Mohamed Nait Youssef
Notre pays regorge d’un patrimoine naturel, matériel et immatériel inestimable, riche et fabuleux. En effet, chaque région ayant des spécificités culturelles, artistiques et patrimoniales contribue à la constitution de notre grande Histoire et sa singularité. À plus de cent kilomètres de route au nord de Zagora, dans la région Draa Tafilalet, le site d’Aït Ouazik, un patrimoine rupestre exceptionnel, est sans doute l’une des anciennes traces de la présence humaine sur la terre marocaine. À une vingtaine de kilomètres du village de Tazzarine, une piste mène vers les gravures rupestres les plus célèbres et les plus importantes du Sud marocain. Ces musées à ciel ouvert donnent à voir les premières traces d’une présence d’hominidés sur la terre marocaine et des gravures rupestres anciennes remontant à 5000 av JC.
Des milliers de dalles parsèment le sol
Ces pétroglyphes datant de la fin du Néolithique ont été gravés à une époque où la savane recouvrait le désert ; car à cette époque, la région Aït Ouazik fut une steppe.
Ancien lit de rivière, le site rassemble des milliers de dalles, parées d’incisions souvent très fines et complexes, parsemant le sol sur plusieurs hectares. Celles-ci sont ornées de gravures rupestres, réalisées par incision ou polissage fin de la roche, souvent d’une grande finesse. Que de découvertes illustrant la faune de l’époque : éléphants, antilopes, rhinocéros, girafes et félins. On y aperçoit également une rivière, des outils, ainsi que diverses formes complétant ce vaste répertoire. Par ailleurs, ces gravures sont le reflet d’une sédentarisation déjà bien avancée et d’une maîtrise relative des techniques agricoles.
Ancien lac asséché, désormais envahi par le désert, le site témoigne d’une époque où le Sahara était verdoyant et peuplé de nombreuses espèces et d’animaux aujourd’hui disparus de la région, tels que l’éléphant, la girafe, et l’antilope.
De l’art et de la manière
Ils avaient de l’art et de la manière. Les chasseurs-pasteurs et les ‘’artistes’’ de l’époque excellaient, par le biais d’une expression artistique fine, dans la réalisation de ces gravures préhistoriques du Mésolithique. Réalisées par incision et polissage minutieux de la roche, les représentations et figures, souvent très fidèles, de la faune de l’époque, entre autres, rhinocéros, échassiers, canidés, témoignent de cet art à part entière. «L’image rupestre marocaine est… marocaine, si l’on veut bien me passer ce truisme élémentaire, en ce sens que cette expression rupestre est d’une totale originalité, même si elle demeure culturellement profondément maghrébine, saharienne, dans le choix des sujets traités. », a écrivait Alain Rodrigue dans l’avant-propos de son livre intitulé « Images rupestres du Maroc», Editions L’Harmattan. Et d’ajouter : «C’est bien la le très grand intérêt de l’image rupestre marocaine. Dans toute la zone sud-maghrébine qui a très probablement joué le rôle de refuge pour les pasteurs venus des pâturages perdus au cœur de ce qui devenait le plus grand désert du monde, les conditions géologiques, topographiques, hydrographiques du Maroc, constituent, en se conjuguant, une opportunité d’expression picturale d’exception. »
A vrai dire, l’image rupestre marocaine est extrêmement riche. Dans cette optique, le Sud marocain est une source inépuisable de gravures rupestres et de trésors de l’art rupestre.
«Le Sud marocain, et plus exactement la bande transatlasique étroite qui s’étend de Figuig à Assa, est certainement l’endroit du Maghreb qui a vu les derniers éléphants, les derniers rhinocéros, les dernières girafes ayant vécu sur la rive septentrionale de l’actuel désert du Sahara. Au nord de cette zone, les contreforts de l’Atlas sont quant à eux l’unique endroit du Maghreb qui puisse témoigner avec autant d’évidence de l’extraordinaire aventure de la métallurgie, directement importée d’Europe.», expliquait Alain Rodrigue.
De l’image à l’écriture, les richesses archéologique, scientifique et artistique des pétroglyphes et du patrimoine rupestre ont contribué d’une manière ou d’une autre à lire, voire à comprendre l’histoire humaine, ses origines et son évolution au fil des années et des siècles. Un défi assez difficile que les spécialistes tentent de relever.
«Mais tout a une fin cédant peut-être le pas à l’écriture, peut-être bannie par de nouvelles mythologies aniconiques, la pratique de l’image rupestre disparaît. Pour les images qu’ils laissaient derrière eux, les graveurs et les peintres n’ont laissé aucune notice explicative, le sens de la plupart de leurs dessins restant à jamais crypté. Comme toutes les images rupestres du monde, les gravures et les peintures du Maroc sont des squelettes auxquels les préhistoriens de l’art tentent de redonner quelques chairs en les scrutant, les inventoriant, les classant… mais en continuant d’ignorer les raisons profondes de leur existence.», estimait l’auteur des « Images rupestres du Maroc», Alain Rodrigue.
Retombées et défis…
La valorisation, la sauvegarde et la promotion de ce patrimoine est désormais une nécessité vu son importance à la fois historique, scientifique, archéologique et même économique. En effet, en préservant et en exploitant le site d’Aït Ouazik, les retombées touristiques seront certainement bénéfiques sur la région et sa population. Les sites rupestres marocains, dont de nombreux sont riches en gravures rupestres, restent méconnus du public. Témoins d’une longue histoire et d’une civilisation millénaire remontant à plusieurs siècles, les sites des gravures rupestres présentent une véritable opportunité pour développer le tourisme culturel et encourager la recherche scientifique sous toutes ses facettes. De nos jours, il faut dire de nombreux sites font face aux défis de la dégradation et aux éventuels risques de démolition, comme ce fut le cas en 2022 lorsqu’un agriculteur a saccagé le site archéologique «Ouakhir» pour y aménager une ferme agricole destinée à la culture de la pastèque.
D’où l’urgence et l’importance de la protection de ce patrimoine et de la gestion adéquate de son environnement afin d’en tirer davantage profit au service du tourisme et de l’économie régionale et nationale.