Numérique: Nous sommes tous tracés!

«Les écoliers de l’an deux mille, auront l’école à domicile…». Qui  se souvient encore de cette chanson de Gérard Lenorman, (Ça va, 1979) ? Le célèbre chanteur français, auteur notamment de La ballade des gens heureux, devrait être aujourd’hui ravi de voir se concrétiser une partie du programme annoncé par sa chanson. Une grande partie des écoliers de la planète sont en effet réduits à suivre leurs cours à partir de leur maison…entre temps une pandémie est passée par là et surtout grâce au numérique.

L’une des conséquences majeures et avérée de cette pandémie est l’accélération de la mutation numérique. L’effet transformateur du numérique était déjà là, influençant au jour le jour notre comportement mais cela se passait presque d’une manière tacite.

Comme une évidence. En outre, le numérique autant il était de plus en plus omniprésent, autant il n’était pas pris au sérieux ; soit sous-estimé, soit réduit à sa seule dimension ludique : les jeux vidéo, les Smartphones. Avec la crise actuelle, le réveil pour certains fut cauchemardesque : la plupart des services proposés par l’Etat pour faire face à la pandémie passent par un outil numérique. Le patron qui cherche à échelonner ses dettes ou à bénéficier de nouvelles facilités administratives doit être équipé « intelligent ».

A l’instar  et sur un pied d’égalité avec les franges les plus démunies qui sont invitées à réussir leur passage au numérique pour bénéficier des aides sociales débloquées face à la crise. Pour vivre ou tout simplement survivre, il faut être connecté.  «Ne vous déplacez pas, allez sur notre site» ! C’est désormais le mot d’ordre en vigueur dans différents services, du secteur public comme du privé. Le nouveau paradigme qui dicte les relations sociales. La nouvelle configuration qui préside au mode de vie des temps modernes. Il nous faudrait un retour de  Charlie Chaplin pour nous faire rire des  Charlot que nous sommes face à ce qu’il faut bien appeler la dictature de l’algorithme.

La révolution numérique a fini par toucher tous les étages de la vie publique, certains parlent déjà des «villes intelligentes » ou «smart city» et une grande partie de la vie privée. Le tournant qui s’amorce n’est pas seulement technologique, il faut bien être conscient  qu’il a des implications profondes sur les pratiques sociales.

L’évolution de la technologie elle-même montre que nous sommes passés du mode « exécution de la commande »  à un mode où l’algorithme tend à influencer nos désirs et nos manières de faire ; il ne choisit pas encore à notre place, mais il crée un environnement tel que nos décisions «libres» sont quasiment orientées. C’est l’effet incitatif et stimulateur du désir.

Le monde est traduit en une succession de «bits (01 – 00). Le découpage du réel, la mémorisation systématique qu’il autorise fait que notre existence entière est tracée. Avec les maisons intelligentes, les bracelets, montres ou lunettes connectés nos flux physiologiques sont définis. Chaque séquence de la vie humaine est explorée. Dans sa Critique de la raison numérique, Éric Sadin va jusqu’à parler «d’une nouvelle normativité, celle des algorithmes, d’un «data-panoptisme», d’une quantification intégrale de la vie et d’un techno-pouvoir – bref d’une nouvelle anthropologie, exponentielle et totalisante».

Il y a péril en la demeure ? Menaces sur nos libertés ? L’interrogation est légitime. Notre pays a connu, ces dernières semaines, un début de débat public sur cette intrusion numérique dans la vie des citoyens à l’occasion du « traçage » instauré par la sûreté nationale pour mieux contrôler les déplacements des véhicules lors de la période du confinement. On nous rassure que la décision n’a été appliquée qu’après avis de la commission nationale de contrôle de  la protection des données à caractère personnelle (CNDP). Une protection institutionnelle, c’est bien ; une vigilance citoyenne, c’est encore mieux.

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