La lutte contre la tuberculose: une impérative nécessité d’agir

Vieille comme le monde, la tuberculose est une maladie  qui fait toujours parler  d’elle. Le nombre de nouveaux cas de tuberculose ne cesse d’augmenter  au niveau des différents pays de la planète. Les cas de tuberculose enregistrés par l’OMS en 2015 sont estimés à 10,4 millions et 1,8 de personnes sont mortes à cause de cette maladie qui est compliquée à prévenir, à guérir et à éradiquer. Cette pathologie semble défier l’humanité entière.

La tuberculose enregistre une courbe exponentielle au Maroc. En 2010, on a enregistré 25.000 nouveau cas ; en 2012, 27.400 nouveaux cas avec une incidence de 83 nouveaux cas pour 100.000 habitants. En 2014, le ministère de la Santé a enregistré 27.745 nouveaux cas et en 2015, 30.636 cas, toutes formes confondues (28.955 nouveaux cas et 1.681 cas de rechutes), avec une incidence de 89 cas pour 100 000 habitants.

En 2016, 31.542 cas de tuberculose, toutes formes confondues, ont été notifiés et mis sous traitement au niveau des structures du ministère de la Santé dans le cadre du Programme national de lutte antituberculeuse (PNLAT).

La tuberculose est une maladie liée à plusieurs facteurs, entre autres la pauvreté, la précarité, la malnutrition, l’habitat insalubre et la promiscuité.

C’est une maladie que l’on retrouve surtout au niveau  des zones périurbaines des grandes agglomérations. Certaines villes sont plus concernées que d’autres. C’est le cas de Casablanca, Salé, Fès, Tanger, et plus particulièrement certains quartiers connus et identifiés comme zones à forte incidence de la tuberculose.

Conscient de cette réalité, pour laquelle le ministère de la Santé ne ménage aucun effort en termes de financement, de ressources humaines, de gratuité de traitement, des examens, d’hospitalisation, celui-ci vient de lancer sa quatrième campagne nationale de lutte contre la tuberculose, en partenariat avec la Ligue marocaine de lutte contre la tuberculose, SOS Tuberculose et Maladies respiratoires, les organisations non gouvernementales (ONG ) qui sont actives dans la lutte contre la tuberculose et les départements ministériels concernés. Cette campagne se déroulera du 27 mars au 28 avril 2017. Elle vise à renforcer le diagnostic précoce de la tuberculose et à assurer l’accès au traitement des groupes de population à haut risque.

Ce qui manque dans cette lutte, ce ne sont pas les solutions, les moyens ou les stratégies. C’est à notre avis la volonté politique, car il est important de rappeler avec force que la lutte contre  la tuberculose ne peut et ne saurait être du seul ressort du ministère de la Santé.  Il s’agit pour tous les décideurs, responsables, hommes politiques et différents département ministériels de s’impliquer dans cette lutte. Dans la lutte contre la tuberculose, tout le monde est concerné. Il faut unir les forces, les expertises et rassembler société civile, élus, gouvernants, patients et secteur privé pour mettre à l’échelle les projets et conduire une politique volontariste d’éradication de la tuberculose.

 

Moulay Hicham Afif, DG du CHU Ibn Rochd de Casablanca

«Au Maroc, nous n’avons pas le problème de tuberculose multi résistante»

Al Bayane : la tuberculose enregistre un retour en force au niveau mondial. Vous êtes spécialiste des maladies respiratoires et de la tuberculose. En tant que spécialiste des maladies respiratoires et de la tuberculose, comment expliquez-vous cette recrudescence?

Moulay Hicham Afif : Tout d’abord, il faut préciser que la tuberculose a toujours été un problème de santé à l’échelle mondiale.  Bien entendu, on enregistre des disparités entre les pays en voie de développement et les pays riches, ce qui signifie que  l’incidence de la tuberculose n’est pas la même de par le monde.

Les personnes en situation de précarité, celles et ceux qui vivent dans des conditions difficiles où se mêlent à la fois la malnutrition, la promiscuité, le manque d’hygiène, le tabagisme, l’alcoolisme,  mais aussi les individus qui souffrent d’un déficit immunitaire lié à une maladie (VIH-Sida, cancer) sont sujettes à développer la maladie plus facilement et rapidement.

Quelle est la situation de la tuberculose au niveau mondial?

Selon les estimations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les cas de tuberculose  pour l’année 2015, de par le monde étaient de 10,4 millions de patients. Le nombre de décès par tuberculose était de 1, 8 million de patients, soit près de 10%. La tuberculose au niveau mondial  reste à ce jour une maladie très inquiétante, l’OMS ne cache pas sa préoccupation.

