Pour une économie de l’attention

La nouvelle denrée rare de l’ère numérique

Tous les stratèges du marketing, comme ceux de toutes démarches de communication, vous le confirmeront: le nouveau défi majeur aujourd’hui est: comment retenir l’attention.

Comment susciter (et surtout le maintenir) l’intérêt de l’interlocuteur- récepteur, public cible, spectateur, lecteur…- pour le discours/le message que vous lui adressez. Capter l’attention reste une entreprise ardue surtout par les temps qui courent où les sollicitations multiformes et pluri-supports empêchent la concentration ; notamment une concentration continue. Certes, c’est une problématique ancienne et qui a constitué une équation complexe  pour les spécialistes de la rhétorique depuis la nuit des temps.

Une des figures essentielles qui ont été forgées dans ce sens par les rhéteurs sont celles qui visaient à retenir l’attention du lecteur d’emblée. C’est le cas de la célèbre figure de style dite «captatio benevelontia» qui consistait en l’art de susciter et retenir l’intérêt par une ouverture de texte, l’incipit, à la fois surprenante, paradoxale…exercice auquel se sont livrés auteurs et dramaturges avec des fortunes diverses. En effet, retenir l’attention n’est pas une bataille gagnée d’avance. Ce n’est pas une évidence. C’est une construction. A notre époque, la dispersion de l’attention est le mal le plus partagé; c’est même devenu un marché pharmacologique florissant : des médicaments de l’attention sont de plus en plus prescrits au point de provoquer de nouvelles dépendances. Parmi les constats de la vie moderne : ce qu’on appelle «l’épuisement cognitif» né de la saturation de l’attention.

Cette dispersion, cette absence de concentration hante les experts du marketing, les agences de publicité. Patrick Le Lay, l’ancien PDG de la chaîne de télévision française Tf1 avait anticipé la question il y a quelques années déjà lorsqu’il avait déclaré aux auteurs du livre Les dirigeants face au changement  «…Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible (…). Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité…». Une déclaration on ne peut plus explicite sur les stratégies qui veillent à l’ordonnancement de notre perception du monde.

Avec le développement du numérique et l’usage social d’Internet la question de pose encore davantage. L’environnement temporel du citoyen aujourd’hui est fait de coupures, de ruptures…le flux temporel jadis linéaire et continu subit une véritable métamorphose ;  les  appels téléphoniques,  les messages, les courriels, les alertes qui s’affichent sur l’écran de l’ordinateur…fragmentent les tâches, dispersent la concentration. Internet occupe notre agenda, phagocyte notre emploi du temps, nous bombarde de distractions et nous impose son programme narratif (des news qui normalement ne nous intéressent pas nous sont imposées).

Que faire alors pour retrouver notre disponibilité initiale, pour reprendre le pouvoir de décision sur nos actes ? La priorité des priorités est de se déconnecter. Si ce n’est définitivement, au moins par intermittence. Sortir de «matrix»; ralentir, regarder, écouter, lire. Reconstruire un nouveau rapport au temps loin du diktat  des marchands qui cherchent à investir une part de notre cerveau.

Mohammed Bakrim

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