Lentement mais sûrement, le groupe Marjane continue d’opérer des changements stratégiques. Dernier en date, Acima perd son identité historique pour désormais s’appeler Marjane Market.
Le leader, toutes catégories confondues de la distribution moderne, voudrait par l’occasion revoir le positionnement de cette filiale dont les parts de marché ont été bien ballotées ces dernières années. Mais au point de souffrir d’un déclassement pour concurrencer BIM comme le laisse-t-on entendre?
Les remue-ménages dans le monde de la distribution moderne au Maroc continuent de causer des remue-méninges auprès de ceux qui suivent ce secteur. Le dernier, l’abandon de la marque Acima, fait suite à plusieurs changements initiés ces dernières années par le groupe Marjane. La plus spectaculaire reste l’arrêt unilatéral de la distribution d’alcool par l’hypermarché Marjane dont la filiale Acima a emprunté les pas peu après. Spectaculaire car faut-il le rappeler, l’alcool selon les connaisseurs du marché assurerait jusqu’à 50% des bénéfices d’un supermarché.
Ce changement-ci vient visiblement aboutir des transformations entamées depuis un moment donc. Mais, sur les raisons du passage de Acima à Marjane Market, la filiale de la holding Al Mada, reste bouche cousue. Il faut remarquer ce modus operandi est la règle au sein de cette institution. Nombre de transformations se font sans communication préalable, laissant le soin aux populations de découvrir par elles-mêmes et de faire des commentaires. «Il n’y pas de mauvaise publicité», disent les américains.
Errances
Donc on évoque pêle-mêle une volonté du groupe de nettoyer les réminiscences d’Auchan, l’ex-partenaire de la holding dans le développement des grandes surfaces, une volonté d’harmoniser l’image du groupe, ou encore le fait que la marque Marjane jouit de plus de sympathie auprès des consommateurs que toute autre marque. D’après un sondage réalisé par le duo L’Économiste-Sunergia et publié l’année dernière, 36% de la clientèle des supermarchés préféraient se rendre chez Marjane. Très loin derrière, Carrefour-Label’Vie recueillait 8% de votes, BIM 7%, Aswak Assalam 5%, Acima 4%, Carrefour Market 3% et Atacadao 1%.
À en croire une analyse livrée par El Mehdi Fakir, directeur d’Audit & Consulting Group, à un confrère, Marjane «essaie de remettre sa filiale Acima sur la bonne route en actualisant le nom afin d’uniformiser l’image visuelle du groupe chez les consommateurs qui vont sûrement s’adapter au nouveau nom». Raison suffisante donc pour faire passer Acima sous la tutelle marketing et “identitaire“ de sa maison-mère Marjane ? Pas si sûr.
Parenthèse. Il faut le noter tout de même, Acima se cherche une identité depuis un moment. Et Marjane Market n’est pas sa première tentative. Il n’y a pas si longtemps, étaient apparues sur internet des photos de devanture d’un Acima avec une nouvelle identité : un logo en forme de cœur, dont le centre s’entrelace, et des couleurs plutôt rouge et blanc. Projet pilote ? Ballon d’essai ? En tout cas, le logo de cette tentative de repositionnement d’identité avait attiré toutes les critiques et concentré toutes les moqueries sur le peu d’effort fourni par ceux qui l’ont conçu. Car celui-ci ressemblait étrangement au logo de Airbnb, le leader mondial de la location de vacances. Le concepteur marocain du supermarché de proximité, flashé au “Copymètre“, a-t-il fait un rétropédalage ? Il faut croire que oui, vu que cette éphémère identité n’a finalement jamais été déclinée sur l’ensemble de ses magasins.
Marjane Market-BIM : la guerre qui n’aura pas lieu
Mais les raisons de ce dernier changement, en Marjane Market, sont probablement ailleurs. Dans une note récente, CFG Research avançait que le secteur de la distribution moderne a connu des changements majeurs ces dernières années avec l’arrivée de nouveaux acteurs : BIM, Leader Price (en perdition), transformation des supermarchés Label’Vie en Carrefour Market, introduction du concept hypercash par Label’Vie à travers l’enseigne Atacadao. Et de conclure que tous formats confondus, Marjane est le leader incontesté de la GMS au Maroc avec 52% de parts de marché, suivi par Label’Vie avec 30% de parts de marché.
