35e anniversaire de la disparition de notre camarade Abdel Aziz Belal

Une pensée immortelle

Ce fut un 23 mai 1982 lorsque nous apprenions le décès tragique de notre Camarade Aziz Belal survenu à la suite d’un incendie qui s’est produit à l’hôtel «Conrad Hilton» de Chicago. Le regretté Camarade s’y est rendu dans le cadre de ses fonctions, en tant que vice-président de la commune d’Ain Diab de Casablanca, pour participer aux cérémonies de jumelage entre Chicago et Casablanca. Ce fut son premier et dernier voyage aux Etats- Unis! Pour les nouvelles générations qui n’ont pas connu Aziz Belal et qui n’ont pas vécu son époque, rappelons brièvement l’itinéraire de l’homme,  de son œuvre et de son apport tant à la recherche scientifique qu’au mouvement social dans lequel il s’était engagé dès sa jeunesse.

Aziz Belal  est né à Taza le 23 mai 1932. Issu d’une famille modeste, il perdit son père à l’âge de huit ans, ce qui l’amena à affronter très tôt les difficultés de la vie. Il poursuivit ses études primaires à Oujda où il fut un élève brillant. Après avoir obtenu son baccalauréat, il regagna Rabat pour y préparer sa licence en sciences économiques de 1951 à 1953. Par la suite, il se rendit à Toulouse où il obtint son diplôme d’études supérieures (1956).

Le contexte national dans lequel Si Aziz a vécu et grandi l’a amené très vite àà faire son choix : celui de la lutte pour l’indépendance du pays et pour l’émancipation des peuples opprimés.  Ainsi à 19 ans, il adhéra au Parti Communiste Marocain, alors clandestin,  (devenu successivement Parti de Libération et du Socialisme, puis Parti du Progrès et du Socialisme) pour  devenir l’un de ses illustres dirigeants en tant que membre du Bureau Politique. Depuis, Aziz Belal n’a jamais dissocié son activité politique de son activité scientifique : pour lui les deux vont de pair et  s’enrichissent mutuellement.

Après l’Indépendance du pays, il fut chargé de mission au Plan où il participa à l’élaboration du premier plan quinquennal (1960-1964). En 1959, il accéda- dans le cadre d’un gouvernement de coalition nationale présidé par Abdellah Ibrahim- au poste de Secrétaire général du Ministère du travail. Et c’est grâce, en grande partie à lui, que la législation du travail, datant de la colonisation, fut révisée et améliorée. A la demande de son  parti, il démissionna de son poste pour ne pas cautionner les déviations du gouvernement par rapport aux orientations de départ.

En 1960, il intégra la Faculté  de droit de Rabat, la seule à l’époque, où il enseigna l’économie tout en œuvrant à la mise en place de la section de langue arabe et à la création du syndicat national de l’enseignement supérieur.

Parallèlement à son activité en tant qu’enseignant  et son engagement politique sur tous les fronts, il s’est mis à préparer une thèse d’Etat en sciences économiques   sur « l’investissement au Maroc 1912-1964, et ses enseignements en matière de développement économique ». Cette thèse soutenue brillamment à l’Université de Grenoble en 1965, fit date dans la recherche socio-économique du pays faisant de Aziz Belal   le premier   économiste Marocain titulaire d’une thèse d’Etat.

Nommé Professeur d’Université, il poursuivait inlassablement son activité académique et politique : présent dans tous les débats scientifiques et  politiques aussi bien au Maroc qu’à l’étranger; partisan acharné du travail organisé; ardent défenseur de la cause des déshérités.  Grâce à  ses qualités d’intellectuel talentueux, d’humaniste sans faille  et d’orateur hors pair, il a acquis une facilité à argumenter et à convaincre. A lui seul, il constituait une école : l’école Aziz Belal à laquelle ses anciens étudiants, dont l’auteur de ces lignes,  et ses  nombreux amis  s’identifient spontanément.

Il a vécu modestement bien qu’il disposât de tous les atouts pour s’enrichir et accumuler la fortune dans la légalité. Il symbolisait, pour la jeunesse et les militants,  cet «intellectuel organique» au sens gramscien du terme.  Il n’a eu de cesse de professer que la culture et l’argent font rarement bon ménage, donnant l’exemple de ce que devrait être un homme de science et un dirigeant politique de surcroît. Une véritable leçon de la moralisation de la vie politique !

