41ème anniversaire de la disparition de notre camarade le Professeur Aziz Belal
Par Abdeslam Seddiki.
Depuis la disparition tragique de notre camarade Aziz Belal le 23 mai 1982 à Chicago, beaucoup de choses ont été dites, beaucoup de colloques et de rencontres scientifiques ont été organisés sur sa pensée et sa praxis. Nous voudrions à travers ce modeste hommage à la mémoire de celui qui fut et le restera un Homme d’exception, un illustre savant et militant hors pair, évoquer la publication d’un ouvrage préparé par un de de nos camarades, écrivain et journaliste, Lhoussine ELLIAOUI avec l’aimable soutien de la veuve de Si Aziz, Afifa Hilali. Cet ouvrage de plus de 300 pages reprend pour l’essentiel des témoignages des personnalités politiques et du monde académique, ainsi que certains textes inédits du défunt Aziz Belal.
La préparation de cet ouvrage intitulé « Aziz Belal de A à Z » n’est pas une simple collecte d’articles. L’auteur reconnait que cette entreprise s’est étalée sur une période de trois ans. Une période au cours de laquelle, il fallait « dépoussiérer ce patrimoine délaissé, négligé et voué à la destruction, le raviver pour voir enfin se profiler une mémoire et spécialement celle relative à Aziz Belal ». Et l’auteur de préciser : « Il fallait rechercher des textes inédits, les corriger, les saisir, harmoniser leur mise en page. Les archives des Journaux Al Bayane (Arabe et Français) devaient être minutieusement triées pour saisir tout ce qui avait été écrit à l’occasion de cette disparition: hommages d’une centaine de personnalités, y compris les messages de condoléances. D’où l’idée de l’intituler « Aziz Belal de A à Z ». Et c’est justement à ce niveau que le concours de notre amie Afifa Hilali a été décisif.
En procédant à un tel exercice, l’auteur a fait sans conteste œuvre utile. Pour donner un avant-goût à sa lecture, nous nous sommes arrêté à trois contributions.
La première est de la plume d’un autre camarade qui vient tout juste de nous quitter, à savoir Si Khalid Naciri qui a appris la nouvelle de la disparition de son ami et camarade alors qu’il était en mission en Bulgarie. N’ayant pas pu assister aux funérailles, il décrit dans son texte « En hommage à celui pleuré, Seul, à quatre mille kilomètres d’ici » toute la peine qu’il a vécue. « Les mots ont cette double caractéristique d’être aussi bien un vecteur d’expression et de signification que de phrases, parfois en deçà de ce qu’elles voudraient bien dire, un peu vaines en quelque sorte. Parler de la disparition si tragique d’Aziz Belal est sans doute l’une des entreprises d’écriture les plus difficiles, parce que les mots demeurent désespérément incapables de traduire les sentiments de celui qui veut en parler. C’est mon cas ici, comme est celui de tous ses camarades et ses amis qui l’ont connu et aimé, peut-être sans s’en rendre compte jusqu’au jour, où, apprenant la terrible nouvelle, ils s’aperçoivent que la blessure de la disparition est tellement profonde, tellement intense, tellement bouleversante que cela ne peut signifier qu’une seule chose, c’est qu’il occupait une place immense dans nos cœurs à tous. », écrit-il au tout début de son hommage (p 187).
La deuxième contribution, ayant une valeur plus que symbolique, est celle de son fils Youssef, Professeur universitaire et spécialiste de l’islam politique. Youssef qui avait à peine l’âge de 5 ans quand son père Si Aziz nous quitta pour rejoindre l’autre monde. «La pensée émancipatrice d’Aziz Belal face au néocolonialisme dans le Maroc contemporain», telle était son Intervention au colloque sur feu Aziz Belal organisé le 10 et 11 octobre 2013 par l’Université Cadi Ayad de Marrakech. Rappelons que les travaux de ce colloque ont été réunis dans une publication de la revue de la faculté. Ce qui m’a frappé personnellement dans cette contribution de Youssef Belal et c’est en ce sens qu’elle revêt toute son importance et sa pertinence, c’est qu’il se place, comme le faisait de son vivant son père défunt, sur le plan scientifique et objectif loin de céder à une sorte de mimétisme et de paresse intellectuelle. L’amour d’une personne ne signifie pas automatiquement que l’on prenne sa pensée pour une parole divine et sacrée. « S’il est possible pour moi de parler ici de lui, près de trente années après son décès, c’est d’abord parce qu’il a laissé une production intellectuelle conséquente malgré sa disparition prématurée, à l’âge de 49 ans. Parler de lui ici, c’est parler de la possibilité d’une transmission non seulement entre un père et un fils, mais aussi, entre deux intellectuels qui ont choisi des disciplines différentes et deux générations d’intellectuels, qui ont la possibilité d’échanger à partir de traces écrites. Dans l’espace-temps de la lecture et de l’écriture, je suis en mesure de dialoguer avec lui sur des questions qui me préoccupent, nous sommes en mesure de dialoguer avec lui sur des questions qui nous préoccupent aujourd’hui, au Maroc, mais aussi dans le monde arabe et dans les pays du Sud. » (p.255), annonce-t-il d’entrée en la matière.
Et l’auteur de plaider pour une contextualisation de la pensée : « J’aimerais rappeler en quoi les contextes diffèrent et se recoupent. Du fait notamment de l’influence du marxisme, la grille de lecture dominante était largement économique, y compris chez des penseurs de la génération d’Aziz Belal qui n’étaient pas économistes mais historiens,…. ». En ce sens, la pensée d’Aziz Belal ne se limitait pas à l’économie mais se nourrissait des échanges avec les autres disciplines, notamment l’histoire, la sociologie et la philosophie politique.
Je termine cette lecture, sélective nécessairement, de « Aziz Belal de A à Z » par un hommage profondément humain de l’une des étudiants du regretté professeur. Le titre se passe de tout commentaire « tes rires nous étouffaient ». Tu nous ouvrais les larges horizons sur les « icebergs » que cachent les facteurs économiques du développement, et tu nous livrais tout ce monde « des non économiques » avec les «situosités » que recèlent les superstructures, les idéologies …Tu n’oubliais ni les films « abêtissants et abrutissants » auxquels ont droit quotidiennement les peuples du tiers monde sur leur écran petit et grand, ni « Oum Kaltoum » cette cantatrice qui, sur scène, dégageait indiscutablement du magnésium, mais dont les chansons ne conviennent guère aux préoccupations de nos peuples qui ont plutôt besoin de chansons stimulantes d’une « Fairouz » écrit-elle dans un texte condensé de 4 pages qui se termine ainsi : « le projet historique (pour lequel Aziz Belal militait) a existé et continue à exister dans la conscience de nos masses, de nos peuples qui ont été terriblement déçus. Ce projet reste présent dans les aspirations et peut être reformulé et explicité. » Une tâche toujours d’actualité et une pensée en mouvement.