C’est une maladie qui touche tous les pays, qu’ils soient pauvres, en voie de développement, mais aussi les pays riches. On trouve des populations qui vivent dans des situations précaires, ce qui constitue un noyau dur de la tuberculose. De par le monde, il y a aussi un autre problème, c’est que la tuberculose est multi résistante, notamment dans les pays de l’Europe de l’est.  Il faut rappeler que la prise en charge de la tuberculose est très difficile et coûteuse. Les résultats ne sont pas toujours garantis. Il y a d’emblée un risque de contamination  pour les personnes  par des Bacilles de Koch résistants. Il y a également un autre problème depuis des années et qui est géré par l’OMS, c’est celui de la co-infection VIH et Tuberculose qui pose d’énormes problèmes dans certains pays, notamment en Afrique.

Qu’en est – il au Maroc?

Il faut d’abord insister sur le fait qu’au Maroc, nous n’avons pas le problème de tuberculose multi résistante comme certains  pays. Il faut savoir que la co -infection VIH et tuberculose ne connait pas la même ampleur, le même degré que ce que nous observons dans plusieurs  pays d’Europe, d’Asie et notamment d’Afrique. Il reste qu’au Maroc, le problème de la tuberculose, c’est l’incidence qui ne décline pas comme on le souhaite, et ce malgré les efforts et les stratégies entrepris par le ministère de la Santé.

On voit depuis 1990, avec la restructuration du Plan national de lutte contre la tuberculose et toutes les autres stratégies qui ont suivi, qu’il y a eu une réduction importante de l’incidence de la tuberculose dans notre pays, mais c’est de l’ordre de 1, 1 %  pour 100.000 habitants par an. C’est une déclinaison très lente.

En 2016, les estimations du ministère de la Santé des nouveaux cas de tuberculose sont de 31.542 malades. C’est un chiffre qui interpelle et qui requiert de notre part  de relancer les stratégies, de redoubler d’efforts pour aller dans le sens de la réduction des cas de tuberculose.

La distribution selon l’âge révèle que près des 2/3 des cas sont des adultes jeunes. Les tranches d’âges sont comprises entre 15 et 44 ans. Les hommes sont plus atteints que les femmes, soit plus de 60% des cas enregistrés. La maladie est  concentrée en milieu urbain et affecte plus particulièrement les quartiers défavorisés des grandes villes comme Casablanca  – Salé  – Fès, Tanger ….

Quels sont les déterminants de cette maladie?

On a tort de croire que la tuberculose est une maladie inhérente uniquement  au Bacille de Koch (BK). En réalité,  c’est bien plus que cela. La tuberculose est multifactorielle, et donc il y a d’autres paramètres qui entrent en jeu. Il y a l’habitat, le niveau social, le niveau socio-économique des gens. Il y a certaines catégories de personnes  beaucoup plus exposées à la tuberculose que d’autres.

La question qui est aussi posée c’est de savoir si la tuberculose est une maladie de la misère, auquel cas, il faut savoir si la tuberculose touche essentiellement les pauvres.

C’est vrai que la tuberculose touche les pauvres, les précaires, les personnes vulnérables,  mais elle peut toucher toutes les autres catégories de personnes, du moment qu’il y a risque de contagion.

Le Bacille ne fait pas de distinction, même s’il y a beaucoup plus de tuberculeux chez les malades qui sont démunis sur le plan socio-économique ou qui ont un mauvais habitat. Cela veut dire que dans les grandes villes, que ce soit à Casablanca ou à Salé, c’est parmi les populations les plus démunies qu’on trouvera l’incidence la plus importante de la tuberculose.

De ce fait, il faut une vision plus large et une implication plus grande de toutes les parties, des différents départements ministériels, si on veut réellement apporter une réponse positive dans la lutte contre la tuberculose. Il faut voir la tuberculose dans sa globalité,  parce que si on la limite à un problème de santé, nous n’arriverons pas à atteindre les objectifs visés.

Qu’en est-il de la prise en charge des malades et de la gratuité des médicaments?

La prise en charge des malades tuberculeux est totalement gratuite. C’est une évidence et ce, depuis très longtemps. Cette approche, qui consiste à traiter tous les malades tuberculeux gratuitement, nous permet d’enregistrer un taux de réussite de traitement de l’ordre de 86 %. Un chiffre très important !

Il est vrai qu’il y a des pertes de vie, quelques échecs, mais nous enregistrons des succès thérapeutiques.

