La construction de la personnalité

Le monde de Julie Guégan

Par Noureddine Mhakkak

Le dialogue avec Julie Guégan est un voyage culturel dans les mondes des Lettres et des Arts. C’est-à-dire dans le monde de la poésie, de la prose, du cinéma, de la peinture et de la photographie d’une part et dans le monde de l’actualité aussi. Ainsi, nous allons parler des relations humaines, nous allons parler de l’amour, de l’amitié, de la tolérance et de l’ouverture d’esprit et la connaissance de l’autre. Nous allons parler des villes, des livres, des films, nous allons parler de nous, et nous allons parler de nous, de nos pensées, de nos réflexions, de nos passions, et nous allons parler de vous en tant que lecteurs. Des lecteurs fidèles qui nous lisent avec tant de plaisir.

Parlez-nous du sens du travail, de votre expérience dans le domaine du travail et de votre vision dans ce domaine

Le travail peut être une activité d’émancipation et de bien-être. Selon moi, deux changements de notre propre perspective sont essentiels. Le premier consiste à évoluer vers quelque chose de plus naturel, sans aucune posture. Je pense en effet, que nous pourrions rester la même personne au travail et à la maison, et ne plus changer de rôle pour gagner en authenticité dans les relations. Ensuite, je rejoins Foucault lorsqu’il disait que « le travail est une contribution individuelle à une entreprise collective, un engagement « corps et âme » ». L’individu est au cœur du système. En ce sens, ses besoins spécifiques fondamentaux doivent absolument être couverts au travail, puisqu’il y consacre un temps et une énergie considérables.

Selon un proverbe danois « Le travail est la moitié de la santé. ». À votre avis, quel est le rapport entre le travail et la santé ? Aujourd’hui, comment évaluez-vous la stratégie de l’entreprise vis-à-vis de nos besoins physiques et de notre santé ?

Selon la pyramide de Maslow, le premier besoin fondamental identifié est physique. Cela concerne par exemple la respiration, qui est capitale à notre bien-être. Or, on constate un peu partout que le temps de la respiration semble avoir diminué. Que ce soit utile ou non, nous cherchons à livrer une tâche, un peu comme on cocherait une case et ce, souvent de manière urgente. Tous, nous avons cette habitude d’accélérer non seulement la prise de décision, mais également la mise en œuvre, parfois avec de moins en moins de ressources. Quand on accélère tout, le risque, outre le fait que ce soit néfaste aux employés ou aux managers, est que le résultat ne soit pas à la hauteur des espérances. En général, la décision est alors d’augmenter les budgets de communication. Bref, pas de doute, nous sommes bien dans l’ère industrielle.

Nous avons le nez dans le guidon. Pourtant, nous commençons à être créatifs après 15 minutes d’ennui. L’entreprise ainsi que les individus ont donc tout intérêt à trouver les moyens de faire face aux dérives de notre siècle comme composer avec les briseurs de temps que sont les nombreuses applications ou les médias sociaux, par exemple. Bon nombre d’entreprises choisissent désormais d’offrir des cours de méditation et de mindfulness. C’est une bonne chose, on pourrait même aller encore plus loin, comme encourager les moments de déconnexion en imposant des pauses technologiques. Les autres points à considérer en lien avec notre santé sont par exemple, la nourriture, le sommeil et l’activité physique. Nous y reviendrons une prochaine fois, car j’aurais bien entendu des tas de choses à dire.

Dans le domaine du travail, il y a toujours un leadership qui peut influencer son groupe et le pousser vers la réussite. Pourriez–vous nous parler de ce rôle primordial ?

Je continue à développer mes réponses en lien avec notre chère pyramide. Ici, je vais m’attarder sur le second besoin, la sécurité. Longtemps, nous avons cru que la sécurité allait s’obtenir avec un contrat à durée indéterminée ou des horaires fixes. Ainsi, notre société pensait que pour libérer les talents, elle devait donner un socle stable aux travailleurs et ainsi réduire l’angoisse face à un avenir incertain. Finalement, pour plus de sécurité, ce n’est pas d’un contrat stable dont nous avons besoin, mais d’un sentiment fort, ancré en nous, que nous pouvons agir dans un cadre clair et sécurisant. C’est lui qui nous donnera cette sécurité psychologique. Parmi les outils, je pense que le plus important est le rôle du manager. Il n’y aura pas de leaders du futur sans bon manager, qui saura rassurer en donnant une direction, un alignement et des principes directeurs. C’est bien simple, selon moi, il s’agit de la condition sine qua none, pour un leadership distribué, qui redonnerait le pouvoir à chacun de contribuer à un système à la fois plus efficace et plus épanouissant.

