Le théâtre n’a jamais été une recette sur commande, mais une création libre et provocatrice

Plus de cinq décennies, sans relâche ni répit, Abdelkader Ababou s’est donné, corps et âme, pour le théâtre engagé. Sans contrepartie ni profit aucun, il s’est attelé à la cause de l’art, avec ferveur et altruisme hors pair. «L’art dramatique est un message, une position et une contribution au bonheur et à la prospérité des individus !», ne cessait-il jamais de prodiguer, à travers ses multitudes recherches et trouvailles.

Son discours théâtral n’est jamais fortuit ni paresseux, tout au long de son parcours laborieux, depuis les années 60 où le théâtre était, au sein des jeunes amateurs, synonyme de mouvement de refus et de négation contre l’injustice, l’exploitation et l’oppression. « On ne peut se permettre de se consacrer au théâtre pour ne rien dire ni faire parvenir. Ce serait faire perpétuer le théâtre idiot qui stigmatise l’intelligence du récepteur et maintient la médiocrité dans la société ! », tonne-t-il, à ce propos, tout en prônant le théâtre de la raison, de la création et du renouveau.

En effet, le palmarès du dramaturge marocain, connu pour son école artistique, axée sur l’interaction dialectique de tous les ingrédients du spectacle, a constamment excellé par la pertinence du traitement messager, le raffinement de tout le dispositif artistique et la finesse du jeu. Tout d’abord, la rencontre de deux tendances théorique et pratique complémentaires, longtemps mises à contribution, à savoir le troisième théâtre (Al Masrah At Talit) dont il est l’un des artisans, en compagnie de Meskini S’ghir et Saadallah Abdelmjid, en particulier et le théâtre dialectique (Al Masrah Al Jadali) dont il est l’instigateur de prédilection, lui confère une position privilégiée dans l’échiquier dramatique national, en termes d’expérimentation et de créativité dans l’art du théâtre universel.

De ce fait, les œuvres d’Abdelkader Ababou, sont curieusement suivies où son empreinte était visiblement mise en évidence. Toujours fidèle à sa touche singulière, inspirée du Théâtre dialectique (Al Jadali), il imprime à ses pièces, un habillage scénique aussi bien fonctionnel, interpellant qu’esthétique. Sans jamais tomber dans l’inertie ni la redondance, l’arrière scène, suscitant à merveille la convive du public, saisi par le charme des couleurs cohérentes et des mouvements provocateurs, demeure, tout au long du spectacle, le piédestal interactif de toutes les séquences admirablement mises en avant, d’une manière fluide et ascendante, à l’image de la reconversion des différents objets sur scène, en ambiance hilare et libératoire. En harmonie avec cette ambiance scénique imposante, les costumes et les accessoires, imprégnés dans un souci manifeste de cohérence et de synchronisme, sont toujours savamment présentés, au grand bonheur des sens. Rien n’est laissé au hasard, pas même le moindre objet qu’on peut juger banal et insignifiant, pour rassembler une entité habilement proportionnée et dextrement dimensionnée. Les couleurs et les volumes sont alors somptueusement disposés conformément aux atmosphères incarnées, sans pour autant verser dans la cacophonie ni le superficiel.

Perfectionniste qu’il a toujours été, Abdelkader Ababou veille au détail près et s’en va puiser ses trouvailles dans les sinuosités et les turpitudes du quotidien, au point d’impliquer l’audience dans l’univers où s’affrontent les forces du Bien et du Mal. «Le théâtre n’a jamais été une recette sur commande ni un plat consommé qui ferait plaisir à tel ou tel commanditaire, mais une lecture approfondie du vécu avec toutes ses interactions, ses recoupements et ses interférences. Tous enchevêtrements se devront d’être pris en compte pour prétendre proposer une œuvre profondément humaine, à l’instar des grands classiques du patrimoine dramatique qui sont éternels et dont la postérité ne cesse de s’inspirer au fil du temps !», a-t-il toujours l’habitude de répéter, au sujet de la nature et la visée de l’art théâtral au service de l’humanité.

Ouatfaa (Dans taouratou Azzinj), Mahjouba (Dans Sayyad N’aam), Hadda (Dans Hadda oua zermoumiat), Al Alia (Dans Al Kora Tasaadou ila al qamar)…, autant de noms de femmes, braves et rebelles,  que Abdelkader  Ababou a baptisé dans ses œuvres pour valoriser la place de la femme dans la société et son rôle primordial dans sa liberté et son émancipation. Ce fil conducteur de cette dualité, intervient en tant que telle dans nombre d’affronts de la vie, pour finir dans une réelle noce jubilatoire, baignée doucereusement dans les rythmes féeriques d’Ahidous ou bien d’autres que le metteur en scène allait puiser dans les confins de la badia marocaine. Sous les carcans de la tyrannie virile et les étaux du travail domestique dérisoire, la femme surgit en public pour circonscrire son statut servile. Merveilleusement interprétée par des comédiennes de talent aussi bien à Anouar Souss que Masrah Ounamir, telles Naima Haddadi, Amina Addaou, Kenza Lehkim ou encore Saloua Ababou, la femme, toute fière et déterminée de sa rébellion, bourrée de valeurs et de vertus, cloua au pilori les souillures dans lesquelles on veut l’éclabousser, quoiqu’on ait tenté l’engouffrer dans les méandres de l’obscurantisme aliénant et les balivernes de la chasse éhontée. Avec tous ces chef-d’œuvre, Abdelkader Ababou a donc conquis et séduit le public par ces intarissables innovations puisées dans l’art au sens le plus large du terme dont le chant, la danse, le plastique, les expressions populaires, la chorégraphies… s’entrelacent et combinent parfaitement. C’est ce qu’on appelle tout simplement du Génie.

Saoudi El Amalki

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