Abderrahim Jabrani, fondateur et directeur général de l’Ecole Supérieure de Design et des Arts Visuels (ESDAV)
Al Bayane : Quelles évolutions majeures avez-vous observées dans l’enseignement de design et des arts visuels au Maroc ?
Abderrahim Jabrani : L’enseignement de design et des arts visuels au Maroc a connu plusieurs évolutions majeures ces dernières années, influencées par des dynamiques globales et des initiatives locales, je citerai cinq points que je qualifie d’une grande importance dans cette mutation :
– L’intégration du numérique et de l’IA avec L’émergence de logiciels de conception avancée et L’utilisation de plateformes en ligne et la généralisation des formations hybrides ;
– L’internationalisation et les échanges académiques en établissant des partenariats avec des institutions européennes et aussi en s’ouvrant à des intervenants étrangers qui enrichissent les approches pédagogiques avec leurs expertises ; – L’essor de la recherche et de l’innovation en s’orientant vers une approche plus analytique et intuitive (Design Thinking), combinant design et sciences humaines ;
– L’importance croissante du développement durable en intégrant des aspects liés à l’éco-conception, à l’économie circulaire et à la gestion des ressources, aussi l’accent est mis souvent sur l’utilisation de matériaux locaux et sur la réduction de l’empreinte écologique ;
. La richesse culturelle marocaine permet une hybridation entre tradition et modernité.
Al Bayane : Comment l’approche pédagogique a changé pour s’adapter aux nouvelles générations d’étudiants et aux besoins du marché du travail au Maroc ?
Abderrahim Jabrani : L’approche pédagogique dans l’enseignement du design et des arts visuels au Maroc a évolué pour répondre aux attentes des nouvelles générations d’étudiants ainsi qu’aux exigences du marché du travail,
– En utilisant une pédagogie plus interactive, tel que l’apprentissage par projet, les méthodes participatives et l’utilisation des technologies nouvelles.
– En s’adaptation aux nouvelles générations d’étudiants : Flexibilité et personnalisation, l’apprentissage hybride et l’alternance.
– Faire une meilleure préparation face au marché du travail : Formation à l’entrepreneuriat, Stages et collaborations professionnelles et compétences relationnelles et polyvalence.
– Avoir un ancrage plus fort dans le développement durable et l’innovation : Éco-conception et responsabilité sociale, intégration du numérique et de l’intelligence artificielle.
– Avoir un lien renforcé avec le patrimoine (matériel et immatériel) et l’identité locale.
Q3 / Pensez-vous que l’enseignement de design et des arts visuels au Maroc a su s’aligner avec les standards internationaux ? Quels défis restent à relever ?
R3 / L’enseignement du design et des arts visuels au Maroc a considérablement évolué ces dernières années et montre une volonté d’alignement avec les standards internationaux. Cependant, plusieurs défis restent à relever pour atteindre une pleine harmonisation avec les meilleures pratiques mondiales :
– Les avancées des écoles vers les normes internationales :
– Les défis à relever :
En somme, je pense que le chemin est bien entamé, mais encore des défis à surmonter
II – L’impact du design et des nouvelles technologies
Al Bayane : Aujourd’hui, les disciplines artistiques ne se limitent plus aux arts plastiques traditionnels, comment l’ESDAV intègre-t-elle les nouvelles formes d’expression comme le design numérique, la vidéo ou la photographie ?
R4 / Une institution comme ESDAV doit évoluer avec son époque et intégrer les nouvelles formes d’expression artistique qui façonnent le paysage créatif contemporain. L’enseignement ne se limite plus aux disciplines classiques du design et des arts visuels. Les cursus doivent intégrer : – Le design numérique comme apprentissage des logiciels de conception 3D, de modélisation, de rendu et de réalité virtuelle / augmentée, l’animation 2D/3D, l’image numérique et la photographie gérée par l’IA ; – L’ESDAV doit avoir une approche interdisciplinaire et transversale, en favorisant des projets qui croisent plusieurs disciplines, encourageant les étudiants à explorer des passerelles entre :
- L’architecture d’intérieur et la scénographie digitale
- Le design d’objets et la fabrication assistée par ordinateur
- Les arts visuels et les nouveaux médias.
