Le cinéaste noir de la fracture américaine

Spike Lee

«Le racisme est intégré dans la structure même des institutions».

Angela Davis

Est-ce un fait dû au hasard ou c’est un coup de marketing bien calculé ? La plateforme Netflix  a programmé, en effet,  la diffusion du nouveau film de Spike Lee, Da 5 bloods : frères de sang en pleine effervescence du soulèvement anti-racial et contre les violences policières qui secoue les Etats-unis.

Le film traite du Viêtnam, mais cette fois du point de vue des Afro-américains. Il est, donc, en parfaite congruence avec la thématique de ce soulèvement historique qui rend à l’Amérique un peu de son honneur bafoué par des pratiques d’un autre temps.

Certes, le film de Spike Lee relève bien d’une variante de divertissement, dans le style développé par la célèbre plateforme mais ce faisant à partir d’un sujet grave, celui du destin de soldats afro-américains envoyés au Viêtnam, donnant ainsi à l’actualité un autre éclairage, en l’inscrivant dans une perspective qui montre bien que le racisme et les violences policières ont une histoire.

L’intrigue est passionnante à plus d’un titre. Elle conjugue une dimension « action » liée au film de guerre et une dimension humaine très forte et qui finit par donner au film sa vraie valeur ajoutée. Il s’agit de quatre anciens vétérans de la guerre du Viêtnam qui se retrouvent plusieurs décennies après la fin du conflit et la défaite humiliante des Etats-unis pour revenir là-bas.

Avec un double objectif; retrouver et rapatrier le corps de leur chef de section, le très charismatique Norman. Avec lui, ils avaient formé une fratrie forgée dans les dures conditions de la guerre et Norman les avait tous marqués par ses qualités de soldat mais aussi par sa vision lucide de la vie et de leurs conditions de noirs. Bref, un véritable guide spirituel. L’autre objectif est plus trivial, celui de récupérer un immense trésor formé de lingots d’or qu’ils avaient trouvé dans la jungle et qu’ils avaient enterré pour tout simplement se l’approprier comme une sorte de compensation.

Les deux objectifs vont finir par fonctionner comme révélateurs de leurs angoisses, de leur traumatisme car en rentrant chez eux la première fois, ils ont continué à porté quelque chose du Vietnam. Non seulement ils avaient perdu un frère mais quelque chose en eux était définitivement cassé pour toujours. Du coup, cette décision de revenir sur le lieu de leur drame se présente comme une catharsis mais au prix fort. A un certain moment dans leur récit on les voit écouter une émission de propagande de la radio nord-vietnamienne qui contribue à leur ouvrir les yeux sur la nature du conflit.

Avec des chiffres à l’appui, elle leur rappelle leur double statut de victime; victime de la guerre mais surtout victime d’un système ségrégationniste: les Noirs représentent à peine 11% de la population des Etats-unis et les soldats noirs sont plus de 32% du contingent de l’armée américaine au Viêtnam ! Cela me rappelle une définition de la guerre du Viêtnam par l’un des personnages du romancier R. J. Ellory: le Viêtnam ? Ce sont des noirs qui vont tuer des jaunes au bénéfice des blancs qui ont pris leur terre à des rouges!

Le film de Spike Lee est un exercice de montage qui joue sur la temporalité  notamment dans ses images de références historiques. Le film s’ouvre sur une séquence d’archives qui restitue au film son historicité; des images de violences policières avec des figures emblématiques de la prise de conscience noire : Martin Luther King, Malcolm X, Angela Davis, Black power et la célèbre image du poing levé sur le podium des jeux olympiques de 1968 …et surtout avec des extraits de la célèbre déclaration  de Mohamed Ali annonçant son refus d’aller combattre au Viêtnam : «Ma conscience ne me laissera pas aller tuer mes frères ou des pauvres gens affamés dans la boue pour la grande et puissante Amérique. Les tuer pourquoi ? Ils ne m’ont jamais appelé «negro»; ils ne m’ont jamais lynché; ils n’ont jamais lâché leurs chiens sur moi ;  ils ne m’ont volé ma nationalité, violé et tué ma mère et mon père… les tuer pourquoi?».

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