Amine Diouri: «toutes les entreprises sont touchées et c’est encore tôt pour faire les comptes»

Propos recueillis par Essajide Lhassan (MAP)

Amine Diouri, directeur « Études et communications » du cabinet Inforisk et responsable du programme « Inforisk Dun Trade », apporte, dans un entretien accordé à la MAP, son éclairage sur l’impact du nouveau coronavirus (Covid-19) sur les entreprises marocaines et analyse les mesures prises par les banques pour atténuer l’impact de cette pandémie.

1- Dans le contexte actuel, quels sont, selon vous, les entreprises et les secteurs qui seraient le plus impactées? Et quelles sont vos recommandations afin d’éviter des défaillances en cascade et « la mort » des entreprises les plus fragiles?

Avec la crise du Covid-19, toutes les entreprises, quel que soit leur taille ou secteur, sont touchées. Même si certains chiffres circulent déjà, notamment les 113.000 entreprises en arrêt temporaire de travail, il est encore trop tôt pour faire les comptes. L’impact global sur l’économie (baisse du chiffre d’affaires des entreprises, augmentation du chômage, faillites d’entreprises…) sera fait dans quelques mois. Ce qui est certain, c’est que les prévisions de défaillances en 2020 (+5%), faites par Inforisk et annoncées il y a quelques mois de cela, sont aujourd’hui caduques avec la crise. Le fait est que les entreprises sont actuellement confrontées à 2 problèmes majeurs: baisse importante de chiffre d’affaires pendant la période de confinement et des difficultés encore plus fortes à recouvrer leurs créances. Concernant le premier point (baisse de chiffre d’affaires), je propose la création d’un fonds de soutien pour les TPE et autoentrepreneurs qui permet de soutenir ces très petites entreprises pendant cette période critique et leur permettre d’y survivre.

La question des délais de paiement est également et plus que jamais une question d’actualité. Je propose la mise en place d’un comité de crise sur les délais de paiement, qui serait supervisé par le Ministre de l’Économie, qui aurait pour mission de mesurer l’impact de la crise actuelle sur les délais de paiement et de faire des propositions immédiates pour répondre à cette augmentation.

2- Quelle lecture faites-vous des mesures prises par les banques marocaines pour atténuer les impacts de la Covid-19, notamment le report des échéances crédit? Pensez-vous que ces mesures sont suffisantes et vont permettre de résister aux conséquences de cette crise sanitaire?

Je pense que les mesures prises jusqu’à aujourd’hui pour aider les entreprises à surmonter la crise sont suffisantes… si la période de confinement se terminait effectivement le 20 avril et que l’activité économique reprenait progressivement après. En revanche et c’est une variable que nous ne maitrisons pas aujourd’hui, si la crise sanitaire se dégradait et entrainait un confinement de plusieurs semaines ou mois supplémentaires, les mesures prises deviendraient insuffisantes et entraineraient des dépenses de plus en plus onéreuses pour le maintien de notre tissu économique, mais également pour aider les personnes les plus touchées par la crise.

3- Au cas où cette pandémie perdurait, serait-il judicieux pour les banques de continuer à appliquer ces mesures sachant qu’elles sont tenues de se conformer aux règles prudentielles de Bank Al Maghrib?

Il est vrai que la problématique pour nos banques est à la fois de soutenir en période de crise l’effort national, tout en conservant des ratios de fonds propres suffisants selon les normes Bale II/III. Maintenant, le soutien à l’effort national ne signifie pas non plus un chèque en blanc pour toutes les entreprises qui connaissent des difficultés. Car l’idée malgré tout, c’est que les entreprises, qui empruntent, puissent rembourser leurs crédits. C’est cette dichotomie qui a créé la tension récente entre la CGEM et le GPBM.

4- Les périodes de crise ont toujours été des opportunités de changement. Quels sont, pour vous, les principaux enseignements à tirer de cette crise?

Première constatation que je tire de notre crise actuelle, c’est la forte réactivité de nos forces vives (gouvernement, administration, banques, patronat), sous l’impulsion de sa Majesté le Roi Mohammed VI, qui ont su réagir rapidement sur tous les plans (sanitaire, économique, social…). Elles ont su prendre des mesures concrètes et pragmatiques en très peu de temps et mobiliser une Administration qu’on croyait rigide, mais qui, par la force des choses, a été amenée à se digitaliser et à répondre aux besoins des citoyens durant cette période difficile. A côté de cela, cette crise sanitaire majeure a mis en avant la nécessité d’investir massivement dans nos hôpitaux et dans leurs équipements, chose qui aurait été très difficile à mettre en place sans la crise.

Avec la crise du Covid-19, on voit la trop forte dépendance des Européens et Américains à l’usine de production chinoise. La volonté des dirigeants européens et américains sera au sortir de la crise, de rapprocher les usines (dans la mesure du possible) du consommateur final, tout en conservant des coûts de production raisonnables. C’est une véritable opportunité pour le Maroc, compte tenu de sa proximité géographique avec l’Europe, et qui se positionne comme un hub régional. Ça peut être l’occasion d’attirer encore davantage les capitaux des investisseurs étrangers sur des projets structurants proposés par le Maroc.

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