Transmission d’entreprise en période de Covid-19

Entretien avec l’expert Karim Benomar

Propos recueillis par: Hicham Louraoui – MAP

Le Senior Consultant à Actoria International, Karim Benomar, accorde un entretien à la MAP au sujet de la transmission d’entreprise et l’impact de la crise liée à la pandémie du nouveau coronavirus (Covid-19) sur cette activité. En voici la teneur :

Tout d’abord, qu’est-ce que c’est la transmission d’entreprise ?

Le terme transmission d’entreprise est un terme généraliste qui englobe plusieurs notions, dont la cession d’entreprise. En effet, une transmission d’entreprise donne lieu à un transfert majoritaire des parts sociales d’une entreprise, à partir du moment où la majorité des actions sont vendues à un tiers.  Il peut s’agir d’une transmission familiale dans le cas où une entreprise est cédée par le fondateur à un(e) héritier(e), ou de la cession pure et simple de la majorité ou de la totalité des parts qui sont vendues dans une opération de cession.

La crise liée au Covid-19 a mis plusieurs entreprises dans une situation délicate à différents niveaux. Comment le marché de la transmission d’entreprises  a-t-il évolué au Maroc durant cette période ?
On peut aujourd’hui considérer après plus de douze mois de crise sanitaire que l’incidence du Covid-19 a eu et aura un impact considérable, en particulier sur les petites et moyennes entreprises (PME).

Personne n’a pu prévoir le temps ni les dégâts que cette crise a fait subir au monde en général. Dans un premier temps, il y a eu le choc du ralentissement et de la nécessité de la réorganisation des activités. S’en est suivi, l’espoir d’une reprise avec l’aide des prêts Oxygène et Relance et autres aides de l’Etat qui ont constitué une bouée de sauvetage, mais dont les montants n’étaient pas suffisants, ne donnant aux entreprises, qu’une petite bouffée d’air de trésorerie, souvent plutôt pour colmater le fonds de roulement à court terme.
Puis une troisième phase qui est celle dans laquelle nous sommes aujourd’hui, à savoir la constatation de la non reprise, toujours pour les mêmes causes sanitaires et donc l’agonie longue et irrémédiable vers des décisions d’ordre judiciaire, comme les redressements et les liquidations.

D’ailleurs les statistiques sont là pour bien prouver que malgré la situation dégradée en 2020, le niveau du nombre de dossiers de liquidation judiciaire n’avait pas vraiment augmenté par rapport aux années précédentes.
Le constat aujourd’hui est effectivement d’applaudir les entreprises agiles qui ont pu trouver des mécanismes de reconversion de leurs business et qui avaient aussi et il faut le souligner, la capacité industrielle pour réorienter leur secteur (par exemple, celles qui ont pu passer de la fabrication de produits liquide hygiénique, vers le gel sanitaire, ou celles ayant réussi à transformer leur outil de production dans le textile vers la fabrication de masques et autres activités liés au marché sanitaire).

Sans parler bien entendu de l’explosion des secteurs liés aux domaines du e-commerce, de la livraison, du digital, du télétravail. Oui, il faut applaudir ces dirigeants qui ont eu le courage, la vision et la résilience d’accepter les nouveaux challenges en cette période.

Inversement, peut-être, que la fibre entrepreneuriale a manqué à certains dirigeants qui auraient pu envisager des reconversions, mais ne l’ont pas fait par manque de moyens, de capacité en ressources humaines, d’engagements humains …  En ce qui concerne la corrélation entre la crise sanitaire et l’activité de la transmission d’entreprise, je reprends ce que j’ai dit plus haut. Les dirigeants ont attendu et espéré un redémarrage, mais qui, du fait de la situation, a du mal à renouer avec une reprise attendue.

En quelques mois, une entreprise peut vite toucher le fond et se trouver en situation d’insolvabilité, alors qu’il faut souvent des années pour générer. La trésorerie, le fonds de roulement, l’accès aux facilités de caisse sont les outils nécessaires à la survie de l’entreprise.  Or, les très petites, petites et moyennes entreprises (TPME) sont les premières touchées par ces manques et par conséquent, les premières à subir de plein fouet les conséquences de la baisse ou de l’arrêt d’activité. Et souvent, les cabinets de conseil sont sollicités trop tardivement quand on ne peut plus rien faire.

Quelles sont les pistes de relance de cette activité et les moyens pour séduire les repreneurs et investisseurs ?

Il y a à mon sens plusieurs pistes pour les entreprises et dirigeants qu’elles sont possibles à suivre, mais cela dépend beaucoup de la maturité de l’entreprise et de la compréhension par les dirigeants propriétaires, des instruments qui peuvent être sollicités pour la mise en place de relance. Historiquement, l’entrepreneur marocain se dirige vers les institutions financières pour solliciter des aides par le crédit.

Or, en ces temps difficiles, les banques rechignent à ouvrir les vannes aux entreprises présentant déjà des bilans déficitaires, donc les cautions deviennent de plus en plus lourdes à supporter et l’entrepreneur, lui-même s’inquiétant de la situation de son activité, se demande s’il est encore capable de rajouter des cautions aux cautions courantes, sans parler des taux d’intérêt prohibitifs pratiqués par les banques.

