«Repenser l’intégration locale, un prérequis pour une nouvelle doctrine de l’industrie marocaine»

Conférence-débat du FEP

M’Barek Tafsi

Le Maroc, pays retardataire en matière d’industrialisation a intérêt à concentrer ses efforts sur ses phosphates, son littoral, son potentiel énergétique et son uranium.

Le Forum des économistes du progrès (FEP), une association affiliée au Parti du Progrès et du Socialisme, a organisé, jeudi 25 juillet au siège national du parti à Rabat, une conférence-débat autour du thème : «repenser l’intégration locale, un prérequis pour une nouvelle doctrine de l’industrie marocaine», animée par le vice-président du FEP Youssef Kriem, ingénieur dont la formation polyvalente lui permet de mener des recherches dans de nombreux domaines d’activité.

Benmoussa : l’industrialisation est indispensable pour le développement durable du pays

Ouvrant le débat, le président du FEP Pr Benmoussa a rappelé que l’histoire du développement des pays montre que cette œuvre est tributaire avant tout du niveau de leur industrialisation et des industries dont ils disposent.

Cette action est même indispensable pour tout développement durable des pays, à l’heure des changements climatiques et des phénomènes extrêmes qui bouleversent de plus en plus la donne, serait-on tenté de dire.

Ce qui n’est pas le cas du Maroc, qui a accusé un grand retard en la matière et qu’il essaie à présent de rattraper en lançant dès 2005 une série de programmes d’industrialisation. En attendant, le pays est confronté à un certain nombre de difficultés pour créer suffisamment de richesses, indispensables pour la réalisation de taux croissance plus élevés. Il fait face aussi à des obstacles qui entravent la redistribution équitable des richesses créées, à travers notamment une politique fiscale plus juste, alors que le pays œuvre pour la réalisation des chantiers requis pour l’Etat social.

Après avoir rappelé que tous les pays développés sont des pays industrialisés avec quelques rares exceptions, il a indiqué que les pays retardataires en matière d’industrialisation comme le Maroc ont beaucoup de peine à se frayer un chemin parmi les pays émergents et les pays développés.

D’où l’intérêt de chercher des réponses aux difficultés que connait le processus d’industrialisation du Maroc, nonobstant tous les efforts déployés depuis son indépendance et en particulier depuis le lancement du Plan d’Emergence (2006-2014), suivi par le Plan d’accélération industrielle (2014-2020) et un autre plan du même nom pour la période 2021- 2025. En théorie, rappelle-t-on, ces plans s’étaient fixés comme objectif d’accroître significativement la part du secteur industriel dans le PIB pour la porter à 23 %, tout en favorisant l’intégration sectorielle et en accompagnant la montée en gamme de la production vers des produits à plus forte valeur ajoutée.

En dehors de l’importance de tous ces plans, la part du secteur industriel oscille aujourd’hui autour de 15% dans le PIB et autour de 12% dans l’emploi, a-t-il dit, ajoutant que l’ouverture de l’économie marocaine sur le commerce extérieure n’a pas impacté non plus positivement l’intégration locale, étant donné que tout l’effort était orienté vers le développement des exportations, alors que l’intégration locale a été négligée.

Dans une tentative de répondre à cette question, le Nouveau modèle de développement a recommandé entre autres une transformation de l’économie nationale à travers une sophistication de la production, la mise en place de filières d’avenir et une amélioration de l’indice de complexité économique du pays, qui occupe à ce niveau le 81ème rang, a-t-il rappelé.

Au niveau de l’export, on parle officiellement de 6.000 entreprises exportatrices, alors qu’en pratique 1.000 seulement sont opérationnelles.

Le NMD parle par ailleurs du capital matériel et immatériel qu’il importe de mobiliser et mettre à contribution pour le développement du pays, œuvre qui requiert, d’après les recherches du conférencier Youssef Kriem, l’exploitation à bon escient des atouts du pays (3000 km de côtes maritimes, premières réserves mondiales de phosphates, etc…).

Youssef Kriem : Les industries automobile et aéronautique ne sont pas la panacée aux problèmes du pays

Prenant la parole et sans aller jusqu’à remettre en question l’option pour les industries automobile et aéronautique, l’ingénieur Youssef Kriem a estimé, dans son exposé, que ces deux métiers mondiaux du Maroc ne sont pas la panacée en termes de création de valeur. Il a toutefois noté qu’il y aurait toutefois des enseignements à tirer de la stratégie de leur développement.

Dans les deux cas, a-t-il expliqué, le Maroc a fait le choix d’aborder la chaîne de valeur à partir de son aval, à savoir l’assemblage, tout en pariant sur la mise en place progressive d’un écosystème d’équipementiers plus ou moins intégrés localement qui lui permettrait de capter dans un temps ultérieur une plus grande partie de la valeur créée.

Dans les deux cas, a-t-il ajouté, le Maroc s’est contenté de contribuer à la chaîne de valeur par la mise à disposition de la main d’œuvre (travail), du foncier et des infrastructures logistiques (capital), à l’exclusion du savoir-faire et des matières premières.

