Sionisme, antisionisme et antisémitisme
Mokhtar Homman
Malgré la faiblesse relative des populations israéliennes juives au Proche-Orient et des ressources locales, le sionisme a réussi à s’imposer dans la région, à ce jour.
L’explication vient bien entendu de ses puissants soutiens dans le monde occidental, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni et la France (puissances ayant régenté le Proche-Orient dans la phase d’émigration massive des Européens juifs, à l’origine de la création d’un foyer national juif en Palestine), et la « diaspora » juive, auxquels il faut ajouter la neutralisation puis le soutien forcé de l’Allemagne.
Parmi les pays soutenant Israël il y a d’abord les États-Unis où ses appuis sont nombreux et puissants. Une des bases de l’idéologie constitutive de l’histoire des États-Unis est la colonisation de de peuplement par des Européens, et donc le pillage et le massacre des indigènes, une histoire tout à fait similaire à celle d’Israël (1). Les évangélistes sionistes, l’AIPAC et la politique de contrôle des hydrocarbures de la région (Nixon définissait Israël comme un porte avion américain sur la terre ferme) sont les facteurs majeurs de ce soutien. La plupart des Présidents des États-Unis se déclarent sionistes. L’immense majorité des élus du Congrès et du Sénat sont sous contrôle de l’AIPAC via le financement de leurs campagnes électorales et l’appui des puissants médias pro-sionistes.
Suez : l’alliance Royaume Uni-France-Israël
Il y ensuite le Royaume-Uni sous influence sioniste chrétienne depuis le début du XIXe siècle. Première puissance impérialiste avant la 2ème guerre mondiale, elle va imposer la structuration du Proche-Orient en faveur de ses intérêts, en y incluant la composante sioniste suivant la déclaration Balfour. Le Royaume-Uni se lancera dans la guerre avec Israël et la France en 1956 contre l’Égypte suite à la nationalisation du canal de Suez par Nasser.
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Commando britannique débarquant à Port-Saïd, novembre 1956 (source : Don MacLean/RM Museum archives, Eastney, in Orient XXI 16 Novembre 2016 : Le coup de tonnerre de la nationalisation de la Compagnie du canal de Suez).
La France de la IVème République, sous le poids moral de la collaboration de Vichy et de la rafle du Vel d’Hiv, donnera la bombe atomique à Israël et participera aussi à l’expédition de Suez en 1956. Cependant depuis De Gaulle, la France a adopté une position d’équilibre en faveur de la création d’un État palestinien. Même si loin des positions gaullistes, la France continue cependant à voter à l’ONU les résolutions en faveur des droits palestiniens. Toutefois, après Chirac, l’orientation pro sioniste de la France est de plus en plus marquée, se refusant à tout embargo d’armes vers Israël et, chantre du droit international, refuse d’appliquer le mandat d’arrêt de la CPI contre Netanyahou (2). Notons que le CRIF, véritable agent d’influence d’Israël en France sans toutefois avoir la puissance de l’AIPAC aux États-Unis, veut imposer le suivisme à l’égard de toute politique israélienne aux hommes politiques, aux médias, à l’opinion publique, aux Français juifs.
Enfin l’Allemagne inscrira dans sa Constitution l’interdiction de s’opposer ou de critiquer Israël. De plus les nouvelles générations allemandes continuent d’indemniser Israël pour les crimes commis par le nazisme contre les Allemands juifs.
L’Union Européenne sous l’emprise du sionisme
Dans ce cadre l’Union Européenne, fondée en 1992 par le traité de Maastricht, renforcée par le Traité de Lisbonne signé en 2007 qui limitera la souveraineté des pays européens et l’alignera sur les intérêts des États-Unis, adoptera une politique de plus en plus philo-sioniste. Loin des soucis d’équilibre et de respect du droit international de certains États comme la France sous De Gaulle, voire Giscard d’Estaing, Mitterrand et surtout Chirac. Les États de l’UE n’ont plus droit à une politique étrangère réellement indépendante ni de s’opposer matériellement aux intérêts des États-Unis et donc à ceux du sionisme.
Le Traité de Lisbonne contient une série d’articles qui enchaînent les solidarités de telle sorte que l’UE ne peut que suivre l’OTAN dans ses positions et actions. Ainsi l’article 42 stipule que la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE et que la PSDC respecte les obligations des États membres qui sont aussi membres de l’OTAN. Le paragraphe 7 de cet article 42 introduit une clause de défense mutuelle, mais précise que cette obligation n’affecte pas les engagements des membres de l’OTAN. Autrement dit, l’OTAN reste pour ses membres « le fondement de leur défense collective ». Il souligne aussi que la PSDC de l’UE doit être compatible avec les cadres existants de défense collective, en particulier l’OTAN. L’article 222 engage les États membres de l’UE à agir ensemble en cas d’attaque terroriste ou de catastrophe naturelle. Donc l’UE a les pieds et les mains liés à l’OTAN, donc aux États-Unis qui dominent l’OTAN (et occupent l’Europe avec de très nombreuses bases et une centaine de milliers de soldats) (3), donc au sionisme.
