L’année 2021 sera inscrite dans les livres de l’histoire comme celle où les Chiliens ont opté pour un changement radical dans l’orientation politique et économique du pays.
Au début d’un été austral anormalement chaud pour ce pays habitué à des températures plus clémentes, les Chiliens ont élu le 19 décembre pour les quatre prochaines années un nouveau président qui représente l’antithèse de tous les présidents qui se sont succédé depuis Salvador Allende (1970-1973).
Gabriel Boric deviendra à 35 ans le plus jeune président de la République. Au-delà de l’altérité du jeune âge du prochain président, c’est ce qu’il représente sur le plan politique et doctrinal qui fera date au Chili.
Le Chili est mondialement reconnu comme le pays le plus prospère de la région latino-américaine. Il est perçu comme un havre du capital privé et un paradis pour les investisseurs dans l’industrie minière, les nouvelles technologies et les énergies renouvelables.
Toutefois, cette prospérité n’a pas réussi à escamoter le creusement d’un fossé d’inégalités entre une minorité très riche et une majorité qui sombre dans une pauvreté insoutenable et un endettement endémique.
C’est au milieu de cette réalité paradoxale que les réformes structurelles promises par Boric à ses millions d’électeurs, prennent tout leur sens.
La sensibilité sociale de ses promesses et ses positionnements en faveur des petites gens, des travailleurs et des étudiants ont convaincu plus de 4,6 millions de Chiliens de voter pour Boric, devenu le candidat ayant recueilli le plus de voix dans toute l’histoire électorale du pays.
Pendant sa campagne des primaires, Boric s’était positionné à l’extrême gauche de la scène politique. Par moment, il s’en était pris férocement aux anciens gouvernements du centre-gauche qui avaient gouverné le pays, notamment ceux de Ricardo Lagos et Michelle Bachelet.
Puis au fur et à mesure que l’échéance des présidentielles approchait, il a commencé à glisser lentement vers le centre gauche et à entrer dans le costume d’homme d’Etat fédérateur qui « veut être le président de tous les Chiliens ».
Sa condamnation des résultats des élections au Nicaragua qui ont offert à Daniel Ortega un nouveau mandat à la tête du pays a marqué une rupture par rapport aux positions idéologiques maintenues par ses alliés communistes.
Le premier défi auquel il sera confronté porte le nom du système des retraites qui est géré exclusivement par des compagnies privées. Boric a promis de réformer ce système afin de garantir des retraites dignes aux Chiliens après une vie de dur labeur.
Cette réforme, qui s’annonce difficile au Parlement, va constituer le premier pas vers la concrétisation de ses promesses pour mettre fin aux inégalités sociales et économiques historiques au Chili.
Son accession à la tête du pays est l’épilogue d’un long processus commencé en octobre 2019 avec des émeutes sociales que personne ne voyait venir, même les plus pessimistes des observateurs. Les stigmates de ces émeutes sont toujours visibles dans le centre de Santiago. L’emblème de ces troubles qui ont fait vaciller le pays demeure l’imposant centre culturel Gabriela Mistral incendié par des émeutiers en colère.
Ce ras-le-bol d’une jeunesse indignée a levé le voile sur une réalité sociale difficile et un système d’éducation qui consacre les inégalités entre ceux qui peuvent payer et aspirer à un avenir et ceux qui n’ont pas les moyens et pour lesquels l’ascenseur social était définitivement en panne.
Les émeutes avaient paralysé le pays pendant deux mois et ont débouché sur un accord entre le gouvernement et les leaders du mouvement, dont Boric, pour mettre en place une Assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle Loi Fondamentale pour remplacer celle héritée de l’ère Pinochet.
L’étoile de Boric, en sa qualité de député et ancien président de la fédération des étudiants chiliens, a commencé à briller lors des négociations avec le gouvernement et pendant la campagne pour le référendum qui a entériné l’Assemblée constituante.
Les signes avant-coureurs du virage à gauche que le Chili prenait doucement, mais sûrement, étaient devenus évidents lors de l’élection des 155 membres de l’Assemblée constituante, dont la majorité a été remportée par des membres des mouvements de gauche, des écologistes et des leaders des peuples indigènes.
Signe d’un autre changement de paradigme au Chili, Tous les stratèges de la victoire de Boric, qui vont certainement l’accompagner à des postes clés de son mandat, sont des trentenaires nés au crépuscule de la dictature d’Augusto Pinochet, lorsque le dictateur chilien avait commencé à lâcher du lest et à préparer la transition vers la démocratie.
A l’autre bout de l’échiquier, les détracteurs du président élu ont exprimé, à tort ou à raison, leur crainte de voir le pays évoluer dans l’orbite des pays comme le Venezuela ou Cuba, ce qui risquerait, selon eux, de compromettre les acquis des 30 dernières années de prospérité économique.
Dans son premier discours de la victoire, Boric a remis les pendules à l’heure. L’objectif principal de son gouvernement est de décréter plus de « droits sociaux » dans leur acception la plus large.
Il veut rendre aux chiliens l’espoir dans un « Etat providence » qui veille sur leur bien-être, en injectant plus de fonds publics dans une éducation gratuite, un système de santé accessible et des logements dignes.
Passée l’effervescence du triomphe, une question taraude les esprits. Le choix des Chiliens de virer à gauche a-t-il été judicieux ?
Seul l’exercice du pouvoir par le futur locataire du Palais de La Moneda pendant les quatre prochaines années pourrait apporter la réponse sur le bien-fondé de ce choix.