– L’ESDAV doit avoir un équipements et infrastructures adaptées, en se dotant de laboratoires de fabrication numérique, de studios de création multimédia, et de plateformesnumériques permettant aux étudiants d’expérimenter avec les outils de demain.
– L’ESDAV doit collaborer avec des experts et artistes contemporains en s’associant avec des professionnels du secteur pour animer des workshops, conférences, et résidences artistiques, offrant ainsi aux étudiants une intégration directe dans le monde du design numérique et des arts visuels.
– L’ESDAV doit encourager des projets innovants et hybrides, en incitant les étudiants à développer des projets intégrant intelligence artificielle, interaction digitaleet nouvelles formes de communicationvisuelle, leur permettant d’être à l’avant-garde des tendances actuelles.
L’intégration du design numérique, de la vidéo et de la photographie dans l’enseignement ne se fait pas seulement par l’ajout de matières, mais par une refonte complète de la pédagogie, favorisant une approche ouverte et interdisciplinaire.
Q5 / Quel rôle jouent les nouvelles technologies et le numérique dans la formation des étudiants en architecture d’intérieur, en design et en art visuel ?
R/5 Les nouvelles technologies et le numérique jouent un rôle fondamental dans la formation des étudiants en architecture d’intérieur, design et arts visuels. Elles transforment à la fois les méthodes pédagogiques, les outils de conception et les pratiques créatives, ouvrant de nouvelles perspectives en matière de conception, de production et d’expérimentation artistique. L’intégration des technologies numériques ne remplace pas les savoir-faire traditionnels, mais elle enrichit les pratiques et pousse à une hybridationentre l’artisanat, la conception assistée par ordinateur et les nouveaux médias. Les étudiants formés avec ces outils seront ainsi mieux préparés à répondre aux enjeux de l’innovation, de la durabilité et de la créativité dans les domaines du design et de l’architecture d’intérieur.
III – La place du patrimoine dans l’enseignement artistique
Q6 / Vous insistez souvent sur l’importance de la connaissance du patrimoine architectural pour les étudiants en art et en design. Comment intégrez-vous cet aspect dans votre programme ?
R6 / L’intégration de la connaissance du patrimoine architectural dans le programme de l’ESDAV est essentielle pour former des designers et architectes d’intérieur conscients de l’histoire, du contexte culturel et des enjeux de préservation du bâti existant, et pour intégrer cet aspect dans la formation nous adoptons les stratégies suivantes :
– Cours théoriques dédiés au patrimoine :
- L’évolution des styles architecturaux, du patrimoine vernaculaire aux mouvements modernes.
- L’histoire du design avec un focus sur l’Art Déco, l’Art Nouveau et l’architecture marocaine.
- Les principes de restauration, conservation et réhabilitation du patrimoine bâti.
– Études de cas et analyses critiques :
Intégrer des études approfondies de bâtiments emblématiques (palais, médinas, constructions modernistes…) en les liant aux pratiques contemporaines.
- Visites de sites patrimoniaux avec des exercices de croquis et relevés architecturaux.
- Analyse de projets de réhabilitation réussis et critiques des interventions sur des bâtiments historiques.
– Ateliers et workshops pratiques : Proposer des projets de réhabilitation et d’aménagement intégrant le patrimoine dans la conception contemporaine :
- Projets de design intérieur pour des bâtiments historiques réaménagés en musées, hôtels ou espaces culturels.
- Expérimentation avec des matériaux et techniques traditionnelles comme le Tadelakt, le Zellige marocain et la Menuiserie marocaine.
- Collaboration avec des artisans pour comprendre l’intégration du savoir-faire traditionnel dans le design actuel.
– Intégration du numérique pour la valorisation du patrimoine : Exploiter les nouvelles technologies pour étudier et préserver le patrimoine :
- Modélisation 3D et réalité virtuelle pour la reconstitution de bâtiments disparus.
- Design paramétrique appliqué à l’ornementation traditionnelle.
- Photogrammétrie et scan 3D pour archiver et analyser des éléments architecturaux.
– Collaborations et partenariats avec des institutions culturelles
Travailler avec des acteurs du patrimoine :
- Partenariats avec des architectes du patrimoine, des historiens et des institutions (musées, fondations, associations de sauvegarde).