Ainsi les États-Unis qui vassalisent l’Europe via l’OTAN, ajoutent à sa dépendance la livraison d’hydrocarbures après avoir réussi la rupture de l’approvisionnement en gaz russe, base de la compétitivité de l’industrie allemande (4) et d’une énergie à bon prix en Europe. Récemment les États-Unis ont menacé de sanctions l’Espagne pour son refus d’accostage dans les ports espagnols de bateaux transportant des armes vers Israël.
Il va sans dire que les grands médias occidentaux sous contrôle sioniste mènent une guerre de propagande en faveur d’Israël, aliénant les opinions publiques occidentales, façonnant le discours politique en Occident et ailleurs, masquant les horreurs quotidiennes à Gaza, qui ont atteint un degré de barbarie maximal, comme par exemple le bombardement d’un camp de réfugiés le 13 Octobre 2024. Silence dans les grands médias sur les enfants brûlés vifs suite à ce bombardement israélien. Curieusement il n’y a, parmi les grands médias occidentaux, que dans le journal israélien Ha’aretz, qui fait l’objet d’attaques du gouvernement israélien, que l’on peut trouver des informations régulières sur la réalité à Gaza. Ainsi Ha’aretz, journal pourtant sioniste, a publié le 5 Décembre 2024 une interview (5) de l’historien israélien Lee Mordechai accompagnant la publication de l’actualisation de sa base de données (6) documentant les preuves des crimes de guerre israéliens à Gaza. Ce n’est pas en Occident que l’on peut trouver une telle interview parmi les grands médias.
L’importance du soutien militaire occidental, notamment celui des États-Unis, au génocide à Gaza et aux guerres menées par Israël dans la région est simple à mesurer et à comprendre. Sans le flux logistique d’armement occidental, l’armée sioniste ne pourrait tenir plus d’une semaine. Par conséquent les responsables en dernière instance des massacres sont donc à Washington, Londres, Bruxelles, Berlin et Paris. Car ils avaient le pouvoir absolu d’arrêter le génocide depuis le lendemain du 7 Octobre 2023, de forcer Israël à accepter un cessez-le-feu, comme l’a fait Trump à la veille de son investiture. En 1978 le président Jimmy Carter, un des rares présidents non sionistes, fit voter par les États-Unis la résolution 425 du Conseil de Sécurité de l’ONU et ordonna au premier ministre israélien Begin de quitter le Liban, qu’il avait envahi dans l’Opération Litani pour repousser l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) au nord de ce fleuve, ce qu’Israël fit immédiatement. Obama imposa le cessez-le-feu de l’Opération Plomb durci deux jours avant son investiture, comme vient de le faire Trump. Biden avait donc le même pouvoir. Au contraire, Biden et la plupart des dirigeants européens, qui ont soutenu la barbarie et les crimes de guerre, sont les complices conscients et agissants du génocide. Malgré les menaces, souhaitons que la Cour Pénale Internationale réalise dignement sa mission.
L’allégeance au sionisme des dirigeants occidentaux
Cet appui est public, sans limites. Ainsi on a assisté au défilé de la plupart des dirigeants occidentaux en Israël dans les premières semaines après le 7 Octobre, s’alignant sans limites sur Netanyahou. Cela au vu des massacres de civils palestiniens ayant cours en cohérence avec le discours public des dirigeants israéliens assimilant les Palestiniens à des animaux qu’il fallait abattre sans restriction morale aucune. On a assisté à l’obscène standing ovation, quasi unanime, de Netanyahou au Congrès à Washington le 24 juillet 2024. Les congressistes connaissaient le nombre de victimes civiles à Gaza. « Pour que les forces de la civilisation triomphent, l’Amérique et Israël doivent rester unis », a déclaré Netanyahou, pour qui les massacres en cours sont « un choc entre la barbarie et la civilisation ».
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Une minute de standing ovation, presque unanime, à Netanyahou au Congrès des États-Unis le 24 juillet 2024 (source : Le Soir).
Notons que le soutien public au génocide de certains dirigeants et élus européens s’estompa quelque peu quand la CIJ estima plausible l’existence d’un génocide. Leurs paroles antérieures les rendaient complices, aussi firent-ils mine de changer de vocables pour décrire les massacres, sans modifier le soutien militaire pour leur poursuite.
