La Constitution de «l’Algérie nouvelle» ne fait pas consensus

Tebboune peine à convaincre opposition et juristes

Lors de son investiture, le président algérien Abdelmadjid Tebboune s’était engagé à réviser la Constitution, retaillée sur mesure pour son prédécesseur Abdelaziz Bouteflika, mais il peine aujourd’hui à convaincre opposition et juristes.

M. Tebboune vient de faire distribuer l’avant-projet de sa réforme aux partis politiques, aux syndicats et aux représentants de la société civile, pour consultations.

Au lendemain de son élection le 12 décembre 2019, il avait tendu la main au «Hirak» -le mouvement de protestation populaire qui exige un changement du «système» en place depuis l’indépendance en 1962- et promis une révision «profonde» de la Constitution, avec une «nouvelle République».

M. Tebboune a ainsi désigné, en janvier, une commission d’experts chargée de formuler des propositions pour réviser la Loi fondamentale, dont l’adoption sera soumise à un référendum.

Cette commission a remis ses travaux fin mars mais la première mouture des propositions n’a été rendue publique que le 7 mai en raison de l’épidémie de nouveau coronavirus.

Le document comporte 73 recommandations réparties en six grands axes, dont «le renforcement de la séparation des pouvoirs», qui concerne les prérogatives du président, du chef du gouvernement et du Parlement, mais aussi le pouvoir judiciaire et la lutte contre la corruption.

M. Tebboune a également reçu plusieurs figures politiques –certaines considérées comme proches de la contestation– afin de recueillir leur avis en vue d’une «Constitution consensuelle».

Les premières réactions sont toutefois mitigées

Une plateforme de partis et d’associations liés au «Hirak», regroupés au sein du Pacte pour l’alternative démocratique (PAD), a ainsi rejeté le projet.

Le PAD considère que la satisfaction des revendications «légitimes» du peuple passe par la mise en place d’«institutions de transition», dont une nouvelle Constitution, et non une révision de celle présidentialiste héritée des 20 ans de règne de M. Bouteflika.

«La crise de légitimité qui frappe le régime depuis l’indépendance ne peut être réglée par des mesures de replâtrage», dénonce le PAD.
L’avant-projet est «juste un gain de temps pour acquérir une certaine légitimité», renchérit Smaïl Maâref, professeur de droit à l’Université d’Alger.

Dans son discours d’investiture, M. Tebboune a promis que la Constitution amendée «garantira la séparation des pouvoirs», «renforcera la lutte contre la corruption et protégera la liberté de manifester.»
Mais pour l’expert en droit constitutionnel Massensen Cherbi, cette promesse ressemble à celle de M. Bouteflika, réélu en 2014 pour un 4e mandat malgré de graves problèmes de santé, et qui avait conduit à un énième amendement de la Constitution en 2016.

Afin de calmer la colère populaire, le président déchu avait fait adopter une révision constitutionnelle, avec comme disposition phare la restriction à deux du nombre de mandats présidentiels successifs. Cette mesure étant sans effet rétroactif, elle n’avait pas empêché M. Bouteflika de briguer un 5e quinquennat.

C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et poussé des millions d’Algériens à descendre dans la rue le 22 février 2019, donnant naissance au «Hirak».

Avec le président Tebboune, «il n’y aura pas de nouvelle Constitution mais des amendements qui n’affecteront pas le fond», estime M. Cherbi.

«Cette première mouture est principalement une continuité de l’actuelle Constitution», a déploré l’un des membres de la commission d’experts, Fatsah Ouguergouz, ancien juge de la Cour africaine des droits de l’Homme, qui a démissionné début avril.

Parmi ses propositions, le président ne pourra exercer plus de deux mandats «consécutifs» ou «séparés», et le Premier ministre sera directement responsable devant le Parlement.

«Les (nouveaux) amendements octroient certaines prérogatives au gouvernement et au Parlement mais la décision restera du ressort du président lorsqu’il s’agira d’un enjeu central», souligne le professeur Maâref.
Elu au suffrage universel direct, le président détient le pouvoir de nomination au sein des institutions: du Premier ministre, aux organes sécuritaires en passant par les chefs de l’armée.

«Qu’il s’agisse de la Constitution de 1996, de la révision de 2016 ou de la prochaine, les principes sont les mêmes: un toilettage de la Constitution sans remise en cause des pouvoirs du président de la République» qui «n’ont pas fondamentalement changé» depuis Houari Boumédiène, président de l’Algérie de 1965 à 1979, tranche M. Cherbi.

(AFP)

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