Les tazotas, des chefs-d’œuvre en péril

dégressive superposés pour les plus élaborées. Certaines tazotas servaient, au début, d’entrepôts pour la paille de blé et d’orge, pour les tiges de maïs ou pour le foin.
Aujourd’hui, elles servent également de refuges temporaires contre la chaleur pour les hommes et les animaux, et de lieux d’engraissement pour les jeunes bovins. Leur construction remonte à la première moitié du XXe siècle, et plus particulièrement à la période du protectorat qui avait vécu la sédentarisation forcée de la population nomade locale de 1916 à 1936 et son accession à la propriété individuelle.
Les tazotas, composées d’une seule pièce, ressortissent de deux types de formes architecturales. En règle générale, on a un tronc-de-cône simple ou un cylindre à fruit avec à l’intérieur une pièce voûtée par encorbellement. Les parois ont entre 1,20 m et 2,50 m d’épaisseur. Plus rarement, la forme est celle de deux troncs-de-cônes ou cylindres à fruit de taille dégressive et superposés. Le tronc-de-cône inférieur est prolongé par un massif donnant une façade rectiligne. Le tronc-de-cône supérieur est percé, dans l’axe de l’entrée, d’une lucarne carrée d’environ 50 cm de côté. L’entrée et la lucarne sont surmontées d’un linteau en pierre ou, parfois, en bois. Les tazotas ont des ressemblances morphologiques avec certaines cabanes en pierre sèche à degré du pourtour méditerranéen.
Les tazotas comportent, latéralement, un ou deux escaliers pour monter sur le rebord du tronc-de-cône inférieur et un seul pour monter au sommet du tronc-de-cône supérieur. Parfois, l’escalier se trouve entre deux tazotas jumelées. Ces escaliers facilitent l’ascension et le travail lors de l’étape de l’édification. Puis l’accès à la terrasse pour faire sécher des produits agricoles (à l’abri de la poussière du sol et en profitant de l’ensoleillement et des pierres surchauffées). Ils servaient aussi au remplissage de l’intérieur. En effet, après avoir rempli de paille ou de foin la pièce, on en bouchait l’entrée avec des pierres et l’on poursuivait le remplissage par la lucarne du niveau supérieur. La terrasse permettait aussi de surveiller les alentours. Le sommet des tazotas est légèrement arrondi. Car recouvert d’une couche de gravier et d’une couche de terre en guise de protection contre les infiltrations d’eau. Dans certaines tazotas, la pierre qui coiffe la voûte peut être basculée pour permettre l’aération. Les tazotas ont, en général, une hauteur de 2,5 à 3 mètres. Mais il en existe de plus hautes.