- Participation à des concours et projets de restauration.
- Organisation d’expositions et publications sur la valorisation du patrimoine en design et architecture.
Q7 / Quelle est votre vision de l’équilibre entre modernité et préservation du patrimoine dans la création artistique et architecturale au Maroc ?
R7 / Ma vision de l’équilibre entre modernité et préservation du patrimoine dans la création artistique et architecturale au Maroc repose sur une approche qui valorise l’héritage culturel tout en intégrant les innovations contemporaines et elle se construit autour de plusieurs principes fondamentaux :
– Une approche contextualisée du design et de l’architecture : Respecter l’identité locale tout en innovant :
- Intégrer les valeurs esthétiques et fonctionnelles du patrimoine marocain (matériaux, motifs, techniques artisanales) dans des conceptions modernes.
- Favoriser une architecture contextuelle, en adéquation avec l’environnement et le mode de vie contemporain.
- Privilégier l’adaptation plutôt que la reproduction, en revisitant les éléments du patrimoine sous une forme contemporaine.
– L’innovation au service de la préservation : Exploiter les nouvelles technologies pour sauvegarder et réinventer le patrimoine :
- Utiliser la modélisation 3D, la réalité augmentée et la photogrammétrie pour documenter et réhabiliter des sites historiques.
- Développer des techniques de construction durable en s’inspirant des principes bioclimatiques de l’architecture traditionnelle marocaine.
- Expérimenter avec des matériaux contemporains et recyclés tout en respectant l’esthétique du patrimoine.
– Une réinterprétation créative des savoir-faire traditionnels : Associer l’artisanat et le design contemporain :
- Encourager la collaboration entre designers et artisans pour repenser l’usage du bois sculpté, du cuivre, du textile, du verre soufflé et de la céramique.
- Transformer les formes et motifs traditionnels en designs paramétriques ou minimalistes, adaptés aux tendances actuelles.
- Promouvoir l’artisanat marocain à l’international en le fusionnant avec des influences artistiques et architecturales contemporaines.
– Une éducation et une sensibilisation au patrimoine vivant : Former une nouvelle génération de créateurs conscients de leur héritage :
- Intégrer l’étude du patrimoine architectural et artisanal dans les écoles d’art, de design et d’architecture.
- Encourager les projets étudiants et professionnels qui explorent l’équilibre entre héritage et innovation.
- Organiser des workshops, résidences artistiques et concours pour favoriser des approches hybrides entre tradition et modernité.
Je crois qu’en adoptant ces principes, que le Maroc pourra continuer à rayonner à travers une architecture et un design qui honorent son passé tout en étant tourné vers l’avenir.
IV- Reconnaissance et perspectives de l’enseignement artistique
Q8 / L’ESDAV a reçu plusieurs distinctions internationales. Comment ces reconnaissances influencent-elles l’image et la qualité de l’enseignement artistique au Maroc ?
R8 / Les distinctions internationales reçues par l’ESDAV ont un impact significatif sur son image, son attractivité et la qualité de son enseignement. Elles renforcent le positionnement de l’école comme un acteur clé dans la formation artistique et design au Maroc, tout en ouvrant des opportunités pour ses étudiants et enseignants. Ces distinctions sont caractérisées comme suit : – Elles attestent de la qualité de la formation, du niveau des enseignants et de la pertinence des programmes de l’ESDAV.
– Elles améliorent la réputation de l’école, attirant des talents locaux et étrangers.
– Elles permettent d’établir des partenariats avec des écoles, universités et institutions artistiques étrangères.
– Elles mettent en lumière le potentiel du Maroc en tant que terre de créativité et d’innovation.
– Elles stimulent la motivation des étudiants en leur offrant des perspectives concrètes.
– Elles ne sont pas seulement un symbole de prestige, elles participent activement à l’élévation des standards académiques, au rayonnement du design marocain et à l’évolution du marché créatif. – Elles positionnent l’école ESDAV comme un acteur de référence et inspirent une nouvelle génération de créateurs marocains ouverts sur le monde, innovants et engagés dans la valorisation de leur patrimoine culturel.
Q9 / Pensez-vous que les formations artistiques bénéficient d’une reconnaissance suffisante auprès des institutions et du grand public au Maroc ?
