Mutandis: Chronique d’une IPO

Vendue comme l’événement financier de l’année, l’entrée en Bourse du groupe Mutandis suscite autant d’engouement chez ses meneurs que de réserves dans la communauté financière. Recalée précédemment, obligée de modifier ses statuts, contestée dans sa valorisation et tancée pour le flou autour de ses futurs projets à financer, l’entreprise d’Adil Douiri compte sur la mobilisation des réseaux bancaires pour appâter le grand public et ramasser des souscriptions. Mais cela dissipera-t-il les soupçons?

Certains analystes financiers n’hésitent pas à qualifier l’ensemble de l’opération «d’enfumage» tant le business plan agressif ou trop optimiste, la valorisation excessive de l’affaire et le flou autour des projets futurs rendent pour le moins difficiles,selon eux, une lecture sincère de l’IPO. Et ceux-ci ne manquent pas d’apporter force d’arguments à leur position. En ligne de mire, une opération durant laquelle des investisseurs très connus ont décidé de quitter le navire Mutandis. C’est le cas de l’espagnol Inversiones Freira (7,8%), Holmarcom (4,4%) et de Mohamed Hassan Bensalah (2,9%). Pour expliquer ces velléités, le patron de Mutandis argue une liquidation de fonds pour le premier et une incompatibilité de vocation du second avec la structure actionnariale de Mutandis. Holmarcom, arrivé dans le tour de table de Mutandis «par amitié», a vocation à prendre des participations majoritaires alors que Mutandis dispose d’un actionnariat plutôt éclaté. Soit.

Quid du troisième alors ? Selon un financier, une IPO qui ne porterait que sur les parts mises en vente par ces trois actionnaires aurait envoyé un mauvais message au marché ; raison pour laquelle «Mutandis a pu maquiller la sortie de ces 3 par un second levier de l’opération qui consiste en une augmentation de capital, en attendant des jours meilleurs». Hypothèse plausible ? Pour Adil Douiri, «Mutandis est faite pour n’appartenir à personne. Le capital a toujours été ouvert à tous ceux qui le souhaitent, par volonté de grandir le plus vite possible. Il est actuellement composé d’environ 60 actionnaires, mais nous espérons après l’IPO en avoir 1000, 2000 voire 4000». Soit. Mais l’explication ne convainc visiblement pas car la destination des fonds récoltés lors de l’augmentation peine à être révélée.

La pression de Bensalah

Justement, ces projets dont il faut taire les noms pour l’instant, pour ne pas entraver leur déroulement questionnent les méninges et soulèvent les sourcils. Pourquoi ne donc pas avoir attendu de conclure ces négociations afin d’en faire des arguments solides lors de l’opération ? Car il se peut bien que des opérations et négociations soient en cours et qu’elles requièrent la confidentialité des parties. Tout comme, la probabilité que ce ne soit simplement un effet d’annonce sans consistance n’est pas à écarter.  Dans l’intervalle, il faut tout bonnement fermer les yeux et faire confiance à Ssi Adil ! Il l’a dit, Il le fera ! Et dans le même intervalle, les fonds collectés lors des souscriptions pourront permettre de servir les dividendes confortables vendus par l’opération, ne serait-ce que durant les 2 premières années. Après, on verra ! Mais à l’analyse, cette entrée en Bourse à la suite des deux précédentes tentatives, pourrait bien avoir été forcée par les trois actionnaires sortant, surtout Mohamed Hassan Bensalah, lassé par d’avoir attendu si longtemps pour commencer à toucher ses dividendes. Faut-il le rappeler, Driss Jettou, l’un des premiers actionnaires de Mutandis, fut également le premier homme d’affaires connu à quitter Mutandis il y a quelques années. «Il se murmure que le patron de Holmarcom avait mis la pression depuis au moins 2015 pour récupérer ses billes. Raison pour laquelle la première tentative eût lieu alors. Le refus et les demandes d’aménagements statutaires du CDVM n’auront pas émoussé les ardeurs de Bensalah. Celui-ci aurait maintenu et même augmenté cette pression au fil des années», raconte un fin connaisseur des milieux financiers. La période de souscription clôturée le vendredi dernier soulagera certainement Douiri de ces actionnaires qui n’en pouvaient plus d’attendre plus longtemps.

Une valorisation qui ne convainc pas

D’ailleurs, la campagne de communication qui accompagne l’arrivée de Mutandis sur la place financière est agressive, autant que le business plan de l’IPO qu’elle défend. Publicités, interviews, capsules vidéo, échanges sur twitter : l’entreprise et son patron se répandent dans la presse et les médias pour assurer une réussite à leur opération. Si une telle démarche est classique pour toute entreprise qui veut capter de l’épargne publique, c’est aussi selon plusieurs analystes parce que cette opération n’a pas réussi à dissiper les doutes et réserves portés à l’égard de Mutandis, notamment vis-à-vis de sa valorisation. Portant sur quelque 400 millions de dirhams, l’introduction en Bourse est faite par cession de 1.029.537 actions et par une augmentation de capital social de 215 millions par l’émission de 1.192.686 actions. Au total, 2.222.223 actions sont proposées à la vente pour au prix de 180 dirhams l’action, contre 170 dirhams pour les petits porteurs. S’agissant des dividendes, Adil Douiri estime qu’ils sont distribués «de façon confortable et généreuse» à 7,50 dirhams par action les années précédentes, et précise que «tous les nouveaux actionnaires qui souscriront en décembre toucheront le dividende complet, comme s’ils avaient été actionnaires toute l’année 2018». Problème, le dividende en question promis aux nouveaux actionnaires est un dividende «pre-money», c’est-à-dire avant injection de nouveaux fonds suite à l’augmentation de capital.

