«Je me suis engagé à faire entendre la voix des habitants des montagnes»

Amnay Abdelhadi 

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Amnay Abdelhadi, l’enfant prodige de la villedes roses, Kelaa M’gouna, a pu faire entende la voix des oubliés, des marginaux par le bais de la musique et de la poésie. C’est en 2005 que le jeune chanteur engagé a fait ses premiers pas dans le domaine de la musique. «Un artiste est à la fois le porte-parole et le messager de sa génération et de celles d’après », a-t-il dit. En effet, le chanteur et compositeur, comptant  à  son actif  4 albums, 2 vidéo-clips, et 5 singles,  a fait  le tour  du  monde en se produisant sur les différentes scènes en Suisse, France, Espagne, USA, Algérie, Tunisie… «Mon engagement envers ma culture et mon identité Amazigh est né de la nécessité de les sauvegarder et les remettre en lumières. », a-t-il affirmé. Et d’ajouter : «une langue est porteuse de toute une identité, une image symbolique de tout un peuple.» Entretien !

Al Bayane : de prime abord, qui est Amnay Abdelhadi ?

Amnay Abdelhadi : Je suis un «gentilhomme» de la cité des roses Kelaa M’gouna, né en 1989 au sein d’une modeste famille dont le père était soldat (symbole de la discipline), et d’une mère chanceuse d’avoir pu accéder à l’école pendant les années 50.  J’ai vécu entouré de frères, sœurs et oncles amateurs de la musique et de la culture en générale et de la culture amazighe en particulier.  J’ai débuté dans la musique en 2005, et au jour d’aujourd’hui, j’ai pu produire 4 albums, 2 vidéo-clips, et 5 singles. Ces chiffres restent modestes par rapport à d’autres, mais c’est le fruit de plusieurs efforts, en particulier pour les artistes venant de «petits villages» et sans industrie derrière. En ce qui est des scènes, j’ai pu participer à des centaines de concerts au Maroc comme à l’étranger (Suisse, France, Espagne, USA, Algérie, Tunisie…) où la diaspora amazighe n’hésite pas à nous solliciter.

Vous êtes à la fois musicien, auteur, chanteur et compositeur. D’où puisez-vous vos textes et vos mélodies ?

A vrai dire, je suis très reconnaissant envers ma famille, c’est de là où vient ma passion pour la musique, entre ma mère qui écoutait Mohamed Abdou et Sabah, mon père qui écoutait Izenzaren, et mon frère Abderrahman qui m’a fait découvrir Idir. Mon oreille musicale s’est bien nourrie de diverses mélodies et poésies venant de différents backgrounds.

J’ai eu aussi la chance d’approcher des instruments de musique dès mon jeune âge, Guitare, Oud, Banjo, ou encore des percussions traditionnelles, que mes Oncles déposaient chez nous car mon grand-père ne leur autorisait pas à les avoir chez eux.

Concernant mes textes, je m’inspire fortement de mon entourage, de mes expériences personnelles et de celles des autres, tout en mettant en considération ce que mes textes peuvent apporter comme changement ou épanouissement auprès de mon public. Car j’ai toujours cru en l’importance et la noblesse de la mission que mènent les artistes, pour réveiller les consciences ou encore glorifier le vivre en paix, et la liberté.

Vous êtes souvent à la quête de nouveaux horizons artistiques et styles musicaux internationaux entre autres le Bleus, le rock, le classique, et l’amazigh. Est-il un moyen pour donner à la chanson amazighe un souffle universel ou c’était uniquement une simple envie de renouvèlement et de rénovation au niveau des mélodies et des rythmes ?

C’est avant tout une découverte pour moi, comme je suis un grand amateur de musique en général, j’écoute et apprécie à peu près tous les styles musicaux, c’est de la que vient mon envie de marier la chanson amazighe à d’autres styles venant de partout. Le but est à la fois d’amener la chanson amazighe au grand public, et d’autre part, la moderniser et diversifier son répertoire musical.

Dans vos albums, on ressent cet engagement artistique par le choix des thématiques et des sujets abordés dans votre musique voire un certain regard sur la vie des gens dans les régions enclavées. A votre avis, quelles sont les tâches des artistes et de la musique aujourd’hui ?

Certes, à mon avis, un artiste est à la fois le porte-parole et le messager de sa génération et de celles d’après, car il exprime haut tout ce que les gens pensent tout bas. Parfois, il guide et inspire pour un meilleur avenir, vers d’autres horizons où la chanson à texte demeure  est un canal efficace pour atteindre ce but.

Mon engagement envers ma culture et mon identité Amazigh est né de la nécessité de les sauvegarder et les remettre en lumières, car elles étaient systématiquement en voie de disparition, comme on a voulu faire du peuple nord-africain ; un peuple qu’il n’est pas. Et aussi je me suis engagé à faire entendre la voix des habitants des montagnes, marginalisés et exclus de tout programme de développement et des moindres infrastructures. Ces gens souffrent pendant toutes les saisons, et ont besoin d’éducation pour leurs enfants, des hôpitaux, d’eau, et d’électricité… etc.

Vous chantez et écrivez dans une autre langue que votre langue maternelle. Que représente la langue pour vous ? Est-elle un simple moyen de transmission du message sachant qu’une langue est porteuse d’une identité, des lettres de noblesse d’un peuple ? 