Selon Sigmund Freud « Autrui joue toujours dans la vie de l’individu le rôle d’un modèle, d’un objet, d’un associé ou d’un adversaire. » Que pensez-vous de ces mots dans le domaine du travail ?

Vous me donnez l’occasion de parler du troisième besoin fondamental identifié par Maslow, qui concerne l’amitié et au fond le sentiment d’appartenance, qui nécessite d’agir sur les relations. Alors pourquoi l’amitié dans le travail est si importante ?

Dans sa pyramide de la collaboration, Oscar Berg, nous dit que c’est en investissant dans les relations, que nous augmenterons la confiance et permettrons à l’entreprise de devenir collaborative, qui est sa raison d’être.  Ce que nous dit Berg, est que les moments informels et le partage de connaissances accroissent les conversations, augmentent les possibilités de sérendipité, et finalement, multiplient les opportunités de collaboration. Tout ce qui va dans le sens de relations plus fortes, à travers des jeux, des événements ou des projets impliquant un peu de défis seront bons. Halte à l’ennui, oui à une vie professionnelle amusante et sans prise de tête ! Il serait dommage au fond de nous prendre trop au sérieux.

Dans le domaine du travail, il y a toujours plusieurs manières de faire n’importe quel travail, mais il y a toujours une manière de faire mieux. Comment peut-on alors la découvrir et la montrer aux travailleurs ?

Vous me donnez là une bonne opportunité de parler du 4ème niveau qui concerne l’estime de soi, la confiance et le respect. Selon ma propre expérience, on ne change pas les autres. La seule chose que l’on puisse faire est de se changer soi-même pour devenir le modèle de réussite que l’on souhaite pour l’autre. Alors, si vous voulez changer la culture d’entreprise, commencez par vous changer vous-mêmes et devenez la personne véhiculant les principes et les valeurs que vous souhaitez voir chez les autres.

Selon Sigmund Freud aussi « Le bonheur est un rêve d’enfant réalisé dans l’âge adulte. ». Pourriez -vous d’après des expériences vécues ou des livres lus, nous parlez du sens du bonheur dans le travail ?

Nous voilà fin prêts pour le cinquième niveau, qui concerne l’épanouissement et l’accomplissement. Le but est d’atteindre ce que j’indiquais dans l’introduction, à la fois l’émancipation et le bien-être. Et pour se faire, j’ai envie de porter votre attention sur quelques pièges à éviter :

– Les besoins individuels que l’on a vus jusqu’ici. Je pense que si nous prenons conscience que nos besoins fondamentaux doivent absolument être couverts dans le cadre de notre travail, alors il y a de fortes chances pour que notre société s’épanouisse davantage.

– Valoriser la diversité et prendre tout le monde au sérieux.

– Pratiquer l’humilité et la notion de service.

– Halte à la « coolitude », qui n’a rien à voir avec le jeu et qui conduit nos enfants à devoir un peu trop jouer aux adultes sur cette planète actuellement.

– Savoir manier pouvoir et amour, bienveillance et autorité

– Enfin, dans tout projet de transformation, il s’agit en priorité de travailler sur les relations et la marge, la périphérie dont l’énergie du changement provient toujours.

Après le travail, pourriez-vous nous parler de vos loisirs ? Comment vous passer votre temps de repos ?

J’expérimente un mode de vie qui me permette de vivre avec une activité professionnelle rémunérée à hauteur de 60% de mon temps, soit trois jours par semaine. En dehors, je cultive mes passions, que sont la recherche, la lecture, les grandes promenades et l’écriture. Ces activités m’aident à me régénérer et à maintenir un niveau d’énergie satisfaisant pour réaliser mes projets.

J’ajoute à cela d’autres loisirs dont le but est de libérer mon temps-libre. J’aime débrancher pour me ressourcer, et l’idéal pour moi est de faire alors les choses sans but, comme me balader des heures dans la nature, me prélasser dans des thermes, dans des musées ou des boutiques de brocante et de seconde-main, dont je reviens de plus en plus souvent les mains vides !

J’ai également comme tout le monde un grand besoin de jeux, alors je joue au tennis, au foot, je fais des courses à vélo, du skateboard, ou j’organise des soirées casino, avec des jeux de société, durant lesquelles on mange des bonbons pendant toute une soirée.

