aucune prise en charge et de contaminer d’autres. Justement, c’est  le deuxième point, combien chacun d’eux est en train de contaminer ? Depuis quelques jours le taux de reproduction a dépassé 1, donc les 3720 ont au moins doublé depuis. je ne parle même pas des variants qui sont 70 % plus contagieux. Juste ces 3 points montrent qu’on est déjà en 3ème vague. Ce que j’espère, c’est qu’il y ait des mesures rapides pour que les hôpitaux ne vivent pas cette 3ème vague.

Selon vous et entant qu’expert, que devons-nous faire aujourd’hui pour parer à une telle situation ? Nos structures hospitalières sont-elles en mesure de supporter une telle déferlante ?

Il faut rappeler que depuis la notification du premier cas positif de coronavirus au début du  mois de mars 2020, les professionnels de santé ( médecins, infirmiers, aides-soignants , administratifs et  ambulanciers), des différents établissements hospitaliers du Maroc, ont tous répondu présents et se sont mobilisés pour soigner, soutenir, aider et accompagner les malades. Ils n’ont ménagé aucun effort, travaillant de jour comme de nuit pour sauver des vies humaines. Une mobilisation sans faille malgré des moyens parfois insuffisants.

Donc pendant qu’il est encore temps, nous devons ménager un peu tous ces professionnels de santé. Il s’agit pour tous les hôpitaux du Maroc d’anticiper, de préparer les réserves d’oxygène et les réserves en médicaments. Faire des plans de riposte écrits des différents secteurs à ouvrir dans le public et le privé pour chaque localité avec des circuits de prise en charge à diffuser à la population. Prévoir le renforcement de la régulation médicale dès maintenant, notamment via utilisation de centres d’appels régionaux (mais avec circuits clairs et pré établis). Accélérer la vaccination autant que possible et élargir les bénéficiaires (notamment en décrétant une seule dose pour les anciens covid).

Vous insistez sur le fait qu’il faut tester plus.

Selon vous, qui doit être testé ? Quand  et avec quels moyens ?

Il y a quatre points essentiels qui me paraissent pertinents et qui méritent une attention.  Il faut augmenter davantage la capacité en tests RT-PCR avec une distribution territoriale en fonction de la situation épidémiologique permettant leur rationalisation, le diagnostic précoce des malades, et la rapidité des résultats. Il faut une approche territoriale en respectant le protocole national des tests appropriés et des contacts, autrement dit, il faut augmenter davantage la capacité en tests RT-PCR avec une distribution territoriale en fonction de la situation épidémiologique permettant leur rationalisation, le diagnostic précoce des malades, et la rapidité des résultats ; donner les tests rapides aux médecins privés ; permettre le dépistage dans certains secteurs à haut risque ; permettre aux labos privés de faire le test à qui veut et sur toute prescription ; Il faut parallèlement surveiller les eaux usées, un indicateur privilégié dans une stratégie de lutte intégrée contre la covid-19. Je voudrais ajouter aussi un élément important : il s’agit de  donner l’hydroxychloroquine aux pharmaciens avec un cahier des charges.

Qu’en est-il des ressources humaines ?

Vous êtes bien placé pour savoir que l’épidémie de la Covid-19 a mis à rude épreuve notre système de santé qui souffre de moult maux. Aujourd’hui, pratiquement toutes les structures sanitaires de notre pays, aussi bien les établissements de soins de santé de base (centres de santé), que les établissements hospitaliers provinciaux, préfectoraux et les centres hospitaliers universitaires (CHU), tous souffrent d’une pénurie alarmante d’infirmiers et infirmières, une réalité choquante et pénalisante,  dont les premiers a souffrir sont les professionnels de santé eux-mêmes et bien entendu les malades. La pénurie d’infirmiers est aujourd’hui telle qu’aucun hôpital où centre de santé, ne peut se targuer d’avoir des infirmiers, infirmières en nombre suffisant. Il y a près de 32.000 infirmiers tous grades et profils, soit 9,2 infirmiers pour 10.000 habitants.

Concernant les médecins à fin 2018, le Maroc en comptait 23 374 pour les deux secteurs public et privé.  Soit, un ratio de 7,1 pour 10 000 habitants, (contre un minimum requis de 4,45). Le Maroc a un déficit de 97 161 personnes dans le secteur de la santé, dont 32 387 médecins et 64 774 infirmiers et techniciens. En ce qui concerne les services de réanimations, il faut savoir que la problématique de ces services n’est aucunement liée au nombre de lits ou aux équipements, mais surtout aux ressources humaines compétentes dans ce domaine, et avec les 200 médecins réanimateurs anesthésistes et médicaux du secteur public, déjà mal répartis au niveau national. Certaines régions  auront toujours des difficultés insurmontables pour la prise en charge des malades. Je voudrai saisir cette occasion pour insister sur un élément très important : celui de la communication. Il est impératif dans un contexte d’épidémie comme celui que nous vivons aujourd’hui de pouvoir communiquer avec les citoyens.

Nous avons le devoir de mettre à leur disposition des informations claires, des informations qui émanent de sources fiables, que ces sources soient publiques, citoyennes ou émanant des milieux de l’expertise médicale, ce qui mettra fin à l’intox. Les professionnels de santé doivent de leur côté, communiquer entre eux, échanger les expériences réciproques, s’entraider. Le secteur public et le secteur privé doivent être complémentaires, travailler côte à côte pour le plus grand bien de nos citoyens.

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