Sionisme, antisionisme et antisémitisme
Mokhtar Homman
Lors du sommet du Mouvement des non-alignés à Belgrade début Septembre 1961, le jeune Roi Hassan II mit en doute que l’on « puisse réparer une injustice envers les juifs persécutés par le nazisme par la pire des injustices envers le peuple innocent et pacifique de Palestine. […] Est-il juste de laisser l’impérialisme braver la conscience humaine en créant de toutes pièces, au détriment de tout un peuple, un État qui constitue un défi au monde arabe et un foyer d’agitation et de conflits ? » (1).
En Octobre 1973, un important contingent de 6 000 soldats et l’unique bataillon de chars (T-54) des Forces Armées Royales prirent part aux combats pour libérer les territoires arabes de l’occupation israélienne (2). Les soldats marocains ont combattu aux côtés des forces syriennes au Golan, et leur bravoure et engagement furent reconnus de tous, y compris par le peuple syrien et même les militaires israéliens (3).
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Cette démonstration de soutien avec la cause palestinienne et arabe a renforcé le Maroc comme acteur clé dans la solidarité arabe. Après la phase militaire, le Maroc va jeter toute son énergie sur le plan diplomatique pour trouver une issue pacifique en faveur de la cause palestinienne et arabe.
La voie diplomatique
Lors du Sommet arabe du 26 au 28 octobre 1974 à Rabat, le Roi Hassan II parvient à unifier les rangs arabes pour reconnaître l’Organisation de la Libération de la Palestine, l’OLP, comme seul représentant légitime du peuple palestinien et pour le soutien unanime arabe à l’OLP pour établir un « pouvoir national » sur tout territoire libéré (4). Les cinq points de la résolution de Rabat sont les suivants (5) :
« La Conférence :
1 – Affirme le droit du peuple palestinien au retour dans sa patrie et à l’autodétermination.
2 – Affirme le droit du peuple palestinien à établir un pouvoir national indépendant sous la direction de l’OLP en sa qualité de seul et légitime représentant du peuple palestinien, sur tout territoire libéré. Les pays arabes sont tenus de soutenir ce pouvoir, lors de son établissement, dans tous les domaines et à tous les niveaux.
3 – Soutient l’OLP dans l’exercice de ses responsabilités nationales et internationales, conformément au principe de la solidarité.
4 – Invite le royaume de Jordanie, la Syrie, l’Égypte et l’OLP à mettre au point une formule afin d’établir leurs relations à la lumière de ces décisions et pour leur application.
5 – Affirme l’obligation de tous les pays arabes de préserver l’unité palestinienne et de s’abstenir de toute ingérence dans les affaires palestiniennes. »
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Ce sommet va donner une impulsion décisive au discours de Yasser Arafat devant l’Assemblée générale de l’ONU le 13 novembre 1974 et à la résolution du 22 novembre 1974 de l’ONU reconnaissant l’OLP comme représentant légitime du peuple palestinien, le droit de celui-ci à l’autodétermination, à l’indépendance et l’admission de l’OLP comme membre observateur à l’ONU.
Le Maroc joua un rôle de médiateur (6) dans le rapprochement entre l’Égypte et Israël ayant abouti aux accords de Camp David en 1978 qui permirent le retour du Sinaï sous souveraineté égyptienne. Toutefois cet accord, où Sadate agit finalement seul, ouvrit une brèche au sein de l’unité du monde arabe, les dirigeants israéliens refusant tout compromis sur les autres territoires occupés.
L’Initiative arabe de paix de Fès
Mais l’évènement marquant a été l’organisation et la réussite du Sommet arabe de Fès du 6 au 9 septembre 1982, au moment où Israël avait envahi le Liban en Juin 1982 pour chasser l’OLP et que le camp arabe était divisé entre les partisans de l’option militaire et ceux de l’option diplomatique.