Cette augmentation aura pour conséquence mécanique de baisser le niveau de dividendes étant donné l’augmentation du nombre d’actions. L’idée vendue d’un dividende stable malgré tout ne convainc donc pas. De plus selon une partie, toutefois minime, de la communauté financière, le manque d’informations et de transparence sur l’utilisation des fonds, les projets de développement ne permettent pas de chiffrer leur rentabilité future. Et pour ne pas entacher l’opération, le patron de Mutandis a créé Mutandis Automobile dans laquelle est aujourd’hui logée la branche automobile du Groupe qui ne fait pas partie de l’opération. Pour rappel Univers Motors, rachetée par Mutandis, était détenue par Isham Motors appartenant à la famille Laraki. Une affaire qui s’est révélée “catastrophique“ selon les propres termes de nombre de spécialistes du secteur, avec une marque Honda réduite à sa plus simple expression sur le marché. Que vaut cette branche aujourd’hui et à quoi peuvent s’attendre les futurs actionnaires ? La question reste posée. Pour l’instant, les investisseurs étrangers (Paris, Genève, Londres, Le Cap, Johannesburg) sont la priorité de cette IPO. Mutandis parie sur leur participation massive pour réussir son opération. Et faire d’une pierre deux coups, en se débarrassant autant que possible des investisseurs locaux trop regardants…

Soumayya Douieb

Un pacte avec les fidèles

Ne lui parlez surtout pas de holding ; il se dit que ce terme l’irrite au plus haut point. L’homme qui rêvait d’un P&G, d’un Unilever ou d’un Berkshire Hathaway marocain a conçu son entreprise sur les traces de son mentor lointain : l’américain Warren Buffet, le genre de patron qui s’adresse à ses actionnaires, dans son rapport de gestion, avec des expressions du genre «J’ai fait…», «J’ai décidé…». Fondée avec les potes, les amis et les copains, Mutandis a rassemblé très tôt dans son tour de table de gros investisseurs et des institutionnels qui devaient lui donner le crédit nécessaire. Driss Jettou, Moulay Hafid Elalamy, Mohamed Hassan Bensalah, Holmarcom, Chaâbi Capital Investissement, Label’Vie, RMA Watanya, BMCE Bank, Amethis Maghreb Fund I entrent dans le capital ou suite aux augmentations suivantes. D’ailleurs, les 5 dernières institutions et Adil Douiri, détenant ensemble 33,3% du capital ont conclu un pacte d’actionnaires pour les deux prochaines années afin «de permettre à Mutandis de bénéficier d’un actionnariat et d’une gouvernance stable». Mais Mutandis compte également dans son tour de table, un certain Sawiris, patron d’Orascom dont Adil Douiri est un administrateur indépendant. Pour rappel, l’une des sociétés de Sawiris avait obtenu l’aménagement d’une des plages du Plan Azur.

Fin de non-recevoir

Lorsqu’il mène la charge en 2015 pour faire entrer “son“ entreprise en Bourse, le fin financier Adil Douiri, considéré comme l’un des pères fondateurs de la banque d’affaires au Maroc, ne pouvait ignorer que la forme juridique de Mutandis poserait un souci. D’ailleurs, pour donner le crédit nécessaire à cette opération, Adil Douiri ou Mutandis (c’est selon) s’est adjoint les services des 5 grandes banques d’affaires du pays : CFG, Société Générale, Upline, BMCE Capital Gestion et Attijari Finances Corp. Rassembler autour d’une opération, cette armada de financiers ne pouvait que conférer légitimité à l’opération, pense-t-on dans ses rangs. Mais quand vient l’examen du dossier, seule l’une des banques d’affaires alerte sur les problèmes de valorisation et de gouvernance de l’entreprise, puis se retire pour ne pas entacher sa réputation. Les quatre autres, probablementparce que dépendantes de structures ou de personnes ayant des intérêts directs ou indirects dans Mutandis, foncent tête baissée dans le mur du CDVM, avec l’espoir de le transpercer. Le verdict est depuis lors connu : le gendarme de la Bourse oppose une fin de non-recevoir à cette opération et stoppe la procédure à l’étude juridique. On n’arrivera même pas aux aspects financiers. Raison ? «Non-conformité des statuts aux lois sur les sociétés en vigueur au Maroc». Pour une entreprise introduite en Bourse, tous les pouvoirs ne peuvent être concentrés de cette manière entre les mains d’une seule personne. Car la Société en Commandite par Actions (SCA) que poussait Adil Douiri sur le marché financier en 2015 pouvait, sans exagération, être synthétisée en une phrase : «filez-moi votre argent et laissez-moi tranquille». Commanditaire parce qu’actionnaire statutaire, commandité à travers Mugest dont il est l’actionnaire unique et gérant nommé par cette dernière (qui fixe d’ailleurs sa rémunération), Adil Douiri détient les pleins pouvoirs les plus étendus et ne peut être révoqué. Il faut donc introduire de lourds aménagements pour équilibrer autant que possible les pouvoirs des uns et des autres. Après quelques aménagements apportés aux statuts de Mutandis, celle-ci se présente à l’AMMC pour un second round, en 2017 et se voit signifier un second refus. Le deuxième tour de «tunning» aura finalement été le bon. On en retient un rapprochement avec la gouvernance conventionnelle des SA, un meilleur équilibre des pouvoirs entre actionnaires et gérant, plus de pouvoirs au Conseil de Surveillance notamment pour la nomination d’un comité d’audit et de rémunération et d’un comité d’investissement chargés d’examiner et de valider les décisions du gérant en matière de choix comptables, de politique de rémunération et d’investissement.

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