Les internautes marocains avaient bien rigolé sur les réseaux sociaux lorsqu’ils avaient vu un groupe de jeunes compatriotes défiant le couvre-feu et criant, à l’unisson «Corona siri b7alek, ra lmaghrib machi dyalek!» comme s’ils s’adressaient à un personnage honni qui pouvait annuler sa visite au pays s’il venait à apprendre qu’il n’est pas le bienvenu. Piètre comportement que celui-là ont-ils déclaré après qu’il ait suscité chez eux beaucoup de mépris et leur ait donné l’image d’un peuple qui, en étant empêtré dans l’ignorance et le sous-développement, va mettre beaucoup de temps pour s’en sortir…
Mais, en regardant ce qui s’est passé dimanche dernier, en Inde à 21h (15h 30 GMT), on peut considérer que le comportement de nos jeunes compatriotes ne relève pas forcément de l’ignorance dès lors qu’il contient en lui-même une certaine pensée métaphysique si tant est que cette dernière désigne «la connaissance du monde, des choses ou des processus en tant qu’ils existent ‘au-delà’ et indépendamment de l’expérience sensible que nous en avons».
Ainsi, dimanche dernier, dans toutes les villes indiennes, au milieu des applaudissements, du crépitement des feux d’artifice et des pétards et dans une scène aux allures de la grande fête des lumières de «Diwali» qui se tient chaque automne, dans le pays, pour célébrer la victoire du bien contre le mal, hommes, femmes et enfants criaient «Vive l’Inde, notre mère patrie», «Va-t-en Corona!».
La seule différence qu’il y a entre ces deux groupes d’individus c’est que, «pour fermer la porte à Corona», les premiers ont agi de leur propre initiative alors que, pour chasser les «ténèbres du coronavirus», les seconds ont répondu aux «instructions» venues d’en haut lorsque leur Premier ministre leur a dit «Je veux neuf minutes de votre temps. Eteignez toutes les lumières à la maison. Tenez-vous au balcon ou sur le pas de votre porte avec une bougie, la lampe d’un téléphone portable, une torche ou une lampe à huile».
Ainsi, dans un étrange alignement du chiffre «9», au neuvième jour d’un confinement qui a commencé le 25 mars, donc le 5 Avril, à 9h du matin, le Premier ministre indien a adressé un message de 9 minutes à ses compatriotes les invitant à éteindre à 9 heures du soir toutes les lumières et à allumer des bougies ou des torches pendant neuf minutes.
Au moment convenu, tout le monde a répondu à la demande de Narendra Modi. Même les plus sceptiques ont éteint leurs ampoules par crainte d’être pris par les voisins pour des mécréants ou des adversaires du Premier ministre donc des ennemis de la patrie.
Le Premier ministre indien – que ses admirateurs appellent affectueusement «Namo» – s’est lui-même photographié allumant une lampe traditionnelle après avoir posté, sur Twitter, un message en sanscrit à travers lequel il a salué «la lumière qui amène la chance, la santé et la prospérité et chasse les pensées négatives» et rappelé, à ses compatriotes, dans un message vidéo, qu’«en faisant de la lumière dans les quatre directions (ils vont) défier les ténèbres du coronavirus et montrer la force de 1,3 milliard d’Indiens».
Et si, officiellement, dans un pays qui compte autant d’habitants, seules 3.500 personnes ont été déclarées positives au Covid-19 et qu’à ce jour l’Inde ne déplorerait que 83 décès des suites de la pandémie, force est de reconnaître, toutefois, que même si les autorités ont décrété un « confinement total » à partir du 25 mars dernier et ordonné la fermeture des magasins et des frontières entre les différents Etats ainsi que l’arrêt des transports publics, les chiffres communiqués ont de très fortes chances d’être bien en-deçà de la réalité du fait de l’absence totale de toute campagne de dépistage.
Ainsi, ce samedi, et après que la veille la police de Bombay ait bouclé la plupart des accès menant à Dharavi – l’un des plus grands bidonvilles d’Asie comptant près de 700.000 habitants – le ministère de la Santé a «conseillé» à la population de porter des masques artisanaux réutilisables pour «aider à protéger la communauté dans son ensemble».
Soucieuses, de leur côté, de trouver une signification à l’étrange alignement du chiffre « 9 » tel que préconisé par le Premier ministre indien, les médias n’y ont trouvé rien d’autre qu’une tentative de détourner momentanément l’attention sur la situation catastrophique du pays quand la crise sanitaire mondiale du coronavirus y est venue s’ajouter à la crise humanitaire qui le frappe et alors que la faim menace plusieurs centaines de millions d’indiens abandonnés à leur triste sort depuis le début du confinement.
Et si, enfin, au lendemain du «cérémonial» initié par le Premier ministre indien, Omar Abdullah, l’ancien chef du gouvernement du Jammu-et-Cachemire, récemment sorti de 7 mois d’emprisonnement après le coup de force du mois d’Août dernier, a demandé, dans un message sur Twitter si «le corona était parti» – histoire de se moquer du Premier ministre – il y a lieu de préciser que les chiffres officiels donnés par le ministère de la Santé n’ont fait part d’aucun miracle mais plutôt d’une progression continue, mais encore lente, des contaminations. Qu’en sera-t-il dans les jours et les semaines à venir ? Attendons pour voir…
Nabil El Bousaadi