Par : M’barekHousni*
En vérité avérée, tout écrivain, en tant que tel, est conditionné à la stature d’homme écrivant, en tout temps et en tout lieu. Peu lui importe où va atterrir ce qu’il écrit, son texte, diffusé à grande échelle ou tapi dans un coin dans un journal.
L’écrivain est en perpétuelle lutte avec la feuille blanche, ce qui ne s’accomplit que dans l’isolement, cette solitude nécessaire. Autrement dit avec lui-même. L’essentiel réside dans ce constat.Car l’écriture nécessite un « confinement » volontaire, individuel, dont l’écrivain s’adapte tout au long de son parcours de créateur. Il s’agit d’un isolement ou il se permet de draguer les mots. Et c’est mon cas, moi modeste écrivain qui essaie de faire de sa vie un livre comme le préconisait Mallarmé.
Or, lorsque cet isolement a la taille et est de la dimension des cinq continents et auquel sont contraints des milliards d’habitants, par obligation et nécessité, à cause d’une pandémie inattendue, il interpelle et déconcerte certes, mais n’infirme pas l’attitude de l’écrivain habitué qu’il est s’isoler pour écrire. Toutefois, la pandémie façonne son isolement irrémédiablement.
Ne serait-ce que par ce fait majeur : obliger l’humanité à retourner à son destin originel comme un ensemble d’êtres qui, à force de se croire performants et capables de tenir tête face aux diverses causes de la mort, ont crié victoire un peu trop tôt. Cette pandémie a installé le doute, créé l’incertitude sur notre avenir selon le propos du philosophe Edgar Morin.
J’étais bien loin de croire que cet infiniment petit qu’est le virus dont j’ai étudié les caractéristiques lors de mes années universitaires à la faculté des sciences, section biologie-géologie, m’obligerait à revoir toutes mes évidences sous un jour nouveau. À rire à gorge déployée sur ma naïveté et ma sérénité, somme toute usurpée, comme tant de millions de personnes de par le monde. À rire, mais aussi à être envahi par une angoisse profonde que nul obstacle ne peut arrêter, que nulle barrière ne peut endiguer, du moment qu’un simple salamalec de la main ou une embrassade, ou le fait de boire un café à une terrasse près de la mer,est susceptible de mener à la quarantaine ou au pire. La quarantaine d’une peur nouvelle portée par des nuages de terreur invisibles.
Paradoxalement, cet état de fait a fait ressurgir des questionnements existentiels reformulés autrement. Par nécessité impérieuse. Parmi ceux-ci le questionnement à propos de la création :est-il envisageable ? Bizarrement, je ne crois pas. J’ai mentionné ci-haut que l’isolement est la condition sin qua non de l’écriture. Non pas obligatoirement entre quatre murs et loin des hommes, mais isolement quand même, voisin du confinement, seul à même de faire aboutir un projet de livre ou de texte.
J’écris depuis plus de trente ans. La plupart du temps, dans les cafés dans les villes où j’ai habité. La présence de l’activité humaine autour de moi n’a jamais constitué un obstacle à l’accès à la création. A condition bien sûr d’être incognito. J’ai même l’habitude d’écrire lors de mes voyages en bus. Plusieurs textes sont nés entre Algésiras et Paris, durant les longues heures de route entre ses deux villes.
La pandémie de Covid-19 a tout de même instauré un type niveau d’isolement où dominent deux éléments décisifs qui vont en parallèle : la gestion du temps et la gestion de l’énergie. Et ce pour assurer une bonne santé et garantir un bon texte. Car il est bien entendu qu’en plein pandémie j’écris, avec cette persévération acquise depuis longtemps. Mais en observant un certain changement, une transformation dictée par l’état d’urgence sanitaire qui me cloître chez moi.Comment ? N’ayant pas la manie d’écrire dans un bureau clos plein de livres serrés sur des étagères chancelantes, qui exhaleraient une certaine odeur censée être de papier et d’encre, et sur lesquels je poserais mes regards de temps en temps, seule l’inspiration m’importe et m’emporte.
Donc, je fais avec cet aléa imprévu qu’est la menace Corona virus et je m’acclimate. Le matin, l’esprit rasséréné et le corps suffisamment après quelques heures d’un sommeil salutaire, je noircis des papiers. Puis je les saisis sur mon petit ordinateur portable. J’écris des nouvelles, des articles, je fais des traductions. J’entreprends tout cela dans la cuisine. Ce lieu où je suis obligé de préparer de quoi alimenter mon estomac. Chose que je n’ai pas faite depuis plus de dix-huit années. J’ai retrouvé d’anciennes pratiques culinaires, qui ont pu jaillir de vieux cahiers de certains temps oubliés.La cuisson, préparer des plats, se tenir devant les fourneaux ! Toutes ces choses apprises lors des longues années passées à enseigner dans les montagnes de l’Atlas à Azilal et dans les plaines étendues de Chouïa, à Mzab et Oulad Hriz.
J’ai retrouvé une vie occultée dans les méandres de l’actualité actuelle, sortie d’un coin de ma mémoire. Et me voilà, chaque jour du confinement, tout près d’un tajine, qui se mitonne à petit feu, gardant un œil sur lui pour que mon repas du jour ne crame pas. Tout près, assis à la table de cuisine où sont éparpillés des papiers et quelques livres entourant mon ordinateur. J’écris. Suis-je vraiment en isolement en ce moment-là ? Pas tout à fait. Je me trouve dans la même situation décrite par l’un des écrivains contemporains les plus en vue et que j’admire beaucoup, et dont les textes m’ont toujours aidé à combattre le désespoir et l’impossibilité de l’écriture, je parle de l’italien Erri De Luca, cet ancien maçon, passionné par les montagnes qui avait dit qu’il très bien entrainé pour l’isolement.
Il faut seulement faire correspondre cette solitude avec les diktats de l’urgence sanitaire et du confinement. Je ne tiens pas de journal personnel. Je fais ce que je faisais avant avec un peu plus de plages temporelles à ma disposition. Créer des ambiances nouvellestiques, écrire sur l’art et sur la vie le matin, lire l’après-midi et le soir. Relire Tolstoï et Shakespeare par exemple, lire Spinoza et Heidegger que je rêvais s’approcher de plus près, de la poésie et des polars. Revoir des classiques du cinéma, des films sur les grands peintres tout en écoutant de la musique classique. Quoi ? Sans lire, voir écouter ce qu’ont crée les maîtres dans leur isolement, aucune écriture n’est possible. Voilà l’impact senti de l’état de fait déployé par la pandémie qui ravage la terre. Il y aura bien des effets à l’échelle individuelle.
*Écrivain et chroniqueur d’art