Si Aziz nous a quittés d’une façon prématurée. Il avait à peine 50 ans ! Le destin l’a ainsi voulu.  Bien que son engagement politique et ses cours multiples qu’il dispensait à l’université et dans divers centres de formation, y compris à la faculté de médecine où il a monté de toutes pièces un cours sur « l’économie de la santé » lui laissaient peu de temps pour la recherche et la publication, ce dont il était conscient, il nous a légué une œuvre scientifique immortelle demeurant toujours d’actualité. La stratégie de développement souhaitable pour le Maroc élaborée par l’auteur dans sa thèse d’Etat n’a rien perdu de sa pertinence. De même qu’il était précurseur en matière des facteurs non économiques dans le développement en dévoilant les limites de l’économisme et de la pensée technocratique qui veut se mettre au- dessus des contradictions sociales et considérer l’être humain comme un simple « homo-oeconomicus ».

On déplore cependant que ces publications demeurent inconnues par les nouvelles générations d’étudiants en sciences économiques. Car nos facultés de sciences économiques se sont transformées en facultés de gestion sans laisser la moindre place à l’étude des théories de développement, ni à l’histoire de la pensée économique et encore moins à l’histoire des faits économiques et à l’épistémologie.  Et si réforme de l’enseignement supérieur il y aura, elle devra nécessairement commencer par la réhabilitation de ces matières bannies des programmes universitaires faisant ainsi le lit des idéologies obscurantistes et réactionnaires !! Cela s’est répercuté sur la qualité de formation des lauréats qui sont pour l’essentiel  déconnectés de leur réalité socio- économique et socio- politique.  La facture de ce gâchis est lourde. Elle est payée cash.

Notre Université gagnerait beaucoup à faire connaitre l’œuvre de Aziz Belal et à enseigner aux jeunes étudiants non seulement son apport scientifique mais également son engagement patriotique en tant qu’intellectuel au service de son pays et de son peuple.  C’est aussi le rôle du CERAB (Centre d’Etudes et de Recherches Aziz Belal) qui doit absolument centrer ses activités sur l’actualité de la pensée de notre Professeur défunt et valoriser comme il se doit tout le «capital immatériel» qu’il nous a légué.  C’est enfin le rôle, voire le devoir, du parti du Progrès et du Socialisme de faire connaitre aux jeunes militants tous les dirigeants  historiques qui ont fait sa force et lui ont imprimé les valeurs fondamentales  et la ligne de conduite qui sont aujourd’hui les siennes.

Nous n’avons pas le droit à l’oubli. Car c’est de la mémoire collective de notre peuple qu’il s’agit !

Quelques publications  de Feu Aziz Belal

  • L’investissement au Maroc 1912-1964, et ses enseignements en matière de développement économique, 1ère édition Mouton, Paris- La Haye, 1968 , 2éme et 3ème éd. Casablanca, éditions maghrébines 1978 et 1980
  • Sur la pensée économique d’Ibn Khaldoun, in Bulletin Economique et Social du Maroc, n°108 janvier-mars 1968
  • Quelques aspects nouveaux de la domination impérialiste, in l’impérialisme, édition SNED, Alger juin 1970.
  • L’économie marocaine depuis l’indépendance, in les économies maghrébines à l’épreuve de développement économique, CRESM/CNRS Paris 1971
  • Renaissance du Monde arabe, colloque interarabe de Louvain sous la direction de Anouar Abdelmalek, éd. Duclot, Gembloux 1972
  • Mettre en œuvre l’expérience collective de chaque peuple, in Economie et Humanisme, n°216 mars-avril
  • Les perspectives de l’association Maghreb-CEE dans le développement économique du Maroc, publié dans les actes du colloque par l’Université Libre de Bruxelles mai 1976
  • Evolution comparée des politiques économiques maghrébines in les Temps Modernes, n° spécial sur le Maghreb, octobre 1977
  • Les relations entre le Maroc et la CEE et leurs perspectives d’avenir, in la crise, l’alternative, éd. Al Bayane, Casablanca 1980.
  • Développement et facteurs non-économiques, éd. SMER, Rabat 1980.

Aziz Belal, l’Homme et l’œuvre, colloque international en hommage à Belal publié dans un n° spécial de la Revue Marocaine de droit et d’économie de développement, de la faculté de droit de Casablanca.

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