Au-delà de ce choix, le Maroc espérait remédier à la faible capacité de son économie à créer suffisamment de richesses et d’emplois pour booster le développement du pays (taux de croissance de 3,2% en 2023 et taux de chômage de 13% la même année), a-t-il rappelé. Il aspirait aussi à améliorer le taux d’intégration locale sur l’ensemble de la chaîne de valeur des filières industrielles (automobile et aéronautique), sur lesquelles il mise depuis 2005.

Convaincu donc du fait que le développement du pays requiert son industrialisation, le Maroc a lancé des programmes d’industrialisation le (Plan Emergence et Plan d’accélération industrielle) tout en se fixant l’objectif d’augmenter à 23 % la contribution du secteur industriel au PIB, sachant que cette contribution est restée invariable depuis des décennies, nonobstant les efforts déployés dans le cadre de ces plans.

Explicitant davantage son raisonnement, le conférencier a estimé que contrairement à ceux qui avancent que le taux d’intégration dans la filière automobile dépasse 65%, celui-ci ne dépasse pas 20%. En fait, le taux d’intégration dont ils parlent correspond à la proportion des achats réalisés auprès de fournisseurs et sous-traitants immédiats (dits de premier rang) produisant au Maroc. Ils oublient toutefois que ces fournisseurs s’approvisionnent auprès d’autres fournisseurs qui disposent eux aussi de leurs fournisseurs, qui comptent sur l’importation de leurs intrants de l’étranger. Il s’ensuit qu’en réalité le taux d’intégration ne dépasserait pas 20% de ce qui est effectivement produit au Maroc dans le cas de l’automobile, qui s’appuie sur une longue chaine (R§D, matières premières, équipementiers, constructeurs, assembleurs, concessionnaires) avant d’atteindre le consommateur.

Partant donc de ce constat, le Maroc aurait intérêt à concentrer ses efforts sur les filières où il dispose d’un avantage certain, comme c’est le cas des phosphates. Avec l’OCP (office chérifien des phosphates), le Maroc est un faiseur de marché certain et indiscutable. Il détient 70% des réserves mondiales en la matière.

Il dispose aussi de 35.000 km de côtes parmi les plus poissonneuses au monde et de 8 millions de terres arables en plus de 3.000 km² de désert.

Après avoir passé en revue l’exploitation des gisements de phosphates par l’OCP et leur mise en valeur, il a indiqué que leur teneur en uranium est élevée (6,9 millions de tonnes de réserves : 1er rang mondial). Ce qui est susceptible de faire du Maroc un des grands producteurs d’uranium et de lui permettre par ricochet de renforcer sa capacité de production de l’énergie décarbonée, lui qui importe à présent une grande partie de ses besoins en la matière (90%).

Pour faire face à cette situation, le Maroc avait opté pour les énergies renouvelables (solaire, l’énergie de la houle et des marées, celle du vent au large avec l’éolien offshore et d’autres).

Selon lui, les filières d’énergie décarbonée et du verre ainsi développées pour la sécurisation de l’approvisionnement en panneaux photovoltaïques, permettront de faire du Maroc un exportateur net d’électricité verte, à l’instar de ce que promet le projet d’interconnexion X-links entre le Royaume du Maroc et le Royaume Uni.

Le conférencier a également souligné que les industries agroalimentaires ont aussi un rôle important à jouer, à travers notamment la mise en valeur des richesses halieutiques du pays pour pouvoir remédier dans le même temps à l’incapacité de la production agricole à couvrir les besoins du pays.

Dans ce cadre, a-t-il dit, il importe de lutter notamment contre la « malbouffe » à un moment où l’obésité et le surpoids gagnent du terrain chez toutes les tranches de la population. Il importe aussi de faire face au stress hydrique structurel dont souffre le pays à travers le lancement de nouvelles cultures adaptées à la situation et à forte valeur nutritive (algues, champignons).

Il s’est arrêté de même sur le choix du Maroc de dépasser le tabou de la culture du chanvre et d’en confier l’exploitation à l’ANRAC (Agence nationale de réglementation des activités relatives au cannabis). Celle-ci est chargée de mettre en œuvre la stratégie de l’Etat dans le domaine de la culture, de la production, de la fabrication, de la transformation, de la commercialisation, de l’exportation du cannabis et de l’importation de ses produits à des fins médicales, pharmaceutiques et industrielles.

Quant au débat ayant sanctionné cette conférence, il a porté essentiellement sur les risques qui accompagneraient la culture du cannabis et la décision du Maroc de tirer profit de ses importantes réserves d’uranium pour renforcer sa sécurité énergétique pour le bien du pays.

Le conférencier Youssef Kriem est un ingénieur civil de l’Ecole Hassania des travaux publics. Il est titulaire d’un MBA de l’Ecole nationale des ponts et chaussées et d’un master en transport du MIT. Il dirige actuellement un bureau d’études d’ingénierie.

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