Pour 60% des entreprises marocaines, les procédures de passation des marchés publics ne sont pas transparentes et la corruption est monnaie courante, a affirmé Me Abdellatif Ouammou, coordinateur du Groupe d’action progressiste (PPS) à la Chambre des Conseillers, citant des données du Conseil économique, social et environnemental.
Intervenant, mardi lors de la séance consacrée par la Chambre des Conseillers aux réponses du chef du gouvernement aux questions relatives au système des marchés publics et au défi de la bonne gouvernance en la matière, Me Ouammou a fait remarquer d’entrée que les marchés publics servent comme outils pour l’exécution des lois de finances et la concrétisation des orientations prises par le gouvernement en harmonie avecson programme, ses priorités et son agenda. Ils représentent en valeur quelque 100 milliards de Dirhams, 15% du PIB et plus de 60% des crédits alloués aux ministères, établissements publics et collectivités territoriales, selon les sondages.
Ils constituent de ce fait un moyen de répartition de la richesse nationale étant donné qu’ils représentent 80% du volume des travaux des entreprises marocaines de construction et des travaux publics et 70% de l’activité des Bureaux d’études.
Il a toutefois fait remarquer que la situation des marchés publics souffre de la faiblesse de la programmation prévisionnelle et des offres ainsi que du manque de la définition des besoins et de l’élaboration des contrats. Il y a aussi une absence des sanctions et une faiblesse du contrôle.
C’est pourquoi, les nouvelles entreprises trouvent beaucoup de difficultés pour bénéficier des contrats publics, a-t-il dit, ajoutant que les règles de la compétitivité ne sont pas respectées dans ces cas.
Selon les études réalisées par les institutions constitutionnelles et celles de la gouvernance nationale, a-t-il encore dit, plus de 54% des entreprises marocaines dénoncent l’existence du clientélisme, du népotisme et du favoritisme et 36 % d’entre elles affirment avoir été évincés des marchés publics en application d’une procédure de passation anormale. Seuls 64 % des entreprises considèrent que la passation se déroule de manière équitable et normale (Conseil de la concurrence).
D’autres études ont montré que 10% seulement des entreprises marocaines participent de manière régulière aux marchés publics, ce qui signifie que la priorité est aux entreprises étrangères et aux milieux influents, ce qui se traduit dans certains cas par une discrimination sans raison, alors que 54% des entreprises trouvent que ces procédures de passation des marchés sont complexes et couteuses, que 60% d’entre elles soulignent que les procédures de passation de ces marchés ne sont pas transparentes et que la corruption est monnaie courante dans ce domaine (Conseil économique, social et environnemental).
Il existe donc un grand nombre d’obstacles et d’entraves réglementaires, dues essentiellement aux complications procédurales et aux critères de sélection des offres, outreles obstacles structurels en rapport avec le pouvoir technique de l’administration ciblée sans oublier les obstacles stratégiques liés aux relations et aux coûts.
En dépit des profondes défaillances qui limitent leur rôle, les marchés publics sont sensés jouer un rôle de levier stratégique du développement économique et social, a-t-il noté. Ils sont toutefois marqués par de profondes défaillances qui réduisent leur rôle en matière de développement en participant notamment à l’approfondissement du déficit commercial et à la diminution des réserves du Maroc en devises fortes, au lieu d’activer l’économie et de créer une grande dynamique, de la plus value et des opportunités d’emploi.
Ce qui les empêche par la même de satisfaire les besoins des contribuables qui consistent principalement en la création des richesses pour améliorer le niveau de vie des habitants et constitue un indicateur qui donne une idée sur l’insuffisance qui marque la gouvernance des marchés publics, selon Me Ouammou. Ce qui a aussi un effet négatif sur le taux de croissance du pays dans son ensemble.
Il a toutefois reconnu qu’il est vrai que le gouvernement a déployé d’importants efforts au cours des dernières années qui se sont traduits par la parution du décret du 20 mars 2013 relatif aux marchés publics et du décret du cahier des conditions administratives générales appliquées aux contrats des travaux en date du 13 janvier 2016 dans l’objectif d’enrichir tout l’arsenal et de réfléchir à la création d’une agence spécialisée dans l’exécution des travaux. D’autres instruments sont également envisagés à l’instar des agences régionales pour l’exécution des projets régionaux. Tout cet effort n’a malheureusement eu aucun impactsur la situation, a-t-il estimé.
Car ce qui ne peut être mesuré ne peut être évalué, a-t-il rappelé. C’est pourquoi d’ailleurs, la Cour des Comptes a souligné la nécessité de réaliser une étude stratégique qui montre de manière précise les objectifs recherchés en matière de développement économique, social, culturel et environnemental en rapport avec les commandes publiques. Il est également nécessaire de faire des études prévisionnelles des projets devant faire l’objet de contrats et de marchés publics et ce dans le but de préciser les dispositions du contrat et de définir les engagements de toutes les parties et en particulier du bénéficiaire du marché pour qu’il présente un programme détaillé des travaux à exécuter tout en précisant le coût, a-t-il ajouté.
C’est dans ses volets politique, économique et social qu’il convient en somme d’aborder la question de la gouvernance des marchés publics comme le prévoit la constitution dans les articles 36 et 154 qui insistent notamment sur la mise en œuvre d’un système de gouvernance ouverte, transparente et responsable des marchés publics, a rappelé Me Ouammou.
La performance économique est devenue le moteur du rendement public et le critère principal pour l’évaluation et de l’estimation de la performance du rendement des projets publics, en particulier en ce qui concerne les achats et les acquisitions, a-t-il expliqué.
L’amélioration des méthodes et modes de gestion de la chose publique est devenue un défi de taille pour réaliser davantage d’efficacité au niveau des achats publics, ce qui est tributaire de la rationalisation des dépenses publiques,de l’utilisation saine des ressources et de la démocratisation de leur gestion avec la réalisation des objectifs aux moindres couts possibles, en partant du principe de la maitrise des dépenses, qui constitue le déterminateur du niveau de la pression fiscale et du niveau du déficit budgétaire, a-t-il ajouté.
Au niveau social, l’opinion publique suit de près la manière de gestion et le degré de transparence du marché des achats publics, selon le Conseiller, ajoutant que tous les instruments portant organisation de la gouvernance risquent de devenir de simples slogans creux, en cas d’absence de la volonté politique de réaliser cette bonne gouvernance et d’une prise de conscience au sein de la société.
L’absence d’éthique et de moralité et le refus d’appliquer les sanctions requises pour sévir contre les récalcitrants au niveau des marchés des achats publics vident la gouvernance publique de sa substance, a fait remarquer le Conseiller.
L’idéal est de passer de la sanction des erreurs à la logique de la prévision et de la gestion des risques et du redressement des projets des investissements publics, a-t-il conclu.
Les pouvoirs publics sont donc appelés, selon lui, à faire respecter non seulement les critères, les principes et les valeurs démocratiques, mais également les règles juridiques qui portent sur la gestion des deniers publics. Ils sont également tenus de prévoir toutes les formes de dérapage au niveau des activités des administrations, des institutions publiques et de l’utilisation des finances mises à leur disposition et au niveau de la passation des marchés publics et de leur gestion tout en sévissant contre de tels détournements (art 36 de la Constitution.
C’est dire aussi que la moralisation des décisions d’investissements publics est tributaire en un mot de le bonne gouvernance des marchés publics, a souligné Me Ouammou.
M’Barek Tafsi