Investir davantage dans l’art et la culture!

Driss Alaoui Mdaghri qui vient d’être nommé président de la commission d’aide à la production cinématographique nationale est un grand cinéphile ; citoyen moderne il est très impliqué dans la vie de la cité : son credo : la culture et l’art pour assurer un développement social cohérent. Appelé à assumer des fonctions politiques, il a été notamment  ministre de la communication et porte parole du gouvernement de 1995 à 1998. En 2003, il a présidé le comité d’organisation de la 6ème édition du festival national du film.

En 2013, il m’accorda un long et riche entretien exclusif resté jusqu’ici inédit. Je pense que l’occasion aujourd’hui est opportune pour en publier de larges extraits pour encore mieux connaître ce Grand Monsieur et cet intellectuel imprégné de l’esprit du temps, engagé au service de on pays.

Comment vivez-vous la ville de Casablanca dans ses multiples mutations

Une ville est un lieu vivant en perpétuelle métamorphose à des rythmes variables. Casablanca fait partie de ces villes dont la métamorphose est particulièrement rapide. Quand on pense que ce n’était qu’un village de pêcheurs à l’orée du vingtième siècle avec à peine vingt mille habitants, on mesure la rapidité et l’ampleur de cette métamorphose. J’aime cette ville pour toutes sortes de raisons ou de déraisons. J’ai même eu dans le passé la joie de produire un ouvrage avec un texte et des photos, c’était en 1989, qui essayait de rendre compte de cet attachement. Au cours de ces trois dernières années, j’ai parcouru la ville en long et en large avec un groupe d’amis, d’ici et d’ailleurs, et nous avons pris un nombre incalculable de photos pour une possible réédition du livre. C’est vous dire que l’intérêt est manifeste et toujours là. Maintenant, les affres de la circulation avant que le tout nouveau tramway, espérons-le, ne produise des effets positifs sur ce plan, m’agacent comme ils agacent de nombreux citadins. Pour faire le lien avec la culture et l’art, il faut souligner que « Les Villes Créatives »‘ ainsi que l’explique avec brio l’urbaniste américain Richard Florida, réussissent mieux que d’autres à attirer les investisseurs et les talents. A Casablanca, on devrait investir davantage dans l’art et la culture.

J’aimerai maintenant m’adresser au cinéphile : quels sont vos rapports au cinéma ? Quels sont vos souvenirs d’enfance ? Aviez-vous un rapport privilégié avec une salle de cinéma en particulier?

Des rapports continus, étroits et de fascination pour le cinéma qui raconte des histoires bien léchées qu’il s’agisse de comédies, de films d’action ou de science fiction, pour citer quelques genres que j’apprécie particulièrement. Qu’ils soient porteurs de messages engagés ou teintés de réflexion philosophique et sociale ne me dérange pas et peut même me parler parfois grandement. Mais pour les films à message, il faut beaucoup de talent, voire du génie, pour qu’ils ne versent pas dans les clichés, les facilités et les manipulations. Autant dire que ce qui importe en premier, à mes yeux, c’est l’histoire, si vous préférez l’aventure, racontée.  Une salle de cinéma dont j’ai gardé un souvenir vivace, c’est le cinéma Rex au Maarif, rue du Jura, où il y avait plusieurs salles qui passaient deux films à la suite. J’ai plein d’images dans les yeux que je captais, adolescent, sur l’écran ou en observant parfois les spectateurs. Idem pour les cinémas Vox et Apollo au cœur du Casablanca des années soixante et soixante dix.Bien sur. Le cinéma aura compté dans ma formation bien avant les journaux, la télévision, puis plus tard Internet, car la formation se doit d’être permanente. Que de souvenirs de mes années d’étudiant à Rabat avec des films comme « West Side Story » que j’ai vu au cinéma Renaissance. Plus tard « 2001, Odyssée de l’Espace » à Casablanca ou « Solaris » à Alger m’ont fait rêver. Mon goût pour l’ailleurs, assurément  issu des mes lectures, mais probablement aussi du cinéma. Il m’arrive souvent d’utiliser des extraits de films dans mes enseignements. C’est le cas de « Douze  hommes en colère » de Sydney Lumet, que j’ai commencé à utiliser à l’ISCAE dans les années soixante dix dans des séminaires de communication et de négociation.

Vous avez été ministre de la communication, c’est-à-dire le département en charge du cinéma pendant une phase essentielle de son évolution (1995-1998) ; quels sont vos souvenirs de cette période notamment par rapport à l’expérience du fonds d’aide qui a connu des changements importants sous votre direction?

Ils sont nombreux et intenses. Alors, trois exemples. Le déblocage et la relance des tournages de films étrangers au Maroc qui n’a pu se faire qu’après quelques interventions décisives. La refonte des conditions d’aide à la production audiovisuelle, notamment cinématographique, auront été également des mesures utiles. C’est dans ce sillage  qu’il faut placer la dynamique des festivals du cinéma au Maroc. Enfin, il y a eu le sauvetage réussi de la Chaîne 2M, qui rendait l’âme financièrement à l’époque, avec comme choix d’encourager la coproduction cinématographique et de documentaires. Tout cela découlait certes du hasard des calendriers, mais aussi d’une conviction qui était, je le dis modestement, la mienne en tant que ministre de la communication, que la promotion du cinéma est importante pour notre pays.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’évolution de ce cinéma?

Il est positif. Mais je rêve d’une production cinématographique marocaine plus riche en quantité et en qualité avec des acteurs et des personnages populaires connus et reconnus ici et ailleurs. Je sais que cela est lié à de nombreux facteurs humains, éducatifs, culturels et financiers qu’il n’est pas facile de réunir. Une attention plus grande portée au cinéma d’animation en images de synthèse, par exemple, serait la bienvenue.

Certains films ont suscité des polémiques voire des interventions de personnalités politiques; d’autres films ont été retirés des salles sous la pression du public ; notre société a-t-elle régressé ou  bien c’est notre cinéma qui est allé très loin?

Si personnellement je n’approuve pas les provocations qui me semblent souvent dérisoires, certaines régressions dans notre société me semblent regrettables. . Jusqu’où faut-il aller pour ce qui est des actes de transgression salvateurs ? C’est  à la loi de définir les règles et aux auteurs de se fixer des limites. Les sociétés bougent et progressent aussi grâce aux transgressions. Le Maroc est un pays ouvert et doit le demeurer.

Mohamed Bakrim

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