400 ans de la naissance de Jean-Baptiste Poquelin
Mohamed Nait Youssef
Le monde célèbre les 400 ans de la naissance de Molière, une des figures emblématiques du théâtre universel. Au menu, des hommages, des spectacles, des pièces de théâtres, des expositions et des conférences mettant en valeur l’œuvre inclassable et hors-pair du dramaturge français. En France et même ailleurs, le bal des célébrations de l’année anniversaire de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, a été donné samedi 15 janvier. Au Maroc, Molière a laissé son empreinte dans le théâtre marocain. La preuve ? Ses textes, les plus célèbres d’ailleurs, ont été adaptés par les metteurs en scène marocains, entre autres, Tayeb Saddiki, Ahmed Tayeb Laâlej ou encore Abdessamad Dinia. Or, l’adaptation de ses pièces a suscité des débats, des controverses et des divergences dans les milieux artistiques et culturels marocains. Retour sur le «Molière marocain».
Molière et la francophonie…
Pour Abdelhak Zerouali, un pionnier du théâtre marocain, Molière était à l’époque l’une des armes du protectorat français pour consolider et renforcer sa présence au Maroc. Pour ce faire, dit-il, il a construit le théâtre municipal, le théâtre d’El Jadida, il avait organisé des activités en invitant des troupes de théâtre françaises à se produire sur les planches pour sa diaspora et séduire en même temps l’intelligentsia marocaine afin d’imposer sa langue et sa culture. Selon lui toujours, la création du centre de Maâmoura, sous la direction d’André Voisin ayant mobilisé des artistes marocains comme Ahmed Tayeb Laâlej, Abdessamad Kenfaoui et d’autres, y est pour quelque chose.
En arrivant au Maroc, les français, explique le maître du monodrame au Maroc, ont ramené avec eux des textes de Molière qu’ils ont distribué un peu partout dont certains intellectuels et créateurs en trouvaient une matière théâtrale riche répondant aux attentes sociales. Par exemple, a-t-il ajouté, la pièce de théâtre «Wali Allah», réalisée par Tayeb Laâlej, qui critique l’homme d’église et de religion, a trouvé son écho dans notre société.
«A l’époque, la terre était fertile pour des écrivains et dramaturges qui optent pour la transplantation ou la marocanisation des textes de Molière qui était très connu par le public. C’est ainsi il avait laissé son empreinte dans l’expérience théâtrale marocaine.», a-t-il affirmé dans une déclaration à Al Bayane. Et d’ajouter : «ceci n’empêchait pas de s’ouvrir sur ce grand homme de théâtre et dramaturge, mais à l’époque il a été utilisé pour imposer la francophonie.»
A l’époque, il y avait Tayeb Laâlej, Abdessamad Dinia, qui était l’un des spécialistes de Molière, puis Abdelatif Dachraoui, a-t-il souligné. «Dans les années 60 et 70, on avait une contre-allée théâtrale, car on était à la quête d’un nouveau théâtre puisé dans notre patrimoine populaire ainsi que dans les textes romanesques marocains et arabes pour se libérer de cette ‘’occupation intellectuelle’’. C’est pour cette raison il y avait une réticence et résistance envers Molière sachant qu’il est grand dramaturge et homme de théâtre. Or, le contexte où il a était utilisé était particulier et sensible.», a-t-il fait savoir.
Molière et Saddiki : deux créateurs de la liberté de penser
Dans son portrait «Tayeb Saddiki, le bon, la brute et le théâtre», paru chez Virgule Editions, l’écrivain et critique de théâtre, Ahmed Massaia apporte un éclairage sur le rapport de Tayeb Saddiki avec l’œuvre de Molière. «Tayeb Saddiki a souvent été accusé d’être le serviteur de la francophonie, voire même le «suppôt de ceux qui nous avaient colonisé, la France, en particulier, Molière avec.», peut on lire dans la page 40 du livre.
Par ailleurs, Saddiki avait monté trois grandes pièces de théâtre à savoir «Les sept grains de beauté», «Nous sommes faits pour nous entendre», ou encore «Molière ou pour l’amour de l’humanité» qui ont fait le tour des pays francophones.
«Après la traversée du désert et la fulgurante réussite du Livre des délectations puis l’expérience de la troupe arabe », Tayeb Saddiki semble éprouver le désir de dialoguer avec le monde. Il s’est débarrassé de cette responsabilité qui pesait sur lui en tant que l’un des leaders de la création théâtrale arabe, d’autant plus qu’il fut longtemps critiqué sur ses positions sociales et idéologiques, comme étant « le suppôt » du pouvoir et de l’Occident, de la France en particulier. », souligne Massaia dans la page 139 du livre, tout en ajoutant que ‘’ Molière ou pour l’amour de l’humanité’’ est un hommage à son maître, Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière.
À travers l’évocation du «Patron de la Comédie», de son œuvre et de ses personnages célèbres, le dramaturge, écrivait toujours Massaia, porte un regard incisif et burlesque sur les sociétés contemporaines, sur la religion et l’intolérance, sur «les ravages du fanatisme », sur le langage et ses subtilités rhétoriques.
«Non seulement Molière est le prétexte de cette belle création où Saddiki règle ses comptes avec les extrémismes, mais une réponse claire à ceux qui l’accusaient de pactiser avec le néocolonialisme.», a-t-il rappelé.
Tayeb Laâlej : le «Molière marocain» enraciné
Les œuvres d’Ahmed Tayeb Laâlej témoignent de cette ouverture sur les grands textes du théâtre universel dont ceux de Molière. En darija, il a adapté «Le bourgeois gentilhomme», «Le malade imaginaire» de Molière sur les planches. En effet, ses pièces dont «Amayl Jha», «Wali Allah», «La djellaba de l’élégance », «Qadi Lhalqa», «Ennachba» sont le fruit de ses adaptations de cet auteur incontournable.
«Au début, il s’est inspiré des contes, et après, il a adapté Molière. Laâlej était l’un des dramaturges qui savait écrire et trouver une place au personnage du ‘’rusé’’ qui peut changer la donne et créer des situations comiques à travers ce genre de personnages. A vrai dire, il s’est inspiré des personnages de Jha et Molière. Il a beaucoup adapté des textes et des œuvres théâtrales, mais a écrit aussi, dont près de 200 textes qui ne sont pas tous joués, sans parler du zajal et de la chanson.», nous affirme le dramaturge et metteur en scène, Bouhcine Massaoud ayant travaillé sur l’un des textes de Laâlej , « Ennachba». A la fois, sculpteur de mots, chercheur dans le patrimoine populaire marocain, Tayeb Laâlej a mêlé entre tradition et modernité, localité et universalisme.