L’artiste Chafik Ezzougari
Par M’barek Housni
Le monde en peinture
Le monde est soit une entité donnée dans une certaine entièreté, soit deux sous-entités qui se répondent, l’une en haut et l’autre en bas, sans qu’il y ait une équivalence de proportions spatiales. Un monde d’accueil, où toute une vie va se donner elle aussi à voir, faites de chiffres, de certains objets, de certains animaux et d’hommes, toujours à deux.
Voilà ce que me suggère plaisamment, et avec beaucoup de philosophie (si j’ose dire) les dernières créations de Chafik Ezzougari, qui s’inscrivent, de la sorte, dans la lignée des travaux anciens, tout en se démarquant d’eux par une limpidité et un discours franc, clair et déroutant en même temps. Peindre le même différemment.
La création ici emprunte une esthétique pensante, crée une beauté intelligente. On ne se contente pas d’admirer l’harmonie des couleurs caractérisée, il faut bien le noter par le souci de ne pas en faire trop pour ne pas occulter la lecture et aussi de ne pas en faire peu afin que l’outil plastique offre toute son efficacité de moyen utilisé.
Chaque œuvre est ainsi, a un fond entier, parfois gris, parfois blanc, rosi ou bleuté avec juste ce qu’il faut ici ou là, surtout aux marges, et traversé à chaque fois d’une foule de petites taches grises ou noires réparties suivant une logique de transgression de l’absolu. De la couleur qui est le monde cité haut. La pureté n’existe pas comme pureté, elle est sans cesse altérée par ce qui l’entoure, là où elle se trouve. Chaque œuvre est parfois divisée en deux moitiés inégales, celle d’en haut toujours moins vaste. Avec les mêmes caractéristiques liées cette fois-ci à un haut blanc ou un rouge flamboyant, et à une moitié basse qui figure une profondeur, une terre soulevant un ciel. Sans encombrement ni précipitation. Tout est distinct et tout est visible, pour que chaque élément fournisse son lot de signification et de symbolisme qui est d’une évidence heureuse.
Le récit en peinture
Chafik Ezzougari peint et révèle conjointement. Une peinture de récit révélateur qui ne se contente pas de donner du « beau » qu’on sent du premier coup, vu l’homogénéité de chacune de ses œuvres, mais de lui adjoindre un contenu qui narre une expérience existentielle profonde. De l’homme et de l’artiste, dans son univers vécu ou pensé. Il y a d’abord la présence de l’homme qui est sans traits, juste un corps rendu par la couleur propre à toute chair, ou fantomatique, une ombre charbonneuse. Sans tête, ou si tête il y a, il a une forme étrange. Puis, il est fréquemment double, ou accompagné de son double, assis quand l’autre est debout. Traînant un boulet au pied, engouffré dans une boîte. Il est homme et femme, comme symboles de l’être/homme, pris de profil.
Et il y a un nombre qui fonctionne un numéro de matricule dans une usine, fort probablement. Symbole d’un assujettissement, condition comme extrême. Cette dernière est visible dans un tableau qui affiche un masque du visage en bleu, mortuaire.
Et il y a être/animal, représenté par un lièvre qui revient dans plusieurs tableaux, en différentes postures, à chaque fois. Puis représente par un pigeon, volant ou immobile. Et que dire d’un taureau assis sur ce qui ressemble à un fauteuil, humanisé.
Et enfin ça ou là, le monde des objets représenté surtout par une pomme, et surtout un dé surmonté d’un dôme. Bien mis en évidence, référents renvoyant à ce qui les entoure.
Tout cela renvoie à l’univers plastique, entre matérialité propre et spiritualité à découvrir, clair et non assombri, car l’artiste ne verse pas le tragique gratuit. L’univers en question explicite l’existence d’éléments triés judicieusement, comme autant d’éléments qui régissent celle-ci, vue dans le prisme sentimental de l’artiste en liaison directe, par des alchimies avec l’inconscient. Il n’est pas question de forme, ni de texture ni de composition, mais de positionnement. « Cette action de positionner, de placer automatiquement (une ou plusieurs pièces) dans la position requise en vue d’une fonction ou d’un assemblage; résultat de cette action »*.
On remplacera l’automatisme par délibérément, car l’artiste exprime un état en multiple situation de vie, la disposition de la couleur reflétant la nature de chacune de celles-ci. On peut les interpréter à satiété, du moment que l’œuvre nous rend à nous-mêmes. Lorsqu’on rêve ou on espère (moitié haute), et Lorsqu’on vit (moitié basse). Mais l’ensemble peut être uni, quand tout se confond. Tout se tient pour nous révéler le sens qui est vêt comme un caractère, une position imposée ou juste un état intermédiaire. Chafik Ezzougari nous raconte quand il se raconte. Ses récentes œuvres supportent le regard, donnent accès à la contemplation et à la réflexion. Elles sont belles ainsi. C’est-à-dire instructives pour la réflexion.
On ne peut ne pas se rappeler les paroles de Stefan Zweig qui avait écrit dans « le joueur d’échec » : « Mais comment peindre, comment exprimer, fût-ce pour soi-même, une vie qui s’écoule hors de l’espace et du temps ? Personne ne dira jamais comment vous ronge et vous détruit ce vide inexorable… »
*centre national de recherches textuelles et lexicales (dictionnaire)