Le traitement de la tuberculose est gratuit. Il est donné aux malades au niveau des centres de dépistage, de diagnostic et de traitement des maladies respiratoires.

Le traitement de la tuberculose sensible est gratuit, c’est aussi le cas pour le traitement de la tuberculose multi résistante. Cette gratuité du traitement est valable pour tous les malades du secteur public et du secteur privé. Cela s’inscrit dans le cadre d’un partenariat entre les deux secteurs afin de lutter efficacement contre la tuberculose.

Qu’en est – il de la campagne de dépistage entreprise par le ministère de la Santé?

Parmi les éléments les plus importants dans la prise en charge de la tuberculose, c’est le dépistage des malades. Lorsqu’on dépiste les malades, surtout ceux atteints de tuberculose pulmonaire, une tuberculose contagieuse, ce dépistage précoce permet de traiter rapidement les malades, et donc de limiter les risques de contamination des personnes saines .Le dépistage est un élément fondamental dans la lutte contre la tuberculose.

Ces campagnes de dépistage permettent de faire le diagnostic. C’est ce qui fait que nous enregistrons un taux de nouveaux cas important. L’incidence est importante et on est à plus de 83 % des malades qui sont dépistés.

Ces campagnes de dépistage  sont un point fort du Programme national de lutte contre la tuberculose afin de mieux combattre la tuberculose, les réservoirs contaminants et traiter le plus grand nombre de cas. Le ministère de la Santé vient de lancer sa quatrième campagne nationale de lutte contre la tuberculose, en partenariat avec la Ligue marocaine de lutte contre la tuberculose, SOS Tuberculose et Maladies respiratoires, les organisations non gouvernementales (ONG)  qui sont actives dans la lutte contre la tuberculose et les départements ministériels concernés. Cette campagne se déroulera du 27 mars au 28 avril 2017. Elle vise à renforcer le diagnostic précoce de la tuberculose et assurer l’accès au traitement des groupes de population à haut risque, le suivi …

Quelle est la place de la prévention et des campagnes de sensibilisation?

Il est très important de faire la prévention, parce que cela permettra d’éviter que les malades soient contaminés. Les mesures de prévention sont très simples : se mettre  un mouchoir sur la bouche lorsqu’on tousse et lorsqu’on crache, mettre la main devant le nez lorsqu’on éternue, que les chambres soient bien aérées, qu’il y ait l’ensoleillement nécessaire au niveau des habitats…

Ce sont des choses simples. Bien se nourrir aussi, éviter les situations de stress, pratiquer la vaccination BCG pour les enfants à leur naissance. Etant une vaccination obligatoire à la naissance,  il permet de réduire l’état de tuberculose pour cette tranche d’âge, mais surtout d’éviter des formes graves de tuberculose. Aujourd’hui, nous voyons de moins en moins des formes graves de tuberculose par rapport à ce qu’on voyait auparavant, il y a une vingtaine ou une trentaine d’années.

Ce qui est également important dans la prévention de la tuberculose, c’est de faire un bon dépistage des malades contagieux. La tuberculose pulmonaire est la plus contagieuse parce que la transmission se fait par voie aérienne.

Il faut aussi dire qu’il y a des signes, des symptômes à connaitre en ce qui concerne la tuberculose, comme la toux qui persiste pendant plusieurs jours, les crachats, la fièvre, les sueurs nocturnes, l’anorexie, l’amaigrissement,  une altération de l’état général…

Si tous ces signes sont observés, il faut immédiatement consulter un médecin, que le diagnostic soit fait rapidement et que démarre aussitôt le traitement. C’est de cette manière que l’on pourra éviter tout risque de contamination dans l’entourage du patient. Il faut insister sur l’importance de la sensibilisation de notre population. Dans ce cadre, le rôle des médias est essentiel.

En tant que spécialiste de la tuberculose, quel message souhaitez-vous  transmettre?

Je tiens à dire que nous sommes tous concernés et nous devons tous agir contre la tuberculose, pas uniquement le ministère de la Santé. Les autres composantes de notre société sont aussi concernées par cette lutte, que ce soit les autres ministères, les ONG, les sociétés savantes, la société civile, les différentes associations… Chacun a un rôle à jouer pour la lutte contre la tuberculose. Le déclin de la maladie sera possible si nous arrivons à réaliser cette prise de conscience collective et je suis sûr que nous arriverons à réaliser les objectifs que nous nous sommes fixés, à savoir descendre sous la barre des 50 nouveaux cas par 100.000 habitants.

Abdelaziz Ouardirhi

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