Casablanca est une ville invivable, mal conçue et source de tous les maux. C’est le constat auquel sont parvenus les participants à la table ronde organisée, vendredi 19 janvier, par le Comité du suivi de la chose locale du Grand Casablanca relevant du Parti du progrès et du socialisme (PPS). Placée sous le thème «La problématique de la gestion des grandes villes : cas de Casablanca», cette rencontre fut une occasion non seulement pour dresser un diagnostic mais aussi afin d’établir des pistes alternatives permettant de dégager des solutions, comme l’a souligné, Ahmed Boukioud, modérateur du débat et membre du Comité central du Parti.
Prenant la parole, Abdelouahed Souhaïl, membre du Bureau politique du PPS a essayé, au début de son intervention, de tracer le processus de développement des villes du Royaume depuis l’indépendance jusqu’à nos jours et ce, en mettant l’accent sur le fait que l’urbanisation est devenue un fait englobant qui n’épargne aucun pays dans le monde. C’est le cas d’ailleurs pour le Maroc où 65% des habitants résident actuellement dans les centres urbains. Et d’ajouter que cette tendance va s’accentuer davantage pour dépasser les 70% à l’horizon 2025. Selon le conférencier, cette transition est due à des facteurs tributaires essentiellement d’une démographie galopante et du passage d’une économie pastorale à une économie plus moderne. Une telle situation a contraint les habitants du monde rural à fuir la pauvreté en se dirigeant massivement vers les villes, en quête de nouvelles opportunités. Cela étant, la cité est devenue un espace de mobilité sociale de plus en plus sollicité par les Marocains, étant donné que sa contribution à l’économie nationale (industrie, services, commerce) se situe aujourd’hui à la hauteur de 80%. Devant une telle situation, il a indiqué que les villes du Royaume se trouvent face un véritable défi au vu des attentes énormes des citoyens.
«Les villes du Maroc seront dans l’obligation d’assurer plus de 250 mille emplois dans les années à venir», a-t-il noté en substance.
Abondant dans le même ordre d’idées, Abdelouahed Souhaïl a indiqué que durant la transition démographique qu’a connue le Maroc, le développement des villes du Royaume, face à l’exode rural exode massif, s’est effectué dans un cadre anarchique. En termes plus clairs, «le développement des villes a été subi et non planifié», a-t-il déclaré. Et de préciser que «cela a eu des conséquences graves, conjuguées à un coût économique et social élevé : déficit en matière d’infrastructures et d’équipements vitaux, absence de connexion entre les centres urbains…». D’ailleurs, clarifie-t-il, «ce n’est qu’à partir de 2012 qu’on a intégré la politique de la ville dans l’agenda gouvernemental. Il est certes vrai que des efforts incommensurables ont été consentis pour mettre à niveau des villes et rattraper, par conséquent, le déficit enregistré en matière d’infrastructures.
Cependant, on est encore loin des objectifs escomptés. Pour cause, le manque flagrant constaté en matière d’assiette foncière nécessaire», a-t-il affirmé. C’est ainsi que, afin de concrétiser la stratégie de l’Etat, il faut mobiliser au moins 300 mille hectares au lieu de 100 mille.
La gouvernance, l’autre défaillance
Il faut dire, selon l’économiste du PPS, que l’absence d’une planification a eu des effets néfastes sur le développement des villes, notamment Casablanca et qui se résument par «la fragilité de son économie, des disparités abyssales entre les classes sociales, déchirement des relations sociales, conditions de vie qui laissent amplement à désirer, pénurie des infrastructures routières et structures de loisirs, prolifération d’une économie informelle. C’est comme si on assistait à une «ruralisation de nos villes». D’une manière ou d’une autre, «le développement des villes n’a pas été accompagné par des mesures et actions efficientes visant le confort des citoyens», a-t-il insisté. Souhaïl a fait remarquer que le parc automobile de Casablanca connait une croissance accrue, soit environ 40 mille voitures par an, sans que cela ne pousse les décideurs de la ville à concevoir des solutions pragmatiques.
En fait, la problématique de la gestion de la ville de Casablanca relève de son mode de gouvernance, a martelé l’intervenant.
«Depuis l’indépendance, la ville a été tiraillé entre deux pouvoirs local et central et on a œuvré pour développer un mode de gestion des villes et, d’une manière voulue, avec une approche sécuritaire et hors de la représentation démocratique», a-t-il asséné.
