Le processus démocratique a été mis en œuvre dans notre pays par consensus. Cela a pris le temps qu’il a fallu, et certainement suite aussi à une volonté indéniable de la part des acteurs de la vie politique nationale. Les extrêmes du champ politique national vivent cette transition intensément; car les avancées du changement démocratique réduisent la défiance des uns et ses reculs n’arrivent pas à l’enterrer au dam des autres.
Pour aller à l’essentiel, ce consensus a fait réussir l’adoption de la constitution de 2011 dont l’ensemble reconnait la portée pour «consacrer les principes et les mécanismes de bonne gouvernance, et de réunir les conditions d’une citoyenneté digne et d’une justice sociale équitable». Cette consécration et ces conditions constituent la pierre angulaire de la dynamique que connait la société marocaine. C’est à l’aune de leur réalisation et de leur mise en œuvre que se mesurent la force du consensus et, par conséquence, l’importance des avancées dans l’évolution temporelle du processus démocratique.
Le consensus fort permet de consolider les acquis qui servent de leviers pour aller de l’avant dans la réalisation de la citoyenneté et de la justice sociale. Le consensus mou est antinomique à la consolidation ; tels les sables mouvants dont la solidité n’est qu’apparente alors que leur thixotropie les changent en fluide au moindre mouvement.
Le va-et-vient entre le maintien de «l’équilibre de la société» tel que décrit par Waterbury en 1975 et les nécessaires réformes pour la modernité, l’émergence économique et le bienêtre de l’ensemble de la population, induit le défaitisme, la non mobilisation et les dérapages. Ce sont là des facteurs qui conduisent à l’amollissement du consensus et donc à l’affaiblissement du processus démocratique dans son ensemble. A ces facteurs d’ordre interne peuvent s’ajouter des conditions régionales et internationales qui ne favorisent pas l’émancipation et la libération des forces vives nationales.
Dans ce consensus mou, les discours se ressemblent et occultent les antagonismes entre majorité gouvernementale et opposition, entre forces de progrès et forces rétrogrades. La surenchère est facile et «les peaux de banane» se multiplient. L’attentisme devient une attitude pour se préserver. Le clientélisme se renforce et affermit le sectarisme et l’individualisme. Chacun ne voit que le bout de son nez et la désinformation devient toxique. La société manque d’oxygène et semble au bord de l’étouffement. C’est ce que semble confirmer certains rapports, émis par des officiels ou relevant de l’expression médiatique, qui convergent pour montrer que rien ne va plus dans notre beau pays ! A croire qu’ils sont produits, au moins pour les officiels d’entre eux, non pas pour suggérer les solutions qui s’imposent aux dysfonctionnements qui existent mais pour en rajouter à la noirceur du tableau.
Le dépassement de cette crise inavouable ne peut se faire que par des actes concrets et non pas par l’expression de vœux pieux dont l’effet est pathologique pour le renforcement du consensus. Il est temps de se secouer et faire acte de clairvoyance pour éviter de se retrouver droit devant le mur.
L’irruption du désordre au quotidien inhibe la rationalisation de l’interprétation des faits et prépare les ruptures faute de prendre en considération les potentialités du moment. Les rivalités politiques sont connues, les concurrences sont établies ; il suffit d’améliorer le casting pour que la rupture se situe dans la continuité, celle du maintien de «l’équilibre de la société».
Faut-il attendre la compétition électorale pour constater les défaillances organisationnelles des partis politiques, au moins ceux qui ne bénéficient pas de l’édredon électoral à caractère religieux ou administratif. C’est confirmer par ce biais le rôle prépondérant de l’éligérocratie et sa liberté de se positionner selon ses propres intérêts au détriment de l’organisation politique qui l’accrédite.
Ne faut-il pas rebattre les cartes et insuffler un nouveau souffle à l’action gouvernementale pour relancer la dynamique des réformes nécessaires aux changements impératifs de notre société vers le progrès social et le développement humain?
Très intéressant article cher Mostapha. Ce que tu décris comme « va et vient », comme contradiction entre forces voulant geler le processus démocratique et celles l’animant vers de nouveaux « équilibres » progressistes, est vécu depuis au moins 1974. ET c’est vrai que les forces de progrès l’ont globalement emporté par la constitution du Gvt d’alternance en 1998 et son oeuvre jusqu’à fin 2011, ainsi que la nouvelle Constitution de 2011 qui marque un très grand progrès politique et juridique. Cependant, le consensus dynamique ne peut fonctionner que si toutes les forces patriotiques et progressistes jouent chacune sa partition, se complétant et se renforçant mutuellement. Jusqu’à fin 2011, le PPS a joué pleinement son rôle de Parti des travailleurs, fidèle à son idéologie enracinée depuis sa naissance. On ne peut pas en dire autant de l’autre grande force progressiste, l’USFP, qui a fait faux bond à plusieurs reprises, ralentissant de ce fait la dynamique du processus démocratique (notamment dans les années 80 et son aventurisme, et 90 et ses tergiversations pour former le Gvt d’alternance). Mais depuis fin 2011, c’est le PPS qui fait faux bond à son tour, abandonnant son rôle historique, ses alliances naturelles, son programme économique et social pour se mettre au service du FMI et de l’obscurantisme. Alors qu’il était le fer de lance du processus démocratique pendant plus de 35 ans, il l’a abandonné et personne n’a pris la relève. Est-il étonnant par conséquent que le processus actuel soit aussi décevant ?