Ramadan au Habous
Hafsa Mokadem
Quand le soleil de Casablanca décline lentement, teintant la ville d’ombres dorées, le quartier des Habous s’éveille d’une autre lumière, celle du Ramadan. Ici, les ruelles pavées résonnent d’un brouhaha joyeux, entre marchands affairés et familles en quête de cette pièce de tradition qui viendra parfaire leurs soirées ramadanesques.
Le marché des Habous, c’est un peu comme une capsule temporelle où le passé se mêle au présent avec une élégance nonchalante. La jellaba, star incontestée des étals, trône fièrement. Capuche relevée ou tombant délicatement sur les épaules, elle incarne cette dualité marocaine, entre raffinement et simplicité. À ses côtés, la gandoura légère, le caftan brodé de fils d’or et les balgha de cuir doux racontent chacun une histoire, celle d’un Maroc qui s’habille de ses plus beaux atours pour célébrer la spiritualité et la convivialité.
Ici, les artisans ne sont pas de simples couturiers. Ce sont des poètes du tissu, des sculpteurs de soie et de coton. Leurs mains façonnent chaque pli, chaque broderie avec une patience infinie, comme s’ils savaient que leurs créations porteront bien plus qu’un corps : elles porteront une âme, une appartenance. Et malgré la montée en puissance des vêtements industriels, la magie du fait-main persiste, fière et indomptable.
Lorsque la nuit tombe, que le muezzin lance son appel, les familles se rassemblent, parées de ces tenues chargées de symboles. La jellaba masculine se fait sobre, presque majestueuse, accompagnée des balgha couleur sable. Les femmes, elles, brillent d’un éclat particulier. Le caftan, pièce maîtresse, danse sous la lumière tamisée, ses broderies scintillent comme les étoiles d’une nuit saharienne.
Et les enfants ? Ils ne sont pas en reste. Dès les premiers jours du Ramadan, les petits yeux brillent d’impatience. Car si les adultes cherchent l’élégance discrète, les enfants, eux, rêvent déjà de l’Aïd al-Fitr. La fête s’anticipe dès maintenant, et chaque détour par les Habous devient une expédition excitante. Les petites gandouras colorées, les jellabas miniatures, les caftans version princesse… tout est là, aligné sur les étals comme une promesse de joie. Les mamans prennent le temps de choisir, imaginant leurs enfants courir dans les ruelles, fiers de leurs habits neufs. C’est une sorte de rite initiatique, une transmission silencieuse du goût du beau, du respect des traditions. Les petites filles virevoltent dans des tissus brodés de lumière, les garçons bombent le torse dans leurs jabadors flambant neufs, et l’on entend déjà les éclats de rire des retrouvailles.
Les vendeurs, eux, jouent le jeu avec une bienveillance malicieuse. Ils s’amusent à flatter les enfants, leur glissant des « Tbarek allah Sidi moulay ! » ou « Lalla Moulati, quelle belle princesse tu fais ! », déclenchant des sourires gênés et ravis à la fois. Les pères marchent derrière, observant la scène avec un mélange de fierté et de nostalgie, se souvenant sans doute de leurs propres tenues d’enfance, soigneusement préparées pour l’Aïd.
Mais le Ramadan aux Habous ne se limite pas à l’élégance des étoffes. Il a aussi la saveur douce et réconfortante des pâtisseries marocaines. Dans cette atmosphère effervescente, une adresse se démarque : la boulangerie Bennis. Depuis 1930, elle est plus qu’une simple enseigne. C’est une mémoire vivante du quartier. Chaque corne de gazelle, chaque feqqas croustillant, chaque briouate sucrée raconte une histoire de savoir-faire, de famille, de passion. Les clients y affluent, poussés par la nostalgie autant que par la gourmandise. Le parfum du beurre fondu, du miel tiède et des amandes grillées flotte dans l’air, irrésistible.
Les habitants du quartier le savent bien : un Ramadan sans passage par Bennis, ce n’est pas vraiment un Ramadan. Baghrir moelleux, khobz baladi rustique, gâteaux finement dorés… Autant de petites douceurs qui viennent clore l’iftar en beauté, prolongeant la chaleur des retrouvailles familiales.
Et à mesure que l’Aïd approche, la frénésie s’amplifie. Les plateaux de gâteaux deviennent plus garnis, les commandes se multiplient. On y trouve les fameuses chebakias, dorées et enrobées de miel, prêtes à trôner sur les tables de fête. Les familles viennent parfois à plusieurs générations pour choisir ensemble les douceurs qui accompagneront le thé à la menthe du matin de l’Aïd. On discute, on échange, on rit. On sent cette effervescence douce, cette anticipation d’un jour pas comme les autres.
Dans les Habous, le Ramadan n’est pas qu’une période de jeûne. C’est une ode vivante à l’héritage marocain, un mélange vibrant de spiritualité, d’élégance et de saveurs. On y vient pour acheter une jellaba, une balgha, un caftan. Mais on repart avec bien plus : une part d’histoire, un brin de fierté, et peut-être même une poignée de gâteaux à partager sous la lune complice.