Interview avec Mashrou’Leila

«En réalité, ce n’est pas vraiment le rock que nous pratiquons»

Trois ans après sa participation à la première édition du festival Visa for music à Rabat, le groupe de rock alternatif libanais Mashrou’Leila a décidé de revenir au Maroc. Le mythique groupe de rock alternatif a donné deux concerts le week-end dernier, notamment le 21 avril au théâtre Renaissance à Rabat et le 22 avril au Studio des arts vivants à Casablanca. Il a été accueilli chaleureusement par ses fans qui n’ont pas manqué de danser et de chanter en même temps que Hamed Sinno, chanteur du groupe, accompagné au violon par Haig Papazian, à la batterie par Carl Gerges. Al Bayane a rencontré le groupe à la veille de leur concert à Casablanca.

Le week-end dernier, le groupe de musique libanais Mashrou’Leila a donné deux concerts, à Rabat et Casablanca. Al Bayane a rencontré les membres du groupe à Casablanca.

Al Bayane : Comment le groupe Mashrou’Leila a-t-il été formé?

Mashrou’Leila : Nous nous sommes rencontrés à l’Université. Nous étions étudiants au département «d’architecture et design». Nous avons créé un atelier où nous pouvions jouer de la musique et aujourd’hui, nous sommes un groupe. Au début, il était question d’un projet temporaire qui devait durer juste une nuit.

Pratiquez-vous toujours l’architecture et le design?

Nous ne pratiquons plus l’architecture. S’il nous arrive de pratiquer l’architecture et le design c’est en relation avec notre musique. Par exemple, nous nous référons à notre formation en architecture pour déterminer ce que nous ferons une fois sur scène. Nous utilisons aussi le design graphique quand il s’agit de créer des graphiques pour le groupe.

Qui est vous produit?

Pour chaque album, nous avons un producteur différent. En effet, une fois que nous avons avancé dans l’écriture des chansons, nous cherchons un producteur qui peut travailler avec nous. Nous prêtons attention à ce qu’il fait en matière de musique et nous essayons de nous rassurer que ce qu’il fait correspond à nos attentes par rapport à l’album que nous envisageons produire. C’est ce que nous avons fait pour les deux premiers albums. Nous avons eu une expérience inédite avec un producteur basé à Montréal, Marouane Moumni. Le studio dans lequel il travaille est extraordinaire, de même que les sons sur lesquels il travaille. Nous voulions donc ce type de sons pour notre album. Nous avons donc décidé de travailler avec lui. Pour notre dernier album, nous avons collaboré avec un autre producteur basé en France. Il avait travaillé précédemment sur le type de musique que nous avions choisi pour notre album.

Collaborer avec un producteur est très délicat, parce qu’en effet l’artiste lui donne sa musique. C’est une décision difficile à prendre. Cela implique de lui faire confiance. En retour, celui-ci doit vous connaitre assez.

Pourquoi avoir choisi précisément le rock?

En réalité, ce n’est pas vraiment le rock que nous pratiquons. Pour être honnête, nous n’avons pas choisi un style. Chaque fois que ce que nous composons ressemble un peu plus au rock, à la pop ou à tout autre genre musical, nous nous arrêtons un moment et nous essayons d’en faire quelque chose de plutôt équilibré, à mi-chemin. Nous ne voulons pas nous attacher à un genre particulier.

Il faut aussi dire que puisque le groupe est constitué de 5 membres, que nous composons tous ensemble nos chansons, que nous venons de différentes origines et que nous écoutons différentes musiques, c’est très complexe.

Nous ne nous inscrivons pas non plus dans la fusion, qui consiste à prendre différents genres musicaux et à les combiner. Nous n’essayons pas de combiner les genres musicaux. Pour nous, il s’agit plutôt de tenir compte de plusieurs facteurs, notamment les instruments, le message, l’image, les couleurs, les sensations…dans la composition de nos chansons.