Alors, il reste la solution de l’ouverture du capital à des investisseurs (tels que les fonds d’investissement pour les montants plutôt importants). Il y a les fonds « family office » ou encore les investisseurs particuliers fortunés qui acceptent de regarder des projets porteurs. Il y aussi la recherche vers l’international, en allant chercher ces investisseurs intéressés par une pénétration du marché national.

Je ne vais pas entrer dans les détails du fonctionnement, mais il est important de souligner que pour avoir accès à ces apporteurs de fonds, la filière n’est pas nécessairement ou obligatoirement la banque.

Au Maroc, les cabinets de conseil financier et les banques d’investissement sont les intermédiaires et accompagnateurs désignés pour faire ce travail. Sauf que très souvent les dirigeants rechignent à travailler avec ces cabinets, par manque de connaissance, de culture managériale et de confiance.

Ils ne veulent pas payer des « honoraires de préparation » ou des « commissions » sur les succès des opérations, essayant toujours de contourner le système.

Le malade essaye de se soigner auprès du pharmacien ou de chercher sur Internet le remède, sans vouloir passer par le médecin qui, lui, saura trouver le problème et le soigner, mais pour éviter de payer le médecin, on risque sa santé.
Et bien c’est la même chose pour les cabinets de conseil, on est payé pour trouver des solutions aux maux de l’entreprise. Mais dans l’esprit de beaucoup, cette notion n’est pas intégrée, ni acceptée et encore moins reconnue.

Actoria a élaboré un livre blanc sur cette problématique. Quelle est l’importance de ce livre blanc et comment pourrait-il aider les chefs des entreprises ?

Le livre blanc d’Actoria est un outil de familiarisation, d’information, de communication, d’accompagnement et de partage pour aider les dirigeants moins compréhensifs des étapes et des process dans l’accompagnement des entreprises pour appréhender les étapes de la transmission donc de la cession de l’entreprise.

Il faut comprendre que le caractère psychologique de la transmission, pour le dirigeant propriétaire est parfois plus important que le caractère financier. Il y a une assimilation, une compréhension et une acceptation à intégrer dans le fait de se défaire de son entreprise, qui pour beaucoup a été le fruit d’une vie de travail, de labeur, d’échec, de réussite pour toute une famille.

Pour beaucoup, se défaire de son entreprise est une douloureuse décision, comme peut être la perte d’un être cher. D’où ce libre blanc qui explique pas à pas les étapes à surmonter pour prendre les bonnes décisions pour accomplir son projet de vente.
Je dis souvent que « Vendre son entreprise grâce aux chiffres, c’est la moitié du chemin, la conclure c’est l’homme qui vous accompagne ».

Est-ce qu’il est profitable de procéder actuellement à une opération de transmission ?

Vendre son entreprise aujourd’hui en période de crise, c’est comme vendre un bien immobilier en période de crise. La crise augmente l’offre et rend la demande latente, c’est une question économique de base de la loi de l’offre et de la demande.

Les vendeurs sont dans le désespoir de sauver ce qu’il y a à sauver et se retirer avec un chèque quel que soit le montant, parfois.

L’acheteur, tel un rapace, attend patiemment le moment opportun pour sauter sur la proie et donc, va tenter de racheter à la baisse, même sur une base bien mathématique d’une évaluation financière en bonne et due forme. Il trouvera les arguments pour montrer que l’activité en forte dégringolade en 2020 et maintenant aussi en 2021, pour vous proposer de vous racheter à vil prix.

C’est là que peuvent intervenir les cabinets de conseil pour pondérer, rectifier, revaloriser ces évaluations et aider le dirigeant à mieux vendre. Il est toujours profitable de vendre dans une période de grâce, plutôt que l’inverse.
N’oubliez pas que certains opérateurs du domaine, sont devant les portes des tribunaux à attendre de pouvoir racheter une entreprise au dirham symbolique. C’est pour dire jusqu’où la cupidité économique de certains peut aller.

Il faut aussi garder en tête, et ça, souvent les dirigeants ont tendance à l’oublier, c’est que le processus normal de la vente d’une entreprise se situe entre 6 et 24 mois, dépendamment du degré de maturité du dirigeant à avoir déjà ou pas décider de vendre, du degré de rapidité et d’implication du cabinet qui vous accompagne dans la préparation du dossier (d’où souvent pour les dirigeants la suggestion de trouver un cabinet plus petit qui saura réagir plus vite) et bien sûr trouver le repreneur idéal, car souvent, tout le travail préliminaire de préparation est fait, mais par manque d’opportunités, on ne trouve pas d’acheteur.

Quand on est en difficulté, le temps passe bien plus vite, les problèmes s’accumulent et on ne va que vers le bas. Ainsi, cette notion de temps de préparation et d’aboutissement de la vente est souvent occultée par les dirigeants qui pensent qu’une opération de cession se passe aussi rapidement et facilement qu’une opération de vente immobilière et c’est d’ailleurs souvent le référentiel de temps qui est utilisé par le dirigeant.

Le dirigeant doit comprendre que l’accompagnement et la préparation à la vente constituent un investissement et non pas une dépense.

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