Attendons pour voir…
Nabil EL BOUSAADI
S’il est de notoriété mondiale qu’en Scandinavie les femmes ont toujours eu la part belle et la reconnaissance qu’elles méritent, il n’en demeure pas moins vrai qu’elles sont sanctionnées de la même manière que leurs compères mâles et ne bénéficient d’aucune faveur particulière quand elles manquent à leurs obligations.
C’est à ce titre que la libérale Inger Stojberg, 48 ans, ancienne ministre danoise de l’immigration ayant incarné, de 2015 à 2019, le durcissement de la politique migratoire de Copenhague et qui n’avait aucune crainte d’être accusée de faire de la « politique symbole » dans le but de limiter, au maximum, l’arrivée de migrants au Danemark, a été condamnée, ce lundi 13 décembre, par la Cour Spéciale de Justice du pays, après deux mois d’audience, à soixante jours de prison ferme.
Mais bien que l’intéressée ait été jugée coupable de violation de la loi alors même qu’elle n’avait pas lésiné sur les moyens à mettre en œuvre en arrosant les médias arabophones de publicités décourageant les candidats à l’exil, force est de reconnaître que son objectif de limiter le flux migratoire en direction du Danemark a été repris par les sociaux-démocrates lorsqu’ils sont revenus au pouvoir, en 2019, si bien qu’en une année les arrivées de migrants, dans ce pays de 5,8 millions d’habitants, ont dégringolé de 21.000 à 6.200.
Il faut dire, également, que le Parlement est appelé à se prononcer sur son éventuelle exclusion de son mandat de députée en ce moment où l’immigration est en tête des préoccupations de 70% des danois et qu’Inger Stojberg reste, néanmoins, leur ex-ministre préférée du fait notamment de son goût assumé pour la provocation et le politiquement incorrect.
C’est donc pour avoir « illégalement » fait séparer, en 2016, les couples de demandeurs d’asile, dont la femme était mineure, que l’ancienne ministre danoise de l’immigration a comparu, ce lundi, devant la Cour Spéciale de Justice du Danemark.
Il faut reconnaître qu’à l’époque le sujet des « enfants mariés » faisaient rage au Danemark tant et si bien que ce sont trente-quatre couples de demandeurs d’asile qui furent séparés durant le printemps 2016. Parmi ceux-ci figuraient deux syriens ; à savoir, Rimaz Alkayal, 17 ans, enceinte, et son époux, Alnour Alwan, 26 ans. Mais quand le couple avait demandé à être entendu, sa requête fut rejetée et ce dernier n’avait pas eu d’autre alternative que celle de contacter le Défenseur des droits qui avait ordonné l’ouverture d’une enquête.
Si donc, en 2016, 23 couples avaient été séparés et placés dans des centres différents pendant l’examen de leurs dossiers sur la seule base de la consigne donnée par la ministre de l’immigration, Thomas Rordam, le Président de la Cour, a jugé cette décision comme étant « illégale car le ministère de l’immigration n’était pas tenu de prendre un arrangement concret dans lequel aucune considération n’était accordée, à titre individuel, aux personnes concernées ».
Ancienne ministre de l’immigration dans un gouvernement de centre-droit, soutenu par la droite populiste anti-immigration du Parti du Peuple danois, l’intéressée qui assumait fort bien la très restrictive politique d’accueil mise en place par le gouvernement, se targuait, par ailleurs, d’avoir fait adopter plus de 110 amendements restreignant les droits des étrangers et même d’avoir fait passer une mesure qui permettait à l’Etat danois de confisquer les biens des migrants pour financer leur prise en charge au Danemark. Autant dire que Madame la ministre n’avait pas froid aux yeux…
Aussi, au terme d’un procès qui avait commencé en septembre dernier, Inger Stojberg qui a plaidé non coupable, a, pourtant, été reconnue coupable d’une violation délibérée de la loi sur la responsabilité ministérielle et de la Convention européenne des droits de l’homme en ordonnant la séparation de couples de demandeurs d’asile lorsque la femme avait moins de 18 ans et a écopé de soixante jours d’emprisonnement.
Ne s’étant pas empêchée de déclarer, à l’énoncé du verdict, que « ce sont les valeurs danoises qui ont perdu aujourd’hui ! », tout en remerciant, sur son compte Facebook, ceux qui l’ont soutenue dans cette épreuve, l’ancienne ministre a, également, écrit que bien qu’elle « respecte son jugement » et « accepte sa condamnation sans baisser la tête », elle estime, néanmoins, avoir « été punie pour avoir tenté de protéger des filles ».
Deux mois derrière les barreaux seront-ils suffisants pour pousser celle que certains ont affublé du titre de « briseuse de couples » à avoir des sentiments assez respectueux envers les personnes contraintes à l’exil pour des raisons indépendantes de leur volonté ? Attendons pour voir…