Trottinettes électriques : entre engouement populaire et flou réglementaire

Mobilité urbaine au Maroc

Par Mohamed Mostaphi

Longtemps cantonnées aux loisirs pour enfants, les trottinettes électriques se sont imposées comme un véritable mode de transport du quotidien dans les grandes villes marocaines. Compactes, pliables, rapides et relativement accessibles, elles séduisent une population jeune en quête de mobilité pratique et économique. Pourtant, derrière cet engouement fulgurant, se cachent des zones d’ombre : qualité inégale, insécurité croissante, et vide juridique inquiétant. À Casablanca, au cœur de Derb Ghallef, nous avons rencontré vendeurs et utilisateurs pour mieux comprendre les dessous d’un phénomène en pleine accélération.

Un marché en plein boom… mais disparate

« Nul ne peut nier que la trottinette électrique est devenue un moyen de transport populaire ces dernières années, offrant une alternative pratique et écologique aux moyens de transport traditionnels », affirme Adil Maali, jeune vendeur à Casablanca. Depuis 2021, il tient une boutique spécialisée dans les trottinettes neuves et d’occasion. Il nous explique que la provenance des produits est variée : « Beaucoup viennent de Chine, avec des niveaux de qualité très différents selon les marques. Mais certaines marques occidentales sous-traitent aussi en Chine avec des cahiers des charges beaucoup plus stricts. »

Les modèles haut de gamme, fabriqués parfois en Europe ou en Amérique du Nord, offrent des garanties de fiabilité supérieures. Aluminium renforcé, moteurs plus puissants, systèmes de freinage optimisés, autonomie étendue : ces caractéristiques séduisent une clientèle exigeante. Mais à l’autre bout du spectre, des modèles bon marché, mal assemblés et peu durables envahissent aussi le marché, notamment via les plateformes sociales.

Une révolution portée par les réseaux sociaux

Instagram, TikTok, Facebook, YouTube… les trottinettes électriques sont partout. Des vendeurs y créent des pages dynamiques, postent des vidéos de démonstration, lancent des “giveaways”, et s’associent à des influenceurs pour élargir leur audience. Certains organisent même des journées de promotion type “Black Days”, avec des réductions parfois spectaculaires.

Au-delà de la simple vente, ces plateformes deviennent des espaces de conseil et de service après-vente. « Les meilleurs commerçants offrent des services complets : livraison dans tout le Maroc, paiement en ligne sécurisé, retour possible en cas de panne, et même des garanties techniques », explique Adil Maali. De plus en plus de jeunes se tournent aussi vers les modèles d’occasion ou légèrement endommagés, à prix réduits, mais non sans risque.

Le cas Driss : quand la trottinette change la vie… et complique la route

À 17 ans, Driss El Ghettass a troqué les bus bondés et les retards matinaux contre une trottinette électrique. « C’est rapide, pratique, silencieux. Je gagne du temps, et je suis moins fatigué en arrivant au lycée », confie-t-il. Mais tout n’est pas rose. Sa batterie perd en autonomie, les routes cabossées malmènent son engin, et l’absence de pistes cyclables le met en danger chaque jour.

« On se fait klaxonner, insulter… Les voitures ne nous respectent pas. On roule entre les piétons et les motos, dans un chaos total. Et beaucoup de jeunes roulent sans casque, en téléphonant, ou en écoutant de la musique à fond. C’est dangereux. »

L’urgence d’un encadrement légal

Driss et ses amis attendent une réglementation claire. « Il faut des règles : où rouler, à quelle vitesse, quel équipement porter… Sinon, les accidents vont se multiplier. Et en cas de chute, sans assurance ni casque, c’est la catastrophe. »

Un constat partagé par la NARSA (Agence nationale de sécurité routière). Selon ses données, plus de 1 400 usagers de deux-roues motorisés ont perdu la vie en 2022, dont 44 % de jeunes entre 15 et 29 ans. Même si les trottinettes ne sont pas encore comptabilisées séparément, leur usage croissant inquiète.

En octobre 2024, le ministre du Transport et de la Logistique, Mohamed Abdeljalil, a enfin annoncé l’imminence d’un cadre juridique pour encadrer ces véhicules. Ce projet de loi, en phase finale de validation, vise à combler un vide qui dure depuis trop longtemps. Il devrait introduire des règles de circulation, des obligations d’équipement, une limite de vitesse (souvent fixée à 20 km/h), et peut-être des amendes pour les infractions.

Mais en attendant, rien n’est encore appliqué sur le terrain. « C’est bien beau de promettre », soupire Driss, « mais sur la route, c’est toujours la jungle. »

Conseils de sécurité pour une conduite responsable

Face à cette situation, certains usagers tentent de s’autoréguler. Driss, par exemple, recommande à ses pairs de toujours vérifier le bon fonctionnement des freins et lumières, d’utiliser un avertisseur sonore, de brider la vitesse à 20 km/h maximum sur voie publique, de ne pas dépasser 6 km/h sur les trottoirs, de porter un casque et des gants adaptés et d’éviter toute distraction au volant (musique, téléphone…). Autant de réflexes de bon sens, mais encore trop peu suivis par la majorité.

Une révolution en quête de maturité

La trottinette électrique incarne parfaitement les paradoxes de notre époque. Moderne mais encore marginale, écolo mais parfois jetable, rapide mais risquée, elle bouscule les codes de la mobilité urbaine. Elle ouvre de belles perspectives pour une ville plus fluide et moins polluée, mais ne pourra atteindre sa pleine maturité sans un cadre légal rigoureux et une prise de conscience collective.

À l’heure où le Maroc ambitionne de devenir une vitrine de modernité et d’innovation, il est urgent que la loi accompagne ces évolutions sociétales. Pour éviter que la promesse d’une mobilité douce ne se transforme en mirage motorisé.

  • « Un moyen de transport devenu incontournable pour la jeunesse urbaine »
  • « En l’absence de loi, les usagers évoluent dans un vide juridique dangereux »
  • « Le gouvernement promet, mais les rues restent sans règles »
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