«La quête de sens et du bien-être sont les obélisques dans l’ère post-covid»

Trois questions à l’expert Hassan Aboutayeb

Propos recueillis par Safaa Bennour MAP

L’expert en tourisme et développement durable, Hassan Aboutayeb, décrypte à la MAP, les enjeux du développement d’une offre touristique spirituelle marocaine revisitée et de qualité, pour à la fois doper son tourisme interne et faire en sorte de booster le secteur tout entier.

La pandémie de la Covid-19 a paralysé le secteur du tourisme, mais comment a-t-elle changé notre perception du voyage ?

Depuis l’apparition de la pandémie et ses multiples effets psychologiques criants, notamment lors du confinement, les paradigmes de la vie ont profondément été changés pour redéfinir et redimensionner les principales priorités de la vie tant au niveau économique que social.

L’un des besoins vitaux du nouveau mode de vie est étroitement lié au bien être et à la bonne santé physique et mentale de plus en plus recherchés et plébiscités surtout dans le secteur du tourisme.

La demande touristique était déjà caractérisée par des motivations spécifiques et des tendances de « slow tourism » où prendre soin de soi est le trésor caché. De ce fait, les SPAs et les herboristes en plus des lieux magiques à forte connotation religieuse et cultuelle étaient très recherchés, certains segments de marché privilégiaient les retraites sur les séjours …
Certes, cette demande avait ciblé le Maroc comme l’un des hauts lieux du bien-être dans le monde. Marrakech, Agadir… ont connu par exemple une évolution exponentielle du nombre de retraites de yoga en quelques années. Faute de statistiques, le marché n’est pas quantifiable mais on estime que ce repositionnement pourrait n’en être qu’à ses débuts.

Plusieurs destinations au niveau international peuvent être citées comme l’exemple de Bali, cette petite île de 5 millions d’habitants qui met en avant la spiritualité et l’hindouisme, notamment, et réussit à recevoir autant de touristes que le Maroc.

Or chez nous, le soufisme par exemple répond à cette quête par ces aspects d’ouverture, de tolérance, de paix intérieure et d’universalité. Qui ne connaît pas les beaux poèmes des grands maîtres Soufis au Maroc et dans le monde musulman comme le cas de Jalal-Eddine Roumi ? Quelle que soit la religion, chrétiens musulmans juifs et autres, tout le monde a entendu parler de Roumi.

Au Maroc, que promet le tourisme spirituel pour relancer le secteur tout entier ?

Ce créneau touristique pourrait devenir pour notre Royaume l’un des leviers et catalyseurs à même d’assurer une relance touristique pérenne tant attendue. De plus, ce segment du tourisme se manifeste particulièrement résilient aux aléas.

Parmi les traits caractéristiques de ce segment de marché, figurent des personnes soucieuses des aspects spirituels quelles que soient leurs croyances, sachant que le tourisme spirituel dans ses différentes dimensions va au-delà de la pratique religieuse. Elles ont généralement un très bon pouvoir d’achat et sont dotées d’un niveau d’instruction élevé. Ce sont des gens sensibles à la préservation des lieux, de l’environnement, du patrimoine et de la culture et qui participent bien volontiers au développement local. A travers ces expériences de voyage spirituel, ils recherchent la découverte de soi, sagesse et sérénité, en plus du développement personnel et du bien-être.

Par ailleurs, le Maroc est une terre spirituelle par excellence, souvent privilégiée et donnée en exemple au niveau mondial pour la cohabitation des religions depuis des siècles et sa réputation de terre de paix, de convivialité, de tolérance et de coexistence religieuse et spirituelle.

Le Maroc est aussi le berceau de nombreux saints et savants ayant pérennisé cette tolérance et prospérité cultuelle multi-facette de différentes religions et le fief d’un grand nombre de Zaouias, de médersas et écoles coraniques séculaires parmi les plus anciennes au monde … Cela est inéluctablement l’une des composantes de notre identité millénaire transmise de génération en génération et dont les Marocains se sentent fiers.

Aussi, nos montagnes, nos plages, nos oasis, nos déserts, nos sources thermales purifiantes sont autant de lieux propices à la paix de l’esprit et de l’âme, aux marches contemplatives, à la méditation et à l’introspection.
Les touristes sont en quête de lieux isolés, souvent ruraux, pour se reconnecter à la nature et se ressourcer. En revanche, ces lieux devraient respecter les standards de qualité et d’hygiène internationaux en vigueur et répondre également aux exigences de sécurité …

Comment peut-on concevoir et développer des produits et services touristiques pour les visiteurs en quête de spiritualité, aussi bien nationaux qu’étrangers?

Le confinement a été marqué notamment par notre besoin inhérent d’interactions et de partage. Les rencontres avec les habitants locaux feront partie intégrante de ce voyage.

L’appréciation et l’expérience avec les soufis est également très recherchée aussi bien par des Marocains que des étrangers, du fait du rayonnement des lieux de bienfaisance et des Zaouias. La fameuse Zaouia Boutchichia dont des porte-paroles internationaux ont mis en relief la force spirituelle et la beauté de notre riche nation.

Des circuits itinérants peuvent aussi être développés et promus afin de valoir et faire connaître les hauts lieux spirituels de notre Royaume : la mosquée de Tinmel ou encore la Zaouia de Tamegrout, Zaouia Mghimima à Tata ou les Zaouias du Sahara comme celle du Cheikh Maelainine à Es-Smara, … A condition que ces derniers soient valorisés aussi convenablement à des fins touristiques.

Les nombreux « moussems » sont également autant de richesses patrimoniales, offrant de réelles opportunités de développement d’un tourisme spirituel.

Cependant, spiritualité ne rime pas toujours avec frugalité. L’offre doit, dès lors, être structurée et bien conçue afin de répondre aux normes de confort internationales.

Les Ashrams, ces lieux de retraite en Inde proposent ainsi une expérience complète et multidimensionnelle pour tous segments de clientèle avec des tarifs adaptés selon le niveau de confort. Il est tout à fait possible de faire du tourisme expérientiel à travers un pèlerinage ou une retraite de jeûne thérapeutique tout en bénéficiant de la qualité et du confort d’un établissement hôtelier.

La motivation du voyageur reste la même et le fait de diversifier l’offre va donc permettre de toucher des segments plus larges.

Ces produits peuvent aussi être proposés et plébiscités par la clientèle nationale. On peut imaginer des retraites spirituelles de préparation au Hajj ou à la Omra ou le développement d’un tourisme porteur de valeurs citoyennes et responsables et protecteur de l’Environnement, comme cela a été rappelé lors de la conférence internationale de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) sur le tourisme spirituel pour le développement durable.

Selon les estimations de l’OMT, 600 millions de voyages ont un motif religieux ou spirituel de par le monde. Le tourisme spirituel connaît une tendance haussière.

Fort de ce constat, et tenant compte des nombreuses potentialités et spécificités culturelles et spirituelles, le Maroc gagnerait davantage s’il parvient à miser sur ces atouts, encore sous-exploités, et réussit à structurer son offre.

Le Royaume possède toutes les conditions requises en la matière pour se hisser parmi les meilleures destinations de tourisme spirituel, en l’occurrence sa riche culture inspirée de valeurs morales.

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