Ahmed Ennassiri : «Nous sommes en train de créer le Amazigh Rock ou Rock Berbère»

Meteor Airlines, l’étoile filante de l’Amazigh Rock…

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Meteor Airlines est l’un des groupes musicaux prometteurs qui  ont soufflé un nouvel air dans la chanson amazighe. Étoile filante de l’Amazigh Rock, le public d’ici et d’ailleurs a découvert son style musical à travers trois clips à succès : Amdikar, Tawada et Tayri.

«Nous sommes entrain de créer le ‘’Amazigh Rock’’ ou ‘’Rock Berbère’’, un sous-genre qui constitue un mélange des mélodies Rock et des rythmes et paroles propres à nos origines », nous explique Ahmed Ennassiri, leader du groupe. Au-delà de la musique, le groupe a ce souci de l’esthétique de l’image qui occupe une place prépondérante dans son identité.  

«L’aspect visuel est aussi important pour l’identité que Meteor Airlines impose », a-t-il affirmé. Et d’ajouter : « nous préférons faire les choses à l’ancienne, et croyons que la vraie musique, nourrie par les sentiments les plus basiques qu’un artiste peut éprouver finira par atteindre son public, en dépit du genre musical ». Entretien.

Al Bayane : Créé un été de 2016, votre groupe fait la synthèse entre les chants amazighs puisés dans la culture marocaine locale et des rythmes Rock mais aussi des mélodies du métal, du punk, de la pop rock et de la musique classique. Que veut dire d’abord Meteor Airlines ? Comment a-t-il été fondé ?

Ahmed Ennassiri: Il est vraiment difficile d’attribuer une explication totale à ce que Meteor Airlines signifie ou peut signifier mais imaginez par exemple un ciel partagé par les étoiles filantes et les avions. Ces derniers sont programmés, pilotés ou contrôlés par des humains; sont sensés suivre des iténéraires exactes vers des destinations prédéfinies dans un intervalle de temps mesurable. Une étoile filante ou un métoéore n’est rien de tout cela. Il apparaît quand il le veut, ou il le veut, dans la direction de son choix et disparaît quand il le souhaite. Il est libre, rebelle même, indomptable si vous voulez. C’est un peu comme le Joker qui débarque dans le dîner de galas de Bruce Wayne. C’est un peu l’ivrogne du quartier qui vient foutre le mariage de votre voisin en l’air. Si un avion opère dans l’ordre, un météore, lui, opère dans le désordre. Les deux possèdent peu de points communs, dont la lumière. Ce sont ces lumières qui ont visuellement déclenché l’intérêt de notre bassiste Adnane un soir d’été, lors de la fondation du groupe, pour inventer cette appellation. Son but était de décrire ce système de lumières hybride alimenté par les déplacements ordonnancés des avions et les mouvements chaotiques des météores dans le ciel du Sud-est marocain, relativement au monde qui fonctionne de la même façon par extrapolation, mais qui continue toujours sa vie.

Comment définissez-vous exactement votre style musical ?

Le style musical du groupe ne s’éloigne guère de cette perspective. En effet, il est difficile de le cadrer avec précision dans le Rock. Nous sommes en train de créer le Amazigh Rock ou Rock Berbère, un sous-genre qui constitue un mélange des mélodies Rock et des rythmes et paroles propres à nos origines. Mais ce n’est pas que la musique, l’aspect visuel est aussi important pour l’identité que Meteor Airlines impose. Cet aspect peut être observé dans des clips tels que Amdikar, Tawada et Tayri.

Comme vous le savez, la musique est un langage universel. En effet, l’expérimentation avec d’autres genres musicaux est-il un choix esthétique ou un simple moyen pour faire écouter votre musique à un public assez large ?

C’est vrai que la musique est un langage universel, mais c’est en premier lieu un moyen pour dégager ce qui nous étouffe et produire ce qui nous soulage, en tant qu’individu. Dans le même sens, nous visons les individus qui se rapportent à notre musique, et puis c’est le sentiment partagé de ces individus qui fait un public de plus en plus large. C’est un processus lent, mais que nous refusons quand-même d’exécuter à l’envers : en exposant notre musique aux masses à travers des publicités, puis en espérant d’en extraire quelques individus intéressés. C’est comme cela que ça fonctionne aujourd’hui mais nous préférons faire les choses à l’ancienne, et croyons que la vraie musique, nourrie par les sentiments les plus basiques qu’un artiste peut éprouver finira par atteindre son public, en dépit du genre musical. Donc pour nous, expérimenter avec d’autres genres musicaux n’est qu’un moyen d’emballer les différentes inspirations de nos membres et n’impacte pas directement le noyau des émotions et des messages que nous avons à transmettre. Et c’est justement dans cette attitude un peu «je-m’en-foutiste» que notre propre style, le Amazigh Rock, a trouvé sa liberté d’émergence.

