Attendons pour voir…
Nabil EL BOUSAADI
« Conformément à la Constitution afghane, en cas d’absence, de fuite, de démission ou de mort du président, le premier vice-président devient le président par intérim. Je suis actuellement dans mon pays et je suis le légitime président par intérim. J’en appelle (donc) à tous les leaders pour obtenir leur soutien et le consensus ».
Tel fut le message lancé, mardi, en anglais, sur Twitter, par Amrullah Saleh, l’ancien vice-président d’Ashraf Ghani et ennemi-juré de longue date des Talibans, désormais au pouvoir à Kaboul, auxquels il a promis de ne point se soumettre après s’être retiré dans la vallée du Panjshir, cette région difficile d’accès qui n’est jamais tombée ni entre les mains des Soviétiques ni entre celles des Talibans, pour y rencontrer le fils du Commandant Ahmed Shah Massaoud.
Pour rappel, dimanche et avant même d’entrer dans la clandestinité, l’ancien vice-Président d’Ashraf Ghani avait déclaré, dans un tweet : « Je ne décevrai pas les millions de personnes qui m’ont écouté. Je ne serai jamais sous le même toit que les talibans. JAMAIS ! ».
Des photos circulant sur les réseaux sociaux ont, dès mercredi, immortalisé la rencontre entre l’ancien vice-président afghan et le fils du célèbre Commandant Ahmed Shah Massaoud assassiné par Al Qaïda deux jours à peine avant les attentats du 11 septembre 2001 et d’autres clichés, pris à l’intérieur des locaux de l’ambassade d’Afghanistan au Tadjikistan, ont révélé que le portrait officiel d’Ashraf Ghani avait été retiré et remplacé par celui d’Amrullah Saleh.
Mais qui est donc Amrullah Saleh qui se prévaut aujourd’hui du titre « légitime » de Président par intérim de l’Afghanistan après la fuite d’Ashraf Ghani ?
Né le 15 Octobre 1972 dans la vallée du Panjshir, Amrullah Saleh, devenu orphelin très tôt, a rejoint, dès 1990, les « Moujahidines » du Commandant Ahmed Shah Massaoud qui combattaient les forces soviétiques. Il deviendra, par la suite, membre du gouvernement afghan avant que celui-ci ne soit renversé par les Talibans lorsqu’ils instaurèrent, dans le pays, ce régime fondamentaliste qui sera chassé par les troupes US lors de leur entrée à Kaboul en 2001.
Après l’entrée, en Afghanistan, des forces américaines et des soldats de l’OTAN, Amrullah Saleh deviendra une importante source d’information pour la C.I.A. et en le plaçant, en 2004, à la tête du Directoire National de la Sécurité – le service afghan du renseignement – l’administration américaine va lui permettre de créer un vaste réseau d’informateurs et d’espions parmi les talibans aussi bien en Afghanistan qu’au Pakistan où se trouvent un grand nombre de leurs dirigeants.
Mais après avoir été sérieusement réprimandé, en 2010, par le président afghan d’alors, Hamid Karzaï, après un attentat manqué contre une « jigra » – conférence de paix tenue à Kaboul – même s’il n’y avait eu ni victimes ni blessés et que les assaillants furent arrêtés, il n’a pas digéré cette humiliation et démissionnera de son poste à la tête de la NDS. Son départ sera considéré, par le quotidien britannique « The Guardian », comme étant un « immense revers pour les efforts étrangers d’améliorer la sécurité [de l’Afghanistan] et de réformer les forces de police corrompues à peine instruites et largement sous-entraînées ».
Refusant de croiser les bras face à ce nouvel ennemi qu’est devenu le président Hamid Karzaï, qui aurait perdu « sa conviction dans la lutte contre les talibans », Amrullah Saleh créera, alors, l’ « Afghan Green Trend » qui fut à l’origine de plusieurs manifestations anti-corruption et anti-talibans à telle enseigne qu’en Août 2010, le magazine britannique « New Statement » écrira que « les talibans et leurs sponsors au sein du renseignement pakistanais, considèrent Saleh comme étant leur plus féroce opposant ; ce dont il est extrêmement fier ».
Amrullah Saleh fera, enfin, son retour officiel en politique, en 2018, lorsque le président Achraf Ghani lui confiera le ministère de l’Intérieur et qu’il accèdera, après l’élection présidentielle de 2019, à la vice-présidence de la république.
Visé par plusieurs attaques terroristes fomentées par les Talibans auxquelles il a toujours échappé, Amrullah Saleh sortira vivant de la dernière en date qui eût lieu le 9 septembre 2020 lorsqu’une charrette qui avait explosé à son passage avait fait au moins dix morts. Réapparaissant, quelques heures après cette attaque, dans une vidéo la main gauche couverte de bandages, il déclarera qu’il reste entièrement disposé à continuer le combat qu’il mène contre les talibans même si ceux-ci avaient nié toute responsabilité dans cette attaque et que personne ne l’avait revendiquée.
Si le nouveau président par intérim de l’Afghanistan et son nouvel allié, le fils du Commandant Ahmed Shah Massaoud, soucieux de poursuivre le combat de son père, semblent, désormais, disposés à s’attaquer, main dans la main, aux Talibans, depuis la région « inviolable » du Panjshir, ce ne sera, pour Amrullah Saleh, qu’une nouvelle offensive dans la longue série de batailles qu’il mène contre les talibans depuis bien longtemps. Alors, attendons pour voir….