Vous avez raison, une langue est porteuse de toute une identité, une image symbolique de tout un peuple ; c’est pour cela que la majorité de mes chansons sont en Amazigh. Mais, il m’arrive de chanter également en arabe, en français et en anglais. Je le fais pour mieux m’exprimer auprès de celles et ceux qui ne connaissent pas l’Amazigh, et pour que mon engagement envers le peuple et l’identité amazighs prenne une ampleur mondiale. Néanmoins, si je m’engage musicalement en langue tamazight plus que via d’autres langues, c’est parce qu’il n’y a pas mieux que sa langue maternelle pour exprimer ses convictions, sa vision du monde et des choses. J’œuvre également pour que tamazight soit préservée et transmise.

La chanson amazighe a beaucoup souffert de ce regard folklorique. Aujourd’hui, les choses ont changé avec des jeunes artistes amazigh(e)s porteurs de nouveaux projets artistiques, tous styles confondus, dépassant la localité. Qu’en pensez-vous ?

Vous ne pouvez pas savoir à quel point cela me satisfait de voir autant de talents bienveillants de la culture amazighe briller sur les scènes. C’est une fierté pour la chanson amazighe qui a pu dépasser les enclaves de la folklorisation grâce à des artistes doués, cultivés et généreux.

Certes, c’est notre patrimoine immatériel, mais il faut sauvegarder et promouvoir. Or,  c’est aussi injuste de résumer la chanson amazighe uniquement à l’Ahidous et à l’Ahwach… et partant de cette idée, j’ai mené une campagne de modernisation de la chanson traditionnelle qui a donné ses fruits bénéfiques! Je trouve que c’est une très belle astuce pour mieux sauvegarder son patrimoine oral.

Plusieurs courants avaient franchi ce pas dès les années 70 dans le Souss ou dans le Rif à travers de nouvelles mélodies amazighes qui demeurent authentiques. Le Sud-Est a également connu cet essor. Et ça continue…

Certes, il y a cette oralité qui menace parfois la mémoire collective. A votre avis, comment la musique pourrait elle œuvrer pour la préservation non seulement des chants amazighs mais aussi de garder une partie de l’Histoire de l’oubli ?

Personnellement, j’ai enregistré pas mal de chants traditionnels qui sont liés aux activités rurales par nécessitée parce que ces chants perdent leur fonction par la perte de ces activités comme L’Azetta (tissage), ou le Bayannu (chants des enfants). Mettre ces chants oraux en musique à disposition de tout le monde est une véritable contribution à la sauvegarde de la mémoire amazighe. Sans oublier l’inclusion de certains chapitres de l’Histoire amazighe dans mes chansons pour apprendre à l’oreille qui peut s’avérer plus efficace que la lecture.

Aujourd’hui, un bon nombre de musiciens et d’artistes recourent aux plateformes digitales pour mieux faire connaitre leurs univers musicaux. Pourquoi, à votre avis ? 

Le monde est désormais connecté, et il va à une vitesse incroyable.  A vrai dire,  les gens n’ont plus le temps d’aller en magasin pour acheter des disques ou encore les écouter sur leurs vieux appareils. Il leurs suffit aujourd’hui de se servir d’internet pour avoir accès a une surprenante bibliothèque musicale. Du coup, le grand nombre d’artistes ne produisent plus de disques. En revanche, ils préfèrent vendre leurs musiques sur les plateformes de téléchargement digital. Et ça leurs donnent plus de visibilité via les astuces du marketing digital bien avancées.   

Ne pas recourir à ces plateformes pourrait créer un déséquilibre c’est-à-dire que les artistes qui seront connectés seront plus accessibles que ceux qui ne le sont pas. Pour continuer à porter son message,  il faut offrir une facilité d’accès et utiliser les moyens disponibles tant que ceux-ci ne portent pas atteinte à personne.

Est-il facile aujourd’hui de faire voire produire de la musique au Maroc notamment dans un secteur artistique fragile marqué par l’absence d’une véritable industrie de la musique, où l’informel règne encore ?

Je pense que l’Etat n’investit pas suffisamment dans le domaine de la culture. Car, on est en maque de salles de spectacles, de labels, de producteurs, et des tourneurs pour tous styles de musique au Maroc. On ne peut pas parler d’industrie de la musique tant que la structure n’est pas complète.

Les artistes ont besoin de tous ces intervenants pour les encourager à créer plus. En effet,  tant que ce n’est pas le cas, ils trouveront de plus en plus des difficultés à produire leur musique. 

Là, aussi, il y a un déséquilibre parce que certains artistes arrivent à s’autoproduire et à s’autofinancer et bien d’autres qui n’y arrivent pas.  C’est là en fait où l’Etat doit investir, car la culture est génératrice de revenu et de richesses.

Est-il facile de vivre de sa musique au Maroc ?

La réponse est : non !  Je pense qu’il n’y a pas un seul musicien au Maroc qui n’a pas d’autres sources de revenu. C’est difficile de vivre que de sa musique, notamment quand on a une famille à nourrir  et des factures à payer. Mais, la musique reste une passion, une mission parfois à accomplir! On ne peut pas s’en séparer quand on s’y goute.

Quels sont vos projets artistiques à venir ?

C’est un projet que je dévoile pour la première fois. En fait, je viens de finir l’enregistrement d’une collection de nouvelles chansons qui composent mon projet artistique : Tiwan D Uzawan / rythmes et Musique, dans lequel j’ai opté avec les soutiens de mes amis artistes et collaborateurs à revitaliser les chants traditionnels oraux en les mariant à la musique du monde, un projet de sauvegarde et de revalorisation qui sera ouvert à  toutes interprétations. Et qui verra le jour sous forme de vidéo clip pour associer le son à l’Histoire et à l’image afin d’accomplir mon travail de mémoire. 

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