Votre premier album intitulé «South by Southeast» (2018) a été apprécié par le public d’ici et d’ailleurs. Qu’elle a été le secret de ce succès ?

Il est difficile pour nous de déterminer une raison exacte de ce succès de façon objective. Pourtant, nous pouvons vous dire que South by Southeast est un album vrai. On y parle de ce qu’on connaît, de ce qu’on vit. En outre, il s’agit d’un album condensé en termes de mélodies, rythmes et paroles. South by Southeast est peut-être le premier album entièrement en anglais produit au Sud-est marocain, donc naturellement son évolution locale corrèle avec l’évolution et l’apprentissage de cette langue dans notre région. Du coup, c’est un album qui précède un peu son époque et implique une vision futuriste et un point de repère pour les générations qui suivent, qui souhaitent prendre la relève.

La chanson amazighe a beaucoup souffert de ce regard folklorique. Aujourd’hui, les choses ont changé avec des jeunes artistes amazigh(e)s porteurs de nouveaux projets artistiques, tous styles confondus, dépassant la localité. Qu’en pensez-vous ?

C’est un témoignage et non pas forcément une vérité. Ou alors, nous n’avons pas mené les études nécessaires ou ne disposons pas de l’expertise suffisante pour répondre à cette question avec efficience. La musique Amazighe est difficile à quantifier, surtout qu’elle s’étale sur plusieurs générations, civilisations et géographies. Alors, il est statistiquement impossible de mesurer des points de vue complets et les majorer si vous voulez de «folkloriques», et même si on arrive à le faire, est-ce que c’est aussi péjoratif qu’on le prétende ? Surtout que la plupart des entités artistiques qui sont vues de ce regard folklorique, s’identifient elle mêmes fièrement dans le Folklore.

Concernant la deuxième partie de votre question, l’émergence de nouveaux artistes amazighs est sans doute un atout pour la musique et la culture amazighes. Il y’a beaucoup de jeunes talents à soutenir et à promouvoir. Ironiquement, ces jeunes, avec leurs styles confondus qui dépassent la localité galèrent à trouver des scènes pour se produire dans ces mêmes localités alors que la plupart des troupes dites folkloriques ne cessent de faire le tour du monde grâce à leur musique. Donc personne n’est venue remplacer personne et il n y’a rien à changer. Nous sommes fiers de ce qui existe, de ce qui se crée maintenant et de ce qui viendra après. Les temps ont peut-être changés, mais les principes sont pratiquement intouchables.

Nous croyons aussi qu’il est possible d’aller loin en regardant loin derrière surtout avec un patrimoine immatériel riche comme le notre, nous sommes immunisés contre toute tentative de rabaissement ou de victimisation dans ce genre de sujets. Et finalement la question qui se pose est : pourquoi regarder la musique au lieu de l’écouter ?

Est-il facile aujourd’hui de produire de la musique au Maroc, notamment dans un secteur artistique fragile marqué par l’absence d’une véritable industrie musicale, où l’informel règne encore ?

Une chose ou une action est jugée facile par rapport à son contexte, la conséquence qu’elle peut générer et la motivation derrière. Ces paramètres diffèrent d’un artiste à l’autre, tous genres confondus. Est-il possible d’enregistrer des sons ? Avec un minimum de moyens, oui.

Est-ce que ces sons sont de la musique ? Cela dépend de qui vous êtes et d’une infinité de variables qui sont liées à votre existence. Par contre, nous pouvons vous assurer que le secteur artistique marocain n’est pas fragile, mais plus ou moins orienté vers les préférences communes des masses, ce qui peut être perçu par d’autres observateurs comme du bas niveau, du déséquilibre et parfois même de l’injustice. Mais ne vous inquiétez pas, c’est pareil partout dans le monde. Ensuite, les mots «industrie» et « informel » impliquent des dimensions un peu corporatives et légales. Cela peut servir à des artistes profondément établis ou des entités qui visent spécifiquement des revenus. Pour les nouveaux talents, c’est sensé être le dernier souci. En ce qui nous concerne, le «produit» possède une propriété magnétique. C’est autour duquel le reste des éléments orbitent. En quelque sorte, c’est le produit du reste de ces éléments. En prenant en compte les paramètres énumérés dans la première phrase, il est facile pour nous de faire de la musique. Rien que pour nos propres sérénités et notre cause, cela vaut le coup, et c’est beaucoup plus précieux que des attentes commerciales qu’une industrie peut offrir ou amplifier.

Quels sont les projets à venir de Meteor Airlines ?

Le groupe travaille actuellement sur d’autres singles en langue Amazighe avec une forte possibilité de la sortie d’un album complet, pour la simple raison que c’est un format qui tend à disparaître, et qui correspond aussi à notre personnalité et à notre manière de faire les choses en lançant un produit volumineux suivi d’un long silence dans lequel nous essayons de prendre l’élan pour le prochain saut.

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