«La finalité a été davantage de maitriser le citoyen dans une logique qui favoriserait une économie de la rente et des relations clientélistes, tout en privilégiant les notables qui avaient un pouvoir faible alors que le pouvoir réel revenait au ministère de l’intérieur », a-t-il déclaré. Cette logique va prévaloir jusqu’en 2003 où on a essayé de rectifier le tir, sachant que la responsabilité de l’Etat est indéniable.
En fait, selon Souhaïl, un véritable projet de développement des villes requiert trois éléments indispensables : un gouvernement local démocratiquement élu, une vision en bonne et due forme et de la compétence.
Renforcer l’orientation écologique
De son côté, Dalila Loudiyi, professeure universitaire, a évoqué dans son intervention la question du développement des villes en lien avec la responsabilité des entités territoriales concernant la gestion des services de proximité. Pour elle, l’évolution non- maitrisée de l’espace urbain de Casablanca a eu des conséquences perverses, marquée principalement par l’émergence de nouveaux quartiers qui ne répondent nullement aux standards requis et aux paramètres vitaux du logement décent. Argument à l’appui, la spécialiste de l’environnement a relevé le problème des espaces verts, faisant ainsi savoir que chaque Casablancais ne dispose que de 0,5 m2 de surface de verdure, alors que la norme requise par l’Organisation mondiale de la Santé doit se situer au minimum à 10m2 pour chaque citoyen. Aussi, elle a appelé à favoriser la mixité sociale et urbaine afin de mettre un terme aux disparités spatiales.
S’agissant de la gestion des eaux usées, Dalila Loudiyi a dévoilé que hormis la zone de Sidi-Bernoussi, les eaux usées (80%) ne subissent qu’un prétraitement au lieu d’un traitement qui va de pair avec les normes écologiques. La chercheure universitaire a invité les décideurs à penser à d’autres méthodes plus innovantes qui respectent les normes environnementales, faisant allusion dans ce sens à la ville de Fès où les déchets sont utilisés pour la production du biogaz.
Sur un autre registre, Abdelilah Chiguer, membre du PPS et vice président du Maire de Casablanca, a présenté un bilan de la stratégie de la Commission de développement économique et social qu’il préside. A l’entendre, la stratégie du Conseil consiste avant tout à apporter le soutien aux familles défavorisées tout en veillant à la fois à soutenir le tissu de la société civile et les associations porteuses de projets de développement durable. Abdelilah Chiguer a révélé que le Conseil a soutenu plus de 27 associations à caractère social avec un montant s’élevant à plus d’un million de DH en 2016 et 160 associations en 2017 avec une enveloppe budgétaire dépassant les 4 millions de DH.
Qui plus est, le Conseil de la ville n’a cessé de soutenir les projets en faveur des femmes et enfants en situation difficile en établissant des contrats de convention avec de grands établissements visant la lutte contre les maladies de cancer et ceux qui souffrent de déficit rénal, a-t-il noté.
Par ailleurs, Ahmed Zaki, membre du Bureau politique du PPS, a insisté sur le renforcement de l’orientation écologique dans le mode de gestion communale. Pour le militant du PPS, il est regrettable de procéder à la gestion de la ville sans avoir une vision claire et sans prendre en considération les attentes des citoyens. Et il est force de constater que «c’est la logique de privatisation qui prévaut dans la gestion de la ville de Casablanca», a-t-il déclaré avec insistance. Pour étayer ses propos, il fait allusion au cas de la société Lydec qui réalise des bénéfices exorbitants au détriment des citoyens et sans tenir ses engagements inclus dans le cahier des charges, au moment où tous les Etats du monde récupèrent la gestion du secteur de l’eau, un secteur qui ne devrait pas être soumis au diktat des entreprises privées.
De son côté, Mustapha Mandour, membre du Comité central du PPS, a procédé à une évaluation de l’expérience actuelle du Conseil de la ville de Casablanca, considérant que le système de l’unité de la ville est un fiasco à tous les étages. D’ailleurs pour lui, la question de l’urbanisme et celle de l’aménagement du territoire se trouve à la merci de la mafia du foncier, tout en mettant l’accent sur le fait que les programmes de recasement des bidonvillois et ceux des habitats menaçant ruine ont été appliqués de manière forcée et sans tenir compte des attentes des familles concernées.
Khalid Darfaf