R9 / La reconnaissance des formations artistiques au Maroc repose sur plusieurs facteurs, notamment l’impact de l’école dans le milieu académique, son rayonnement national et international, ainsi que la perception du design et des arts visuels par les institutions et le grand public. Pour avoir une reconnaissance des formations il y a des pistes à améliorer :
– Une reconnaissance grandissante sur la plan académique et institutionnel.
– Des formations alignées avec les standards internationaux.
– Des collaborations et distinctions internationales
– Un travail sur l’ancrage du design et de l’architecture d’intérieur dans le paysage économique,institutionnel et social marocain, en renforçant sa communication, ses collaborations et ses projets concretsimpactant lasociété. Ainsi une école pourra asseoir sa place en tant qu’acteur majeur du design et de la créationartistique auMaroc.
Q10 / Selon vous, quelles mesures devraient être mises en place pour mieux structurer et valoriser l’enseignement de l’art et du design au Maroc ?
R10 / Je pense que la structuration et la valorisation de l’enseignement de l’art et du design au Maroc nécessite une approche globalequi renforce les liensavec les industries créatives et qui se décline par les réformes suivantes :
– La réforme et la structure des formations en art et en design.
– Le renforcement des liens avec les industries créatives et les institutions du pays.
– Le renforcement de la reconnaissance institutionnelle des métiers du design et de l’art.
– La sensibilisation du grand public et le développement d’une culture du design.
– La nécessité de repenser un modèle éducatif et culturel pour un Maroc créatif et innovant.
Je suis sûr qu’en mettant en œuvre ces réformes, le Maroc pourra devenir un hub créatif en Afrique.
V- Messages aux jeunes créateurs et artistes marocains
Q11 / Quels conseils donneriez-vous aux jeunes souhaitant se lancer dans une carrière artistique ou dans le domaine du design et d’architecture d’intérieur ?
R11 / Un jeune qui veut se lancer dans une carrière artistique, en design ou en architecture d’intérieur, doit avoir un profil sensible et différent :
– Il faut qu’il soit doté d’une curiosité permanente et une forte culture visuelle :
- Visiteur des musées, expositions, biennaleset festivals.
- Étudier l’histoire de l’art, de l’architecture et du design.
– Il faut qu’il développe une signature personnelle et une identité artistique
– Il faut qu’il soit dans une tendance à apprendre les outils numériques et technologiques.
-Il doit avoir un portfolio solide et varié présentant :
- Des croquis, maquettes, rendus 3D, concept arts.
- Savoir raconter l’histoire de son processus créatif et la démarche de son travail.
– Il faut qu’il soit prêt à développer des compétences en gestion de projet et en entrepreneuriat, parce qu’êtrecréatif ne suffit pas, il faut aussi savoir organiser son travail et gérer son temps.
– Il fautIntégrer un réseau et partager avec des professionnels parce que dansles domaines créatifs, les opportunités viennent souvent des réseaux.
– Il faut être capable d’accepter la critique et apprendre à défendre ses idées.
– Il faut rester persévérant et passionné parce queLa réussite ne vient pas du jour au lendemain.
Réussir en art, en design ou en architecture d’intérieur exige une passion sincère, un travail rigoureux etunecapacité d’adaptation.
Q12 / Selon vous, quelles sont les qualités essentielles qu’un artiste ou un designer doit cultiver pour réussir aujourd’hui ?
R12 / Pour réussir aujourd’hui, un artiste, designer ou architecte d’intérieur doit avoir des qualitéscréatives, techniques et humaines.
– Il doit être créatif et innovant.
– Il doit être curieux et ouvert d’esprit.
– Il doit avoir le sens de l’observation.
– Il doit maîtriser les outils et les technologies numériques.
– Il doit avoir la capacité à raconter une histoire et développer une narration visuelle.
– Il doit avoir le sens du détail et exigent au niveau de la qualité de son travail.
– Il doit être doté d’une adaptabilité et flexibilité.
– Il doit avoir un esprit critique et une capacité à accepter la critique.
– Il doit être persévérant et discipliné.
– Il doit avoir la capacité à collaborer et à créer un réseau.
En combinant ces qualités, un artiste ou designer peut laisser son empreinte et bâtir une carrièreépanouissante et reconnue.