Jusque-là, vous avez sorti quatre albums. Y a-t-il une certaine évolution d’un album à l’autre?

Nous le pensons et nous aimerons bien le croire. Au début, le premier album donnait l’impression que cinq musiciens, pour ne pas dire, cinq architectes travaillant séparément chantaient ensemble. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Même concernant les thèmes, il y a eu des changements. Au cours des cinq dernières années, nous avons appris beaucoup de choses sur le fonctionnement de l’univers musical. Nous avons appris comment composer des chansons ensemble, comment écrire les paroles, comment proposer une idée à un autre membre du groupe. Notre dernier album était une excellente expérience. Au début, nous avons eu une séance de brainstorming sur des choses abstraites que nous avons pu constater par-ci par-là et le reste a suivi. Notre clé c’est que nous nous faisons confiance les uns les autres.

Aujourd’hui, il existe plusieurs plateformes de téléchargement gratuit de musique en ligne comme Youtube, Spotify. Cela a-t-il un impact sur vos ventes?

Les chiffres de ventes ont arrêté d’être l’outil de mesure de succès pour les artistes. Même pour les musiciens les plus populaires aujourd’hui, leurs revenus ne viennent pas des ventes de CDs. Les ventes d’albums ne sont pas les principales sources de revenus. La musique est aujourd’hui accessible à tous, en ligne. Tout le monde peut l’écouter sur Youtube…Cela importe peu aujourd’hui comment les gens se démènent pour accéder à la musique. Les artistes ont compris de nos jours que combattre le piratage par la force ne fonctionne pas. Ils mettent gratuitement leur musique en ligne aujourd’hui sur Youtube. Ils accompagnent même leur musique en ligne et leurs vidéos avec un contenu innovant pour attirer davantage de fans…

Ces plateformes sont de nouveaux moyens pour écouter la musique. Elles donnent une nouvelle dimension aux musiciens. Il y a certes la musique, mais aussi tous ces éléments autour de la musique, entre autres : les spectacles, collaborations, posts sur Facebook.

L’industrie musicale prend aujourd’hui une nouvelle voie en matière de lutte contre le piratage. D’ailleurs, les chiffres fournis par les plateformes comme Spotify auxquelles la plupart des gens sont abonnés sont très indicatifs. Il faut leur accorder une certaine attention.

Quelle relation avez-vous avec vos fans ? Contribuent-ils dans la réalisation de vos albums?

Nous avons déjà eu quelques expériences de collaboration avec nos fans. Sur notre page facebook, nous avons posté des paroles incomplètes et nous avons invité les fans à les compléter.  D’ailleurs, cette chanson était axée sur la relation entre les artistes et les fans. L’objectif était de les pousser à écrire une partie de cette chanson. On peut dire que nos fans ont composé et produit notre troisième album.

Au cours des 10 dernière années, il y a eu des moments où nous avons écrit nos chansons avec une certaine intention et les fans s’en sont appropriés de manière personnelle et y ont attaché une autre signification. Par exemple, une de nos chansons a été associée à des protestations et revendications ici au Maroc et en Tunisie lors du printemps arabe. Cela arrive presqu’assez souvent.

La dernière fois que vous étiez au Maroc c’était en 2014 lors du Festival Visa for music. Pourquoi avoir décidé de revenir au Maroc?

La dernière fois que nous étions ici, le public était merveilleux. D’ailleurs, nous avons beaucoup de fans ici. C’était une très bonne expérience et nous voulions revenir pour revivre ces moments. C’est important pour nous de faire des spectacles dans les pays arabes. Puisque nous ne pouvons pas nous produire dans des pays comme la Syrie, la Palestine… nous allons dans des pays comme le Maroc, l’Egypte, Tunisie… C’est la première fois que nous fassions un spectacle sur notre 4e et dernier album «Ibn El Leil», en plus avec des images et illustrations.

Danielle Engolo

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