Sauf que cette domination du marché n’est pas aussi hégémonique que cela. Le turc BIM mènerait la vie dure à Acima car celle-ci serait la principale perdante de sa percée au Maroc. Malgré ses déficits cumulés qui s’amoncellent, « il n’en demeure pas moins que celui-ci (BIM) est suivi de près par la concurrence, et qu’il a réussi à atteindre une part de marché de 9% entre 2009 et 2016 essentiellement au détriment de Marjane/Acima, alors que Label’Vie a pu stabiliser la sienne autour de 30% sur ces 4 dernières années », indiquait CFG.
Pour se reprendre sur ce marché qui représente 15% des circuits de distribution, Marjane Market serait donc une décision stratégique pour contrer l’offensive de BIM et contrecarrer l’agressivité commerciale de Carrefour Market.
Mais difficile de voir une concurrence frontale entre Marjane Market et BIM. En dépit de leur présence respective dans les centres-villes, les deux enseignes n’ont pas les mêmes positionnements. Puis, l’ex-Acima n’est pas prêt de risquer un déclassement pour aller jouer contre BIM. Car les recettes du succès de cette dernière résident essentiellement dans les bas prix. Acima n’en a pas les capacités au vu de ses surfaces et du positionnement adopté jusqu’à maintenant. D’autant plus que le groupe Marjane a déjà un autre plan contre les hard discounters.
La formule anti-BIM
L’arrivée du turc en 2009 et la rapidité avec laquelle cette enseigne a pu se déployer n’a pas manqué de faire soulever les sourcils aux grandes enseignes Marjane/Acima et Label’Vie. Une arrivée qui a poussé à une reconfiguration du marché sur lequel étaient confortablement assis les opérateurs nationaux. Avec ses plus de 400 magasins, BIM a suscité des vocations de hard discounter chez Marjane. En 2015 déjà, le groupe avait tenté une première aventure avec les magasins hard discount Xpress Market, légèrement au-dessus des supérettes BIM et un cran en dessous des supermarchés Carrefour Market. Le slogan: «des prix pas à deux pas».
Flop total. Quelques mois après le déploiement des unités pilotes, l’expérience a tourné court et Marjane a repris sa copie. Et c’est avec une autre enseigne que Marjane revient sur ce segment. “Otop“ du nom, celle-ci est discrètement déployée en tant que magasins de commerce de proximité dans certains quartiers de Casablanca : Beauséjour, 2 Mars, etc.
Connaîtra-t-elle meilleur sort ? Marjane n’est pas la seule à s’activer sur ce créneau. Son second, Label’Vie, ne veut pas être largué. La filiale du groupe Best Financière et de Retail Holding a annoncé le lancement de ses premières supérettes populaires “Supeco“.*Même si l’enseigne ne reprend pas entièrement le concept tel que décliné en Espagne avec des superficies plus grandes (1500 à 2000 m2 en Espagne contre 400 m2 au Maroc), ses premières implantations ont été réalisées dans les quartiers populaires Aïn Chock, Oulfa, Moulay Rachid,…
Similitudes
En réalité, le meilleur concurrent de Marjane Market aujourd’hui reste Carrefour Market et/ou Label’Vie. Ceux-ci semblent être la cible primordiale de ce repositionnement, étant donné la position de solide deuxième acquise sur le marché. Car l’entreprise fondée par Zouhair Bennani n’est pas celle qui a souffert des hard discounters. A contrario, elle a profité de l’effritement des parts de Marjane/Acima pour monter davantage en parts de marché.
Label’Vie n’est pas resté les bras croisés et a revu son modèle dans sa logique de segmentation de l’offre entamée il y a maintenant quelques années par le groupe, pour couvrir un spectre-client plus large. L’entreprise avait défini deux cibles potentiels pour les Carrefour Market: une première clientèle, de niche, envers laquelle l’enseigne compte adresser une offre plus riche en assortiment, sous la signature «Gourmet». Objectif : améliorer le mix produit et accroître les marges de profit. L’autre cible est plutôt lowcost, adapté au pouvoir d’achat des ménages de classe moyenne.
Mais, remarque-t-on déjà ces similitudes au niveau des noms? Carrefour et Carrefour Market d’un côté, Marjane et Marjane Market de l’autre. Etrange coïncidence que ces concepts de nom qui se ressemblent entre le premier et le second ! Après le fiasco de l’Acima au logo à la sauce Airbnb, voici donc le Marjane Market au nom à la sauce Carrefour. Manque d’originalité ou volonté d’émuler ! Visiblement, on ne peut pas être premier en tout…
Soumayya Douieb