«Et je me nourris de vide pour le songe» d’Abdelkhaleq Jayed (Virgule Éditions 2017), est le second recueil poétique de l’universitaire d’Agadir. Son cinquième livre avec les trois récits publiés auparavant et dont le dernier, «Une histoire marocaine» édité par Afrique Orient, a été dans la sélection finale du Prix Grand Atlas 2016.
Dix ans maintenant que l’auteur a choisi l’écriture pour dire son vertige devant le vide d’un monde défait chaque jour un peu plus de ses valeurs premières. «Et je me nourris de vide pour le songe», poursuit le même cheminement dans une langue désormais farouche et résolue qui en dit long sur la volonté du poète de profiter de la nuit pour réécrire la vie sur la base de ses rêves.
Le livre est au miroir de la toile de Rachid Khaless qui illustre la couverture et montre un homme nu, anéanti, au regard vide et tourné vers un ailleurs à naître. Les bouffées de violence des premières pages où tout est sens dessus dessous, installent d’emblée une écriture compacte qui défie notre raison. Comme après «un éboulement cosmique». Des images fortes surgissent, «une larme de sang» ici, «un moineau décharné» là, «des mains mendiant une miette de sérénité», «un enfant titubant» jusqu’à l’épuisement.
Réfugié dans le langage, juste «nourri de la lumière des mots et du vide qui le gonfle», le poète fouille, creuse, traque jusqu’au bout de la nuit la moindre lueur de vie. Un vrai travail d’aveuglement où il s’agit de «retrouver le sentier de l’homme».
L’entreprise est délicate, subordonnée à un rythme binaire. S’y croisent la vie et la mort, le jour et la nuit, le rêve d’une «patrie ouverte et libre» et les «génuflexions de serfs enturbannés», le cri du désir et un «bruit de chair qu’on déchire». L’écriture elle-même finit par se dissocier, tantôt violente, tantôt apaisée, mais toujours fluide, ardente, sans ponctuation ni majuscule qui bornerait le sens ou freinerait l’élan. Est poète, écrit Abdelkhaleq Jayed dans une très belle formule, celui qui «vit sans le savoir dans le jour insoupçonné de la nuit».
Telles sont la matière et la manière de ce recueil dont le mérite est de vouloir transformer la nuit en lumière en recourant au rêve, au langage, à toute forme suractivée du monde dont le poème serait la trace, la marque immaculée de notre présence au monde.
Jacques Alessandra