Migrer vers un nouveau mode de management du triptyque «Santé, Eau et Ecosystème»

L’une des grandes leçons de la crise du Covid-19

Par: Charafat Afailal*

Le monde a été sérieusement ébranlé par l’hécatombe du COVID 19, qualifié par bon nombre d’observateurs comme étant la crise du  siècle,  générant un bilan pondéreux tant sur le plan sanitaire que socioéconomique et géopolitique. Valeur d’aujourd’hui, la pandémie a infecté plus de 12 millions de personnes, dont plus de 500 000 y ont succombé, à travers le monde.

La crise sanitaire a fait  ressortir une réalité très basique mais souvent mise sous l’éteignoir : l’interconnexion harmonieuse de la santé, l’humain, l’animal et l’environnement. Ces quatre fondements de  l’écosystème contribuent à mettre en fonction le précieux équilibre planétaire, dont l’atteinte à l’une de ses composantes peut compromettre le bien-être de l’humain et de la planète, et conduire à des conséquences incertaines et parfois dévastatrices.

La crise du COVID-19, une résultante directe de la destruction abusive de l’écosystème,  via des pratiques de braconnage, très répandues d’ailleurs dans certaines parties du globe, a entrainé une pandémie inédite à laquelle  le monde fait face,  aujourd’hui.

Les Etats, à travers leurs différents services publics, se sont  mobilisés  pour braver cette guerre sanitaire sur les divers fronts : santé, sécurité, approvisionnement en produits de base.

Cependant, cette crise a connu une exception de taille. Chaque Nation n’a compté que sur ses propres capacités pour se ressaisir à moindre coût. Le principe de la solidarité nationale s’est avéré une pure illusion pour certains. Ce qui a repositionné le défi de la  souveraineté nationale comme une priorité et l’impératif de la placer en tête de nos préoccupations actuelles et futures.

One Water One Health

Par ailleurs, l’hygiène préventive, en tant que comportement, s’est avérée être une réponse frontale et efficace au COVID 19, dans le combat pour la prévention  et la lutte contre la propagation du virus. Le secteur  du triptyque Eau, Hygiène et Assainissement, connu par les organismes internationaux sous le nom de WASH (Water, Sanitation and Hygiene), détient un rôle primordial au niveau de la limitation de la propagation du virus au sein des espaces communautaires vulnérables et dans la réduction de sa transmission dans les foyers et les espaces abritant  des personnes touchées.

D’ailleurs l’initiative «One Water One Health», lancée par l’Organisation Internationale de l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), a remis les pendules à l’heure pour impulser la conscience des décideurs politiques, en liaison avec la forte dépendance des enjeux liés à l’eau, à l’alimentation et à la santé humaine.

Car l’accès à l’eau, à l’hygiène et  aux services d’assainissement demeure l’un des instruments de prévention du risque sanitaire contre plusieurs épidémies.

Fait connu et indéniable, le recours à une eau insalubre favorise le développement  et la transmission rapide des épidémies que ce soit à travers la consommation directe de cette eau ou via les aliments irrigués par cette ressource.

 Une nouvelle articulation Santé Eau et Ecosystème

La gouvernance des ressources en eau constitue, sans nul doute, un enjeu politique, économique et social pour les pouvoirs gouvernementaux et les organismes internationaux.     

Le mode de gestion des ressources hydriques prend en considération l’«inter-sectorialité» du secteur,  transcendant ainsi les frontières hydrologiques de cette ressource.

Les acteurs publics et privés étaient contraints de développer de nouvelles compétences pour mieux gérer le cycle de l’eau qui a connu et connaît  encore plusieurs mutations, avec de nouveaux défis imposés par la demande galopante et les impacts des changements climatiques.

Il faudra partir de la gestion intégrée des ressources au eau «GIRE» est un concept visant à développer une gestion coordonnée, décentralisée et participative des ressources hydriques. La finalité est de parvenir à l’approche Nexus «Eau-Énergie-Nourriture et Écosystèmes» imposée par les aléas climatiques, en tant que point nodal, pour tenir compte des interdépendances avec d’autres secteurs, dans une logique intégrée d’allocation et d’utilisation des ressources assurant la sécurité́ hydrique, énergétique et alimentaire. Sachant que les gestionnaires du cycle de l’eau, publics et privés, étaient forcés d’adapter l’architecture institutionnelle du secteur et son mode de gouvernance.

