Scepticisme général au Liban

Au lendemain de la formation d’un gouvernement

Scepticisme et critiques prévalent samedi au Liban au lendemain de la formation d’un gouvernement attendu depuis 13 mois qui aura la tâche colossale de redresser le pays englué dans une crise économique et sociale sans précédent.

Le pays a accouché vendredi d’un gouvernement dirigé par Najib Mikati, l’une des plus grandes fortunes du pays et qui a été déjà Premier ministre à deux reprises.

La nouvelle équipe, composée de 24 ministres et dont la formation était une condition pour toute aide internationale, a vu le jour à l’issue d’interminables tractations politiques entre les partis au pouvoir, largement discrédités auprès de la population.

« Le gouvernement de la confiance (quasi)impossible », a ainsi titré le quotidien arabophone Al-Akhbar, proche du parti chiite Hezbollah.

Les craintes unanimes exprimées dans les médias, sur les réseaux sociaux et par certains experts portent notamment sur la capacité du nouveau gouvernement à redresser une économie plus que jamais aux abois et sur sa marge de manoeuvre en matière de réformes.

Et de se demander quels changements pourrait réellement apporter cette équipe, choisie par les « barons » issus des différentes communautés qui gèrent le pays depuis des décennies et dont les politiques clientélistes et les soupçons de corruption sont considérées comme à l’origine de l’effondrement économique du pays.

« Gouvernement (…) du nitrate, de la stérilité politique et de la corruption consensuelle », déplore une internaute sur Facebook, en allusion à l’explosion gigantesque en août 2020 au port de Beyrouth, due au stockage sans mesure de précaution d’énormes quantités de nitrate d’amonium.

L’explosion qui a fait plus de 200 morts, des milliers de blessés et ravagé des quartiers entiers de la capitale avait été largement imputée à l’incurie de la classe dirigeante.
C’est d’ailleurs quelque jours plus tard que le gouvernement dirigé par Hassan Diab avait démissionné, devant le tollé général.

« Ce sont les cuisiniers eux-mêmes qui ont formé le gouvernement. Sont-ils donc capables de fournir un nouveau repas ? La vraie crainte est que le modus operandi ne puisse rien produire de nouveau », renchérit de son côté à l’AFP le chercheur Sami Nader.

D’autant plus que, comme le souligne en Une le quotidien francophone L’Orient-Le Jour, la tâche du gouvernement s’avère « herculéenne ».

La crise économique inédite que traverse le pays depuis l’été 2019 n’a eu de cesse de s’aggraver, la Banque mondiale la qualifiant d’une des pires au monde depuis 1850.

Avec une inflation galopante et des licenciements massifs, 78% de la population libanaise vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, selon l’ONU.

Chute libre de la monnaie locale, restrictions bancaires inédites, levée progressive des subventions, pénuries de carburant et de médicaments, le pays est aussi plongé dans le noir depuis plusieurs mois, les coupures de courant culminant jusqu’à plus de 22 heures quotidiennement.

Et les queues interminables ne cessent de s’allonger devant les stations d’essence.

Si l’arrivée au gouvernement de certaines personnalités comme Firas Abiad, directeur de l’hôpital gouvernemental Rafic Hariri et fer de lance de la lutte anti-Covid, au ministère de la Santé, a été saluée par certains, le doute demeure.
Maha Yahya, directrice du Centre Carnegie Moyen-Orient à Beyrouth, reconnaît que des « ministres compétents » font partie du cabinet. Mais elle souligne que, « pris dans son ensemble, le gouvernement n’est pas équipé pour faire face aux défis sur le long terme, en l’absence de consensus politique sur la façon de sortir le pays de la pagaille ».

« Quand un pays se classe dans le top 3 en termes de gravité de crise économique dans l’histoire contemporaine du monde, on ne nomme pas un ministre du Tourisme, ni un ministre de la Jeunesse et des Sports (…) mais douze experts économiques et financiers indépendants pour travailler 24h/24 sur (une sortie de) crise », estime quant à elle la militante et experte en politiques publiques Sara el-Yafi.

Parmi les défis à relever figure la conclusion d’un accord avec le Fonds monétaire international (FMI), avec lequel les pourparlers sont interrompus depuis juillet 2020.

Il s’agit pour la communauté internationale d’une étape incontournable pour débloquer d’autres aides substantielles.
Vendredi soir, plusieurs pays impliqués dans le dossier libanais, ont d’ailleurs exprimé la nécessité d’actions immédiates, Washington appelant à des « mesures urgentes (…) pour répondre aux besoins criants et aux aspirations légitimes du peuple libanais ».

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