Le Sommet de Fès réussit, grâce au Maroc, à unifier la position arabe sur une stratégie réaliste, conforme au droit international et forte. Ses résolutions, appelées l’Initiative arabe de paix de Fès, sont les suivantes (7) :
« 1 – Retrait d’Israël de tous les territoires occupés en 1967, y compris Jérusalem-Est.
2 – Démantèlement des colonies édifiées par Israël dans les
territoires arabes après 1967.
3 – Garantie de la liberté de culte pour toutes les religions dans
les Lieux saints.
4 – Réaffirmation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination et à l’exercice de ses droits nationaux inaliénables sous la conduite de l’Organisation de libération de la Palestine, son représentant unique et légitime, ainsi qu’au dédommagement pour ceux qui ne désirent pas rentrer.
5 – La Cisjordanie et la bande de Gaza seront placées sous la
tutelle des Nations unies pour une période transitoire ne dépassant
pas quelques mois.
6 – Création d’un État palestinien indépendant ayant Jérusalem
pour capitale.
7 – Le Conseil de sécurité garantit la paix entre tous les États de
la région, y compris l’État palestinien indépendant.
8 – Le Conseil de sécurité garantit le respect de ces principes. »
Le Sommet confirmait l’OLP comme unique représentant légitime du peuple palestinien, déjà consacré lors du Sommet de Rabat en 1974, mettant à nouveau frein, du moins provisoirement, aux ingérences au sein du mouvement palestinien de différents acteurs arabes selon leurs intérêts.
Plus de quarante ans après, nous constatons la validité des résolutions de ce Sommet de Fès, qui furent saluées par de nombreux pays et par l’ONU comme étant une démarche sérieuse et équilibrée pour résoudre le conflit. Ce sont les paramètres de la meilleure solution réaliste à l’heure actuelle.
Mais les divisions arabes limitèrent son efficacité. Israël rejeta immédiatement cette initiative de paix, qui garantissait pourtant sa sécurité et son insertion pacifique au Proche Orient, en déclarant que le fait qu’il prévoit l’établissement d’un État palestinien « suffit à montrer le danger qu’il représente pour l’existence d’Israël ». Quelques jours après l’armée israélienne soutenait (8) le massacre de Sabra et Chatila par les milices des Forces Libanaises à sa solde, signant sa logique meurtrière de résolution des conflits, sa logique sioniste. C’était la réponse terroriste d’Israël à l’offre de paix arabe. Comme nous l’avons présenté dans des articles antérieurs le sionisme ne peut accepter, par essence, aucune formule de paix, aucune parcelle sous souveraineté palestinienne.
Mais cela n’a pas découragé le Maroc dans la recherche d’une issue juste et pacifique au conflit israélo-palestinien dans un rôle de médiateur.
Le 24 Juillet 1986 le roi Hassan II a accueilli le premier ministre israélien Shimon Pérès, du parti travailliste israélien, pour discuter des perspectives de paix entre Israël et le monde arabe, sur la base des résolutions du Sommet de Fès, ce qui aboutit à un communiqué constatant les désaccords. Cette rencontre reçut une réaction mitigée au sein du monde arabe. Shimon Pérès appartenait à l’aile dite modérée du sionisme, évoluant comme d’autres après avoir été membre de l’organisation terroriste Haganah, conscient de la nécessité d’une issue au conflit en préservant l’essentiel des objectifs sionistes. Il fut, avec Itzhak Rabin du côté israélien, un des artisans des Accords d’Oslo et partagea en 1994 le Prix Nobel de la Paix avec Itzhak Rabin et Yasser Arafat. Dans ce processus ayant abouti à ces accords, le Maroc joua aussi un rôle de médiation (9).