Il faudra dire que la gestion de cette crise sanitaire a été porteuse d’enseignements et a mis en évidence la forte interaction du secteur de la santé publique, avec le secteur de l’eau et notre écosystème. Cette évidence nous oblige à mener des réflexions beaucoup plus profondes pour asseoir une convergence plus solide entre ces secteurs et revisiter  leur mode de gouvernance.

Car une politique de santé, nationale plus soutenable économiquement, socialement et écologiquement, ne pourra pas être accomplie que si les dimensions précitées sont au menu principal de ses stratégies et de ses plans d’action. Les défis du développement durable et la sauvegarde de l’écosystème sont la condition sine qua non de la survie humaine. C’est ce nouveau «Nexus» qui a  émergé en tant que vérité incontournable.

Notons, également, que la coordination entre le secteur de la santé et le secteur de l’eau particulièrement n’est pas une chose nouvelle. Maints services de la santé publique sont interpelés à intervenir directement ou indirectement dans la gestion du cycle de l’eau et siègent même dans les organes de gouvernance nationaux et locaux. 

En effet, plusieurs aspects de gestion des ressources hydriques font l’objet  de l’intervention et/ou de l’avis des services de la santé publique, dont notamment :

  • Le contrôle de la qualité des eaux distribuées par les différents opérateurs qui sont destinées à la consommation humaine,
  • • L’octroi des dérogations en cas de non conformité aux normes de qualité pour certains paramètres ne portant pas préjudice à la santé humaine et dans l’absence d’une autre ressource alternative ;
  • • Les programmes de  lutte et de prévention de certaines les maladies hydriques.

Par ailleurs, l’une des leçons à retenir par ce fléau planétaire est la nécessité de migrer vers un nouveau mode de coordination et de synergie imposé par l’émergence de ce nouveau Nexus «Santé Eau et Ecosystème».

Pour y parvenir, je citerai quelques pistes de réflexion :

Management de risque aux réseaux publics

De part la complexité  de la chaine de gestion du cycle de l’eau, les principaux opérateurs sont appelés à opter pour une approche globale de gestion de risque appliquée à toute la chaîne de valeur en intégrant des risques non traditionnels ;

La gestion du risque doit concerner également les réseaux des eaux usées qui sont connus pour être un éventuel vecteur de transmission du virus. Dans ce sens, l’Organisation Mondiale de la Santé  a élaboré un guide  pratique décrivant les mesures à suivre pour éviter la transmission de virus dans les réseaux d’eau potable  et des eaux usées.

Maitrise des connaissances scientifiques

 L’un des messages clé de cette crise sanitaire est que la souveraineté des Etats ne dépend pas uniquement du pouvoir mais passe également par leur indépendance en terme de compétences scientifiques et techniques. Les pouvoirs publics sont appelés, aujourd’hui plus que jamais, à une revalorisation de la recherche scientifique et technique et des chercheurs.

Par ailleurs, Il serait opportun de penser à  la promotion du cadre institutionnel dédié à la recherche et au développement des connaissances scientifiques pour une maitrise plus profonde des interactions entre la santé humaine et l’écosystème.

Pour une approche éco-systémique de la politique de santé

L’actuelle crise a imposé aux décideurs politiques de la santé le changement de paradigme et exigé le développement des approches holistiques de management des crises sanitaires  où l’intégration de la dimension environnementale est au cœur de la sécurité sanitaire des nations.

Il est clair que la gestion de crise ne doit pas  s’attaquer uniquement à ses effets, mais aussi à la recherche d’une parfaite compréhension et maîtrise des liens entre  crises sanitaires et crises environnementales.  Cela doit s’appliquer sur tout le process de management de crise, depuis la détection, la prévention, le contrôle, la maîtrise et l’atténuation de la maladie, quelle que soit son ampleur. In fine, il faudra insister encore pour que les plans de réponse tiennent compte des conditions environnementales des populations, dont notamment l’accès aux services de base (eau, assainissement, services d’hygiène, gestion de déchets …).

*Experte en eau et climat
*Ancienne ministre chargée de l’eau

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