Architecture particulière

La base est constituée de moellons pouvant supporter une charge de plusieurs tonnes. Les plus belles pierres sont utilisées pour le tour des ouvertures, les chaînages d’angle et pour les marches d’escalier. Dans la partie supérieure, le poids des moellons est celui qu’un homme peut porter en gravissant les marches extérieures. L’entrée, d’élévation trapézoïdale, est étroite (environ 70 sur 160 cm). Le linteau et les arrière-linteaux sont constitués de grands blocs placés côte à côte. Un couloir mesurant au maximum 2 m de longueur, permet d’accéder à l’intérieur tout en empêchant la chaleur d’entrer. L’orientation de l’entrée semble dépendre de la position de la tazota. La paroi intérieure s’incurve légèrement au fur et à mesure qu’elle monte pour former, à partir du deuxième degré, une voûte d’encorbellement au sommet fermé par une dalle taillée. Dans cette voûte, les pierres de chaque assise ont une inclinaison vers l’extérieur qui permet d’évacuer les infiltrations d’eau de pluie. Ces pierres sont plates, il n’y a aucune trace de coups de ciseau ou de massette. Les tazotas n’ont pour ainsi dire pas de niches murales. La plupart des rares niches observées ont été faites postérieurement à l’édification, par l’extraction de pierres de la paroi. Le sol intérieur est brut, sans dallage, en terre battue, et parfois le rocher y affleure. On peut estimer qu’une tazota courante représente un volume de 100 m, soit l’épierrage d’un champ de 250 m, et une masse de 300 tonnes. Compte tenu des différentes manipulations des moellons, deux personnes déplaçaient donc 10000 kg de pierres par jour, pendant trois mois.
Certaines tazotas se dressent à l’écart du logis, tandis que d’autres sont accolées au bâtiment principal. Il existe, en outre, des tazotas isolées dans la campagne. On trouve souvent deux tazotas jumelées.
Les tazotas forment souvent un ensemble entouré d’un enclos et associé à un douar habité ou abandonné. Il existe, dans la commune d’Ouled Hcine (Sebt Douib), un ensemble de sept tazotas dont deux jumelées et cinq autres accolées à angle droit. Deux, d’un côté, et trois de l’autre. Ce groupe de cinq tazotas est remarquable car il possède à l’étage un poste d’observation et un chemin de ronde pour surveiller les récoltes contre les voleurs.
Quel lien avec le «toufri» ? Le «toufri» (terme berbère signifiant «cache» ou «lieu de conservation») est un édifice composite consistant en une nef en pierre sèche recouvrant une rampe creusée dans le sol pour accéder à une galerie souterraine transversale, destinée à la conservation des grains. Il est généralement associé à un ensemble de tazotas.
Il semble que la morte saison des activités agricoles ait été consacrée à l’édification de ces bâtiments. La durée du chantier, d’après des propriétaires de tazotas, depuis le choix des pierres jusqu’à son achèvement, prendrait un an. Le «maâllem» (le maître maçon) mettait de côté des pierres, sélectionnant parmi les pierres rapportées des champs celles qui lui semblaient les meilleures. Puis une chaîne d’environ huit d’hommes se faisaient passer les pierres et rejetaient celles qui n’avaient pas la bonne densité. Ces «maâllem» étaient, vraisemblablement, des spécialistes de ce type complexe de construction.
Les témoignages oraux, recueillis auprès des habitants des douars concernés, font remonter la construction des tazotas à la première moitié du XXe siècle, et plus particulièrement à la période du Protectorat.
C’est le cas de l’ensemble situé à Ouled Bouaziz et constitué de sept tazotas regroupées autour d’un même et vaste enclos, faisant face à la maison du maître. On sait qu’il a été bâti par le patriarche de la famille des propriétaires, le grand Mokadem Mohamed Chiadmi, vers 1922, comme le confirme une date gravée dans la pierre de sa vaste demeure, aujourd’hui en ruine.
Selon les dires de M. Bou Sharir, les deux tazotas de la localité Al-Ourerda ont été édifiées par leur ancien propriétaire, Ahmed Ben Aslan, son épouse et des amis dans les années 1920-1930.
La grande tazota à degré (9 m de haut) du douar Al Oumbra fut construite par Mohammed Haout vers 1953. Il l’édifia avec l’aide de son père, de son épouse et de quelques amis en l’espace de deux mois.
Aucun des voyageurs ayant sillonné la région au début du XXe siècle, comme Michaux-Bellaire ou Doutte, ne mentionne ces cabanes. Dans leurs carnets de voyage pourtant très descriptifs et minutieux, ils décrivent «les nouala», «les khaîma», mais non les tazotas. D’où on peut déduire que ces dernières n’existaient pas avant 1915-1920.
Les écrits de Paul Pascon et ses entretiens avec les habitants, donnent à penser que, sous le Protectorat, la sédentarisation forcée de la population nomade locale de 1916 à 1936 et son accession à la propriété individuelle, ont entraîné l’érection de ces cabanes. En effet, en tant qu’arpenteur-géomètre, Pascon avait été chargé de procéder au partage des terres collectives. C’était vers 1925. Les nomades sédentarisés s’étaient mis à épierrer leurs terres et à les enclore. Le recours à la pierre sèche proviendrait de l’interdiction qui aurait été faite aux autochtones de prendre du sable de plage pour leurs constructions.

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