Des ouvriers agricoles nicaraguayens exposés pendant des années à un pesticide toxique ont demandé lundi à la justice française de faire appliquer un jugement rendu dans leur pays et resté lettre morte, pour obliger trois multinationales à les indemniser.
Ils sont plus de 1.200 anciens ouvriers de bananeraies à avoir saisi la justice civile française, en raison de sa proximité avec le droit nicaraguayen: leurs avocats demandent l' »exequatur », une procédure qui consiste à faire exécuter en France – et dans toute l’Union européenne – une décision rendue par une juridiction étrangère.
En 2006, la justice nicaraguayenne avait condamné Shell, Dow Chemical et Occidental Chemical à verser aux victimes 805 millions d’euros de dommages et intérêts, soit près d’un milliard de dollars avec les intérêts.
Bien que confirmé en appel puis en cassation en 2013, ce jugement n’a jamais été appliqué « car ces sociétés ont retiré tous leurs actifs matériels du Nicaragua », selon l’avocat historique des paysans, Me Gustavo Antonio Lopez.
« Ces multinationales n’ont jamais été présentes dans le pays », a affirmé à l’audience Jacques-Alexandre Genet, avocat de Dow Chemical, réfutant toute responsabilité des fabricants.
Au centre du dossier, un pesticide, le DBCP, qui était utilisé dans les bananeraies pour venir à bout des nématodes, de petits vers ravageurs présents dans le sol et les racines des bananiers.
Ce produit a été commercialisé en Amérique centrale par les trois multinationales jusqu’en 1983, sous le nom de Nemagon ou Fumazone.
Interdit aux Etats-Unis depuis 1977, le DBCP est accusé d’être à l’origine de stérilité, d’infertilité ou de cancers, mais aussi de « troubles neurologiques pouvant aller jusqu’à la cécité », a souligné Pierre-Olivier Sur, l’avocat français des plaignants.
Au Nicaragua, ils seraient « près de 17.000 travailleurs » à avoir été intoxiqués par ce pesticide, largement répandu dans les plantations, a affirmé Me Sur.
« Le lien de causalité ne tient pas, a rétorqué Me Genet. Il ne suffit pas d’avoir travaillé, parfois une journée, dans une bananeraie pour développer des troubles de la fertilité ».
La défense accuse le dossier d’être « monté de toutes pièces », avec « des preuves effarantes » telles que de « faux témoignages » ou encore de « faux résultats d’analyses de laboratoires ».
Des accusations balayées par Me Lopez: la fraude invoquée ne concerne pas cette affaire mais « d’autres procès qui n’ont rien à voir avec le nôtre ».
« Nous avons la morale et l’équité avec nous, a déclaré Me Sur à l’issue de l’audience. Les juges français ont la compétence d’analyser ce qui a été fait par les tribunaux nicaraguayens ».
Le tribunal tranchera le 11 mai. Une décision favorable aux plaignants ouvrirait la voie à une saisie d’actifs des groupes attaqués, qui pourront toutefois faire appel.