Le Roi du Maroc préside le Comité Al-Qods créé en 1975 à l’initiative du Maroc, comme un des organismes de l’Organisation de la Coopération Islamique (10), elle aussi créée lors du sommet islamique au Maroc en 1969 suite à l’incendie criminel de la mosquée Al Aqsa. Le Maroc pourvoit à l’essentiel du financement de l’activité de ce comité, aussi connu sous le nom d’Agence Bayt Mal Al Qods depuis 1995, qui joue un rôle important pour les droits de l’homme et les droits culturels, sociaux, politiques et religieux des Palestiniens de Jérusalem.
Le Maroc a poursuivi sans relâche la recherche d’une solution pacifique au conflit israélo-palestinien pour atteindre une paix juste garantissant les droits inaliénables du peuple palestinien. Cette stratégie, appuyée sur le consensus international le plus large et basée sur les résolutions de l’ONU, a montré sa justesse et sa force, malgré parfois des conditions environnantes défavorables. Peut-être que la démarche du Maroc dans l’aide au dialogue, aux accords à la fin du XXe siècle, souvent critiquée au sein du monde arabe, aux résultats insuffisants, était-t-elle précoce, en tout cas incomprise. Cette démarche comportait aussi la recherche de l’unité arabe comme force fondamentale pour imposer la reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien. Nous verrons à la fin de cette étude, que cette double démarche, la voie de la paix et de l’unité arabe, était visionnaire et fondamentalement juste.
Relations du Maroc avec Israël et le soutien à la Palestine
Sur le terrain diplomatique, rappelons qu’après l’ouverture de bureaux de liaison en 1994 suite aux Accords d’Oslo, suspendus lors de la 2ème Intifada en 2000, le Maroc et Israël se sont accordés sur l’établissement de relations diplomatiques fin 2020, en échange de quoi les États-Unis ont reconnu la souveraineté marocaine au Sahara, qui est la question suprême pour le peuple marocain. Cette victoire de la cause nationale n’a rien coûté au Maroc dans son soutien par l’État et par le peuple à la cause palestinienne, car il n’a cédé en rien. Cette reconnaissance a donné lieu à une croissance exponentielle, jusqu’au déclenchement du génocide à de Gaza, du tourisme, des échanges économiques et humains entre les deux pays.
Mais l’important est que le Maroc, dans toutes ses composantes, n’a pas modifié sa politique et son engagement en faveur de la Question Palestinienne. Cet engagement n’a pas varié d’un iota et aucun pays n’a de leçons à donner au Maroc en termes de soutien au peuple palestinien. Il est vrai que le soutien officiel arabe et musulman au peuple palestinien est en général bien faible et n’est pas à la hauteur du drame vécu en Palestine. Et même si les media officiels au Maroc sont trop discrets sur Gaza, il faut aussi se réjouir que le peuple marocain est celui qui a la plus grande liberté au sein du monde arabe pour manifester en faveur du peuple palestinien.
D’aucuns, y compris au Maroc, se posent la question des relations entre le Maroc et Israël à l‘heure du génocide à Gaza et exigent leur rupture.
L’enjeu d’une telle rupture pourrait avoir un certain impact sur la reconnaissance internationale de la souveraineté du Maroc au Sahara marocain. On comprend que les ennemis de notre cause nationale soient les plus virulents pour attaquer le Maroc sur la question des relations diplomatiques avec Israël.
On peut se poser la question sur la différence de principe entre avoir des relations diplomatiques avec Israël et les avoir avec les États-Unis, vu la symbiose politique et militaire entre ces deux pays dans le génocide à Gaza. Qui réclame la rupture des relations diplomatiques avec les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, l’Union Européenne pour leur soutien massif et décisif à Israël pendant le génocide à Gaza ? Israël ne peut mener ses crimes que si ces pays le soutiennent : qui demande la rupture des relations diplomatiques avec ces pays?
Avoir des relations diplomatiques n’est pas signe d’accord ou de soutien politique. Le Maroc a bien maintenu des relations diplomatiques avec l’Algérie, qui les a unilatéralement rompues sans raison, dans le cadre de sa guerre larvée contre le Maroc !
