Modèles de développement: des urgences et des prérequis

Par Fairouz El Mouden

Le PPSest en effet le premier parti politique qui a organisé cette université annuelle sur un thème de grande importance à savoir le modèle de développement au Maroc. Pour Nabil Benabdallah, SG du parti comme pour l’ensemble des intervenants, le modèle de développement actuel a montré ses limites : taux de croissance limité à 3%, hausse du taux du chômage, faible gouvernance des stratégies sectorielles, gestion territoriale inadéquate, faible productivité et stagnation du processus démocratique…. A cela s’ajoutent le manque de visibilité et la mollesse du discours politique.

Mohamed Berrada, professeur universitaire et ancien ministre des Finances

Après la séance d’ouverture présentée par Nabil Benabdallah, la parole a été donnée au professeur Mohamed Berrada, ex-ministre des Finances. Berrada s’est interrogé sur les fondamentaux d’un modèle économique et sa capacité de créer des emplois. Pour lui, cette création d’emploi est au centre de tout modèle de développement réussi. Il a rappelé les différents modèles de développement que le Maroc a adoptés, en passant par le dérapage budgétaire (des années 70), le PAS (programme d’ajustement structurel), une réforme structurelle qui avait pour objectif de réduire le déficit budgétaire. Arrive ensuite la libéralisation de l’économie à la fin des années 90. Le pays avait alors réalisé des avancées remarquables traduites par l’accélération du rythme de croissance, la réduction de la pauvreté extrême et la hausse de l’espérance de vie. Cette période, indique Berrada, a connu la réalisation de grands projets structurants (Tanger Med, parc éolien, politique sectorielle aéronautique, automobile) …Bref, dit-il, le Maroc faisait l’exception dans une région marquée par de nombreuses difficultés économiques et financières.

Toutefois, regretta-t-il, les investissements engagés sont faiblement créateurs de valeur ajoutée, d’où la fragilité de la croissance économique. Conséquence : plus de 50% de la population en chômage est constituée de diplômés. Une situation de crise qui reflète l’échec et l’inadaptation des systèmes d’éducation et de formation par rapport aux besoins du marché du travail. Malgré les différentes réformes, le système de l’Education demeure stérile et en déphasage complet avec la réalité.

Une première conclusion se dégage de ce constat : le modèle de développement est dépassé et il est à l’origine de la fragilité de l’économie et de la non maîtrise de la croissance. Berrada considère à cet égard que la croissance fluctue d’une année à l’autre et dépend beaucoup plus de facteurs exogènes. Il estime que l’aggravation des inégalités est à l’origine des tensions sociales. Le taux de croissance par rapport au PIB représente à peine 32% et les systèmes d’analyses et de diagnostics ne sont plus d’actualité pour parer aux incertitudes.

Conséquences : la souveraineté de l’économie n’est plus entre les mains de l’Etat, mais dépend des marchés financiers et des orientations des institutions financières internationales notamment le FMI et la BM.

Ainsi, la croissance a été tirée par les dépenses et la consommation. Or explique Berrada, plus l’économie s’ouvre à l’extérieur, plus on dépense et donc plus le déficit commercial s’aggrave. Le libre échange a ses règles, mais aussi ses limites, avance-t-il.

Résultat, la part du secteur industriel dans le PIB de notre pays a baissé de 15% contre 55% pour le primaire et 30% pour le tertiaire. D’où la nécessité de créer un modèle dynamique et inclusif où tout est lié. Berrada pense en effet qu’on ne peut préparer une loi des finances sans prévoir un budget économique. Le facteur temps est très important dans le cadre du nouveau modèle. La qualité de l’enseignement n’est pas en reste comme celle de la qualité de la croissance qui ne réside plus dans son taux élevé mais dans sa régularité et son inclusivité. ll est temps de protéger l’économie contre le dumping  et renforcer  la compétitivité de l’économie et notamment du tissu industriel. Pour conclure, Berrada plaide pour un modèle de développement dans lequel la qualité devient un critère pertinent plus que la quantité….

Abdelali Benamour, président du Conseil de la concurrence

Un modèle de développement suppose la définition d’une vision de la société qui fixe les objectifs à atteindre. Pour Benamour, plusieurs questionnements se posent. Il s’agit de revoir le rôle des marchés financiers, la régulation du marché de travail et la réforme du code de travail…Le Maroc favorise-t-il l’emploi ou la redistribution ? Quel système de l’enseignement ? La réforme existe mais ne trouve pas le terrain d’application. Il reste convaincu que jusqu’à présent, la réforme existe mais n’est pas de nature à faire évoluer le système.

Benamour propose une bonne répartition de l’emploi qui crée de la valeur et qui permet d’intégrer tous les paramètres dans une vision globale. Pour lui, le choix démocratique est déterminant (démocratie parlementaire ou autre). Pour cela, l’efficience de l’exécutif est déterminante tout comme l’efficacité des partis politiques, piliers de la démocratie.

Mohamed Chiguer, économiste président du CERAB

Le président du CERAB (centre de recherche Aziz Bellal), Mohamed Chiguer a choisi de présenter les modèles de développement économiques adopté par le Maroc depuis 1956, les expériences réussies et l’expérience du Maroc.

Pour lui, il existe deux modèles.L’un dit de base et l’autre opérationnel. Ce dernier est un modèle volontariste et suppose deux variantes : l’industrie et l’exportation. Chiguer croit que la volonté n’est pas suffisante et que la confiance reste la base de tout modèle.

Il estime aussi que l’industrialisation est une clé de réussite et un processus basé sur trois éléments : la recherche &développement, l’éducation et l’usine. Le temps est également une clé de succès et même un élément déterminant.

Concernant le deuxième axe, en l’occurrence les modèles réussis, le président du CERAB suppose que de la variable culturelle dépend le choix d’un projet sociétal et que de la variable économique dépend le choix du modèle économique et ainsi de suite pour les variables politique, industrielle, ouverture sur l’extérieur…

Evoquant l’expérience du Maroc, Chiguer cite trois périodes et donc trois modèles volontaristes. Le premier remonte à 1959et renvoie à l’industrialisation du pays et il n’a duré qu’une année.

Le second s’inspire du modèle qui consiste à produire les biens de consommation les plus utilisés. Il a mis en place la caisse de compensation et l’ONICL pour soutenir la production et le pouvoir d’achat, sur la politique des barrages. Résultat, ce modèle n’a jamais été destiné aux pauvres.

Arrive ensuite, la seconde période de 1965 – 1978. Dans cette phase, le Maroc s’est inspiré du modèle de Keynes basé sur la politique de protectionnisme et de la planification de l’économie. Ces deux modèles sont fondés sur les mêmes piliers de la croissance, à savoir la demande interne et l’agriculture.

Quant au troisième modèle 1993-2018, il marque le passage de la société industrielle à celle du savoir. Dans ce cas de figure, la logique comptable l’emporte sur celle économique. Il s’agit du modèle néolibéral dont le solde n’est pas très reluisant. Selon Chiguer, le Maroc a effectivement évolué, mais n’a pas progressé pour cause de la mise à niveau de son modèle de sous-développement.

L’expérience marocaine n’a pas pu réaliser des objectifs de base ni maitriser les clés de réussite et appliquer les cinq variables. Il propose d’aller vers un modèle doté d’une vision, d’une stratégie à même de reconstituer la confiance. Il faut mettre l’accent sur le processus d’industrialisation du pays, mettre en place des écoles de qualité, développer la R&D. Enfin, il propose de mettre l’accent sur l’emploi et sur l’entreprise qui crée de l’emploi…

Related posts

Top