« Cet acquiescement à la dévastation de Gaza et au massacre de sa population, à quoi il faut ajouter la persécution des habitants de la Cisjordanie, laissera une trace indélébile dans la mémoire des sociétés qui en seront comptables » (7).
Le changement d’administration à Washington a provoqué le cessez-le-feu à Gaza, après le constat qu’Israël n’avait atteint aucun de ses objectifs. Le plan de cessez-le-feu est pratiquement à l’identique de celui proposé par la résistance palestinienne et qui aurait pu être adopté en Mai 2024, car repris par Biden, voire en Décembre 2023.
Mais l’équipe Trump est entièrement de l’agrément de Netanyahou et Trump lui-même a montré au cours de son premier mandat son soutien aux objectifs du sionisme en validant l’annexion par Israël, datant de fin 1981, des hauteurs du Golan et en installant l’ambassade des États-Unis à Jérusalem.
Au moment d’écrire ces lignes, Trump semble ne pas vouloir suivre Netanyahou dans une guerre contre l’Iran. Mais sa proposition de prendre possession de Gaza et d’en expulser ses habitants, un nettoyage ethnique, répond complètement aux objectifs du sionisme.
Il a surtout réaffirmé qu’Israël continuerait d’avoir l’appui sans réserves des États-Unis. Or le sionisme c’est la guerre.
Mokhtar Homman, le 21 février 2025
Demain : XII – Le sionisme et la guerre
Notes
- Les premiers colons anglais, des dissidents appelés les « Pères pèlerins », arrivèrent en Amérique à bord du Mayflower pour y fonder la nouvelle Jérusalem dans la nouvelle Terre Promise en 1620. La fête nationale du Thanksgiving commémore la première récolte de ces premiers colons. In Jean-Pierre Filiu : Comment la Palestine fut perdue, p. 31. Cela donne la mesure de la pénétration des idées sionistes, même transposées (migrer vers Jérusalem, vers la Terre promise), dans les mentalités aux États-Unis.
- Le Communiqué du Ministère des Affaires Étrangères français du 27 Novembre 2024 a indiqué que Benyamin Netanyahou bénéficierait d’une immunité en dépit du mandat d’arrêt émis par la CPI à son encontre, contrairement à l’engagement de la France auprès de cet organisme.
- En 2017, les États-Unis avaient environ 200 000 militaires déployés à l’étranger, répartis dans plus de 750 bases situées dans 80 pays. La Russie a environ 20 bases à l’étranger, presque toutes dans les pays de l’ex-URSS, la France 11 (en baisse en Afrique), le Royaume-Uni 7 et la Chine 1. Les États-Unis ont donc environ 95% des bases à l’étranger dans le monde, dont une grande partie encerclant la Russie et faisant face à la Chine.
- Les États-Unis ont imposé à l’Europe d’adopter des sanctions contre la Russie dont seule l’Europe subissait les conséquences, entrant donc en récession économique profonde. Le sabotage des gazoducs Nord Stream I et II fut promis par Biden dès Février 2022 (assurant que « les États-Unis mettraient fin » à Nord Stream II et déclarant « Je vous promets que nous serons en mesure de le faire »). Avec la fermeture par la Pologne et l’Ukraine de gazoducs opérationnels, l’Europe est obligée de se fournir en énergie en moyenne deux fois plus chère qu’auparavant, notamment auprès des États-Unis (qui facture à l’Europe son GNL 4 fois plus cher que pour son marché). L’industrie européenne devient alors de moins en moins compétitive (chute vertigineuse de l’industrie allemande, voir le cas Volkswagen). De même, une fois le stock d’armes soviétiques des pays de l’UE épuisés en Ukraine, ces pays devront se fournir en armement américain, qui bénéficiera des pressions d’augmentation des budgets militaires par les dirigeants européens eux-mêmes. Donald Trump exige à l’Europe de consacrer 5% du PIB, soit le triple de la moyenne actuelle.
- Nir Hasson interview de Lee Mordechai: “A Massive Database of Evidence, Compiled by a Historian, Documents Israel’s War Crimes in Gaza”. Ha’aretz, 5 Décembre 2024.
- Lee Mordechai: Bearing witness to the Israel Gaza War.
- Didier Fassin : Une étrange défaite, p. 6.
Bibliographie
Fassin, Didier : Une étrange défaite. Sur le consentement à l’écrasement de Gaza. Éditions La Découverte, Paris, 2024.
Filiu, Jean-Pierre : Comment la Palestine fut perdue. Et pourquoi Israël n’a pas gagné. Éditions Le Seuil, Paris, 2024.
Mordechai, Lee: Bearing witness to the Israel Gaza War. Version 6.5.5, 5 Décembre 2024.