Le secteur bancaire face à la gestion de la crise: quelques interrogations

Par Abdeslam Seddiki

Au cours de cette période de lutte contre la pandémie corona et ses conséquences économiques et sociales,  des voix se sont élevées tant de la part des entreprises que des particuliers pour critiquer le comportement du secteur bancaire dans la gestion de la crise.

Ces milieux estiment, à leurs yeux, que le secteur bancaire n’a pas  été à la hauteur de ses responsabilités en faisant preuve d’un comportement égoïste.  Très vite, ces critiques ont été relayées, quoique d’une façon atténuée, par certaines organisations politiques  tant dans  leurs différents communiqués qu’au niveau  sein du parlement. Pour sa part le GPBM, rejette en bloc ces remontrances les considérant comme infondées en affirmant que le secteur  bancaire marocain s’est très rapidement engagé dans l’effort national de prévention et de gestion des conséquences de la pandémie Covid-19 sur les plans tant sanitaire, social, économique que financier, renouvelant “sa mobilisation et sa ferme détermination à continuer dans cette voie”.  Nous sommes donc en face d’un problème national réel dont il convient de démêler l’écheveau.

Il faut rappeler que  ces frictions entre la banque et l’entreprise ne datent pas d’aujourd’hui.  Elles sont permanentes et leur intensité évolue en fonction de la conjoncture. En situation de crise, il va sans dire, chaque partie a tendance à mettre la responsabilité sur l’autre. Ce qui ne  fait qu’aiguiser les contradictions  à tel point que la contradiction secondaire entre les deux fractions du capital: bancaire et  industriel (productif) tend à devenir fondamentale.  Ce fut le cas lors de la passe d’armes  entre la CGEM et le GPBM en  mars dernier.

Cet échange virulent a comme toile de fonds, sous couvert de solidarité nationale,  la défense des intérêts catégoriels autour du  partage des revenus (qui peuvent être positifs ou négatifs). En effet, les différentes fractions du capital – bancaire, commercial, productif- se nourrissent  et s’abreuvent de la même source : les revenus du capital. Ces derniers se partagent entre l’intérêt (revenu de la banque) et le profit (revenu de l’entreprise productive  et du commerçant).  Comme il n’y a pas de règle écrite de partage du « butin »,  chaque fraction essaie de tirer la couverture de son côté pour s’en accaparer la plus grande partie. Le seul élément de régulation réside dans la fixation par la Banque Centrale, d’un « taux  directeur »,  qui est l’équivalent en quelque sorte du SMIG sur le marché du travail.

L’analyse marxiste du capital et du capitalisme est plus explicite.  En tant que rapport social, l’argent ne devient capital que lorsqu’il est échangé  en marchandises (moyens de production et  force de travail) pour produire une valeur additionnelle qui est la «plus-value».  Celle-ci, incorporée dans la marchandise produite, est le résultat de l’effort des travailleurs et de la force de travail. Elle se « réalise » sur le marché pour se transformer en profit, lequel à son tour est partagé entre les différentes catégories du capital,  souvent en fonction du rapport des forces dominant.

En période de crise, comme celle que nous vivons présentement,  où le procès de production est à l’arrêt ou tourne au ralenti, provoquant ainsi un chômage massif et  une diminution drastique des  revenus à la fois salariaux et du capital,  les contradictions internes au capital s’approfondissent  et  leur  régulation devient plus compliquée. D’où  l’intervention de l’Etat en tant que régulateur de premier plan et assureur social  en dernière instance pour pallier les défaillances du marché.  Le Fonds covid-19 joue parfaitement ce rôle en venant en aide à la fois aux entreprises  en difficulté  et en garantissant aux travailleurs mis en chômage partiel un revenu minimum de 2000DH.

Dans ces conditions,  il faut bien que l’ensemble des intervenants assument leur part de «sacrifices» et participent, chacun en fonction de ses moyens à cet effort  de solidarité nationale.  Nous pensons, en toute objectivité,  que le secteur bancaire a pu rectifier le tir à travers les deux dernières mesures annoncées  récemment : celle de renoncer à la distribution des dividendes  relatifs à l’exercice de 2019 en vue de renforcer les fonds propres; celle qui   consiste  à prendre en charge avec l’Etat l’intégralité des intérêts intercalaires, générés par le report des échéances des crédits logement et consommation pour la période s’étalant entre mars à juin 2020.  Précisons que cette dernière mesure est valable pour les personnes ayant des échéances mensuelles de crédit allant jusqu’à 3000 DH pour les crédits logement et 1500 DH pour les crédits consommation, y compris ceux contractés auprès des sociétés de financement.

Pour mieux apprécier le comportement du secteur bancaire, il faut comprendre sa spécificité et ce qui le différencie d’une entreprise quelconque. En effet,   la plus grande différence réside dans le fait que la banque, contrairement aux apparences,  gère des fonds  qui ne lui appartiennent pas. Elle possède dans le meilleur des cas 20% des fonds qu’elle distribue sous forme de crédit. Les 80% restants appartiennent aux épargnants, personnes physiques (ménages) et institutionnels  dont notamment les caisses de retraite et de prévoyance sociale  (argent des cotisants).

Ce faisant, elle est donc tenue d’observer un maximum de prudence pour ne pas perdre la confiance des épargnants.  D’autant plus qu’elle aura à faire face à des faillites éventuelles d’entreprises et à l’amoncellement des créances  «toxiques»  dues aux cessations  de paiement.  Les banques doivent s’y préparer pour ne pas être prises de court. En outre,  elles seront vivement sollicitées à soutenir le redémarrage de l’économie.C’est pour cela   que la faillite d’une banque est plus grave que celle d’une entreprise, toutes proportions gardées.

Toujours est-il que la grande entreprise résiste beaucoup mieux que la PME. La première est  intégrée de plus en plus  avec le capital bancaire sous la houlette du capital financier. Ce qui résout la contradiction entre les différentes fractions du capital en se dissolvant dans une entité unique. Par conséquent,   ce sont surtout  les PME qui éprouvent  le plus de difficultés à  accéder au crédit à des conditions avantageuses étant donné le rapport asymétrique  qui existe entre les deux protagonistes à savoir le monde industriel et le monde financier.   D’où la pertinence et l’urgence de la création d’une  banque publique d’investissement dédiée essentiellement   aux  PME.

Related posts

Top