Le soutien à la Palestine : une cause nationale au Maroc
Depuis toujours, le peuple marocain apporte unanimement son soutien à la lutte du peuple palestinien. L’Association Marocaine de Soutien à la Lutte du Peuple Palestinien a organisé de très nombreuses manifestations dans ce sens, en particulier depuis le 7 octobre 2023.
Ces manifestations sont massives et fréquentes avec le soutien de toutes les forces vives, partis politiques, syndicats, ONG, associations, du Maroc. Elles comptent avec la participation de centaines de milliers de Marocains. Dans certaines villes, comme Tanger, les manifestations sont hebdomadaires.
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Pour le peuple marocain la libération du Sahara marocain et de la Palestine sont toutes les deux une Question Nationale. Ceci explique pourquoi la mobilisation du peuple marocain contre le génocide, pour la liberté du peuple palestinien est une des plus massives et permanentes au monde. Cette similitude entre ces deux causes sera le sujet de notre prochain article.
Mokhtar Homman, le 28 février 2025
Demain : XVII – « Sahara marocain et Palestine. Le PPS, la Palestine et le sionisme ».
Notes
(1) « Hassan II (Maroc) souhaite la reconnaissance du G.P.R.A. par tous les non-engagés », Le Monde du 5 septembre 1961.
(2) Laurent Touchard : « Guerre du Kippour : quand le Maroc et l’Algérie se battaient côte à côte », Jeune Afrique du 7 Novembre 2013. Les 3 000 soldats du contingent algérien arrivèrent au Caire deux semaines après la fin de la guerre.
(3) Selon le témoignage d’une relation personnelle, capitaine sur le front du Golan, un bataillon marocain fut encerclé par l’armée israélienne (suite au retrait des troupes syriennes de la ligne de bataille). Devant leur refus de se rendre, un colonel israélien, d’origine marocaine, s’adressa à eux en darija, avec un haut-parleur pour leur dire qu’il admirait leur bravoure et que leur reddition se ferait sous les honneurs rendus par l’armée israélienne, leur promettant la vie sauve. Le contingent marocain refusa, continua à se battre et put créer une diversion leur permettant finalement de quitter la bataille via le Liban.
(4) Le roi de Jordanie aurait cependant émis un avertissement, peut-être visionnaire, au cours du Sommet : « Mais vous vous apercevrez que les Israéliens n’accepteront jamais de rendre la Cisjordanie ni d’autres territoires à l’OLP ». In Paul Balta : « Reconnaissance de l’OLP : Le sommet de Rabat consacre le droit des Palestiniens d’établir un pouvoir national sur tout territoire libéré », Le Monde du 30 Octobre 1974.
(5) Association France Palestine Solidarité, Rapports et documents.
(6) Jamal Amiar : Le Maroc, Israël et les Juifs marocains, p. 51.
(7) Association France Palestine Solidarité, Rapports et documents.
(8) L’armée israélienne, qui entourait les camps, avait fourni un soutien logistique, éclairant les camps la nuit avec des fusées éclairantes et surveillant les entrées et sorties. Elle a été accusée de complicité pour avoir permis aux miliciens d’entrer et pour ne pas avoir arrêté les massacres pendant 3 jours, du 16 au 18 septembre 1982.
(9) Mohammed Kenbib : Juifs et Musulmans au Maroc, p. 196. Au retour de la signature des Accords à Washington, Itzhak Rabin et Shimon Pérès firent escale à Rabat pour remercier le rôle du Roi Hassan II.
(10) En 2011 l’Organisation de la Conférence Islamique changea de nom en Organisation de la Coopération Islamique.
Bibliographie
Amiar, Jamal : Le Maroc, Israël et les Juifs marocains. Culture, politique, diplomatie, business et religion. Éditions BiblioMonde, Paris, 2022.
Kenbib, Mohammed : Juifs et Musulmans au Maroc. Des origines à nos jours. Éditions Tallandier, Paris, 2016.