J’occupe aussi mon temps de repos à m’enraciner. En tant que personne un peu créative, avec une liberté et une soif de rêves et d’indépendance assez inédites, c’est capital pour moi. Sachez d’ailleurs que les personnes peu ancrées sont plus faciles à dominer. L’écriture, la méditation, le yoga et le don de soi m’aident à me maintenir au sol. Je peux aussi bien aider des amis dans leurs restaurants, donner du coaching à mes amis dans le besoin, ou venir en aide à un ami en manque d’argent. La vie m’a montré qu’il est bon de donner, sans se poser de questions et je ne pense pas avoir déjà rejeté une demande à laquelle j’étais en capacité de répondre.

Que représente le voyage pour vous ? Un moment de voir le monde autrement ou un moment de découverte, ou un moment d’oublier le temps du passé, pour entrer dans le monde de futur ?

Sénèque nous invite à être toujours prêt à partir, une petite valise prête proche de l’entrée contenant juste le nécessaire à portée de la main…

Je n’ai jamais cessé de voyager. Dès que mes enfants ont été assez grands pour me suivre, c’est-à-dire quelques semaines, je les ai amenés avec moi dans mes pérégrinations. Je leur disais « on va voir le monde ! » ou « on va voir les gens ! ». Et on allait n’importe où, ou plutôt où cela me semblait raisonnable… En général, je ne refuse jamais une opportunité de voyager, sauf lorsque cela implique un séjour de plus d’une semaine (lorsque Julie n’a pas ses enfants). Vous allez voir que mon parcours est en soi une bonne leçon de vie pour tous, autour de moi, qui rêvent de plus de voyages et qui pour des tas de raisons ne peuvent pas le faire.

Petite, mes parents ont divorcé. Tandis que mon père est allé vivre à Quimper, au bout de la Bretagne, ma mère a choisi de s’installer à Paris. Au début, on prenait l’avion pour aller en vacances et puis ensuite on prenait le train. 7 heures de train entre Paris et Quimper. Un enfer pour les deux petites filles que ma sœur et moi étions. À l’époque, il n’y avait pas d’écran possible bien entendu et il n’était pas question que nous soyons accompagnée d’un adulte, alors on s’occupait comme on pouvait. J’ai des tas de stratégies qui m’ont été utiles, comme par exemple de simplifier chacun de mes départs, et plus encore ceux de dernière minute. Ainsi, les animaux sont prêts à être gardés, je n’ai pas trop de plantes et les vêtements de week-end sont réunis dans un coin de ma penderie. Passeport toujours à la même place, et hop !

La force demeure avec la foi en l’aventure. Je la cultive donc, et j’invite tout le monde à en faire autant. Au fond, si nous arrivions mieux à maîtriser toutes nos peurs, alors nous pourrions nous laisser aller à profiter de notre goût naturel pour la découverte et donc pour l’amour. Je sais que la méditation que j’ai mentionnée plus haut est une activité qui fonctionne afin de mieux maîtriser nos peurs incontrôlables. Il y a en a des tas d’autres ! Le tricot, la couture, des mots croisés ou du sudoku difficile, le chant, la musique, la sculpture, la marche en pleine conscience, la visualisation ou encore une conversation avec un ami. Tout ce qui peut favoriser notre concentration intense et profonde sont à rechercher. Il serait si dommage de manquer les prochaines possibilités de s’émerveiller, uniquement parce que quitter notre zone de confort nous angoisse ! J’ai le sentiment que plus on prend de l’âge et plus on rechigne à partir de notre chez-soi, de notre cadre de sécurité et au fond de tout ce qui constitue notre petit confort. Il semble qu’on gère moins bien l’anxiété et cela nous oblige à prendre des décisions qui vont à l’encontre de nos envies. Mais il s’agit de cultiver notre lumière, et les voyages y contribuent grandement.

Avec moi, le voyage n’a pas besoin de destination précise, c’est l’expérience qui compte, et je cherche à la rendre toujours plus fascinante. Je lui ajoute tous les ingrédients possibles, du détachement, de l’excitation, de la relation et de la nouveauté à travers tous nos sens. J’aime à dire que je suis une machine à souvenirs pour mes enfants. J’ai toujours cherché à développer chez eux un regard curieux et plein d’espoir pour ce qu’on allait découvrir. J’espère que ce sont des qualités qu’ils garderont.

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