Au lendemain de l’accident ferroviaire du 17 février dernier ayant fait 6 morts et 14 autres blessés à Tanger, le Roi Mohammed VI avait ordonné de diligenter une enquête. Outre celle qui a été ouverte par les services de police sous la supervision du parquet compétent, une commission conjointe formée par les ministères de l’Intérieur et de l’Equipement a été chargée de mener une enquête administrative globale au sujet de cet accident. Une enquête qui semble finalement tombée à l’eau, selon des indiscrétions en provenance de l’Office national des chemins de fer (ONCF).
D’après une source bien informée, «le stress et la tension qui régnaient dans les rangs des responsables de l’Office ont baissé». Et pour cause, «au niveau de l’enquête diligentée conjointement par les départements de l’Intérieur et du Transport, on laisse entendre que l’ONCF n’est pas tout à fait fautif», indique une source digne de foi.
Les responsables de l’ONCF sur le fil du rasoir
Celle-ci soutient que «les informations en provenance des enquêteurs font état d’une responsabilité minime de l’ONCF». «La responsabilité de l’office n’est donc pas totalement avérée».
Ceci étant, les responsables, que ce soit du haut management de l’office ou encore les responsables régionaux impliqués directement demeurent, en revanche, toujours dans l’expectative. «Il y a toujours des attentes, mais grosso modo, les gens deviennent de plus en plus sereins et optimistes au sein de l’administration», affirme la même source.
Une affirmation qui pousse à s’interroger : «est ce que l’affaire se dirige vers l’enterrement ?» A cette question, sur la défensive, un haut responsable de l’ONCF, sous le sceau de l’anonymat, a déclaré que «personne ne peut répondre à cette question».
«Au niveau technique, ils ont fait ce qu’il fallait malgré le fait qu’il y avait un passage à niveau qui n’était pas gardé. Normalement, il y avait un équipement qui devrait être actionné automatiquement, mais qui n’a pas fonctionné au moment de l’accident», a-t-il expliqué.
Cependant, les affirmations de ce responsable se heurtent à des faits avérés. Au moment de la collision entre le trainde marchandises reliant Tanger au port Tanger Med et le véhicule de transport de personnel, il n’y avait pas de panneau de signalisation.
Une défaillance qui ne peut être imputée qu’à l’ONCF qui a cherché à maquiller la scène du crime en s’empressant de mettre en place les panneaux de signalisation manquants.Une intervention immortalisée par des vidéos amateurs qui ont fait le buzz sur les réseaux sociaux. «C’est la seule «connerie» qu’on peut imputer à l’ONCF», se désole ce haut cadre joint par Al Bayane.
L’ONCF responsable en tant que «gardien de la chose»
Joint par Al Bayane, l’ancien bâtonnier d’Agadir, Me Abdellatif Ouammou, nous a expliqué, à ce propos, que théoriquement «la responsabilité du fait des choses est une responsabilité sans faute prouvée, dans la mesure où tout dommage causé par une chose doit être réparé par celui qui en a la charge».
Bien qu’il ait insisté sur le fait que «la recherche de la faute dépend des circonstances de l’accident», Me Ouammou n’a pas manqué de souligner que« la victime bénéficie d’une présomption. A savoir que dès lors qu’une chose est intervenue matériellement dans la réalisation du dommage –absence de panneaux de signalisation dans notre cas-, la victime n’a pas à apporter la preuve que juridiquement cette chose est à l’origine du dommage. Elle n’a pas non plus à prouver que son gardien a commis une faute».
«Il y aussi la relativité de l’erreur», tient à rappeler Me Ouammou, «on doit voir si la victime est responsable d’une manière ou d’une autre d’une partie ou totalement de l’erreur».
Concernant la responsabilité du gardien de la chose (ONCF), l’ancien bâtonnier d’Agadir a expliqué que s’il s’avère que celui-ci a causé le dommage, il ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité par la preuve de son absence de faute. Il n’y a que la preuve d’un cas de force majeur ou d’une cause étrangère qui peuvent l’exonérer.
Considérant que l’ONCF va tout naturellement se défendre, Me Ouammou a précisé que «la victime doit prouver que l’Etat a failli à ses engagements et ses devoirs en ce qui concerne les risques, c’est-à-dire s’assurer de la mise en place de tous les dispositifs permettant sa protection contre les risques liés à la conduite des locomotives dans le cas présent».
Dans la même veine, notre source affirme en se référant à la théorie des risques que «l’Etat doit prouver qu’il a tout fait pour éviter le dommage causé».
Qu’en est-il de la prévention des risques?
Le gardien (ONCF) ayant le pouvoir d’usage, de direction et de contrôle de la chose doit prouver qu’il a fait tout ce qui était nécessaire afin d’empêcher le dommage.
En se basant sur la même théorie des risques, «l’ONCF se trouve dans l’obligation de mettre en place les derniers équipements de prévention des risques en date», insiste à dire notre interlocuteur.
A souligner dans ce sillage que la jurisprudence marocaine a des précédents dans le cadre de la mise en œuvre de la responsabilité du fait des choses concernant les accidents du train, notamment l’arrêt de la Cour de Cassation numéro 1052 en date du 28/12/2012 dossier n°494 du 01/03/2010 relatif à l’indemnisation des victimes. Cet arrêt a, pour rappel, mis en œuvre la responsabilité de l’ONCF en tant que gardien des choses.
Par ailleurs, l’atmosphère angoissée règne toujours au sein de l’office. D’après notre source, hormis le management de l’office relativement soulagé après les «bonnes nouvelles en provenance de la commission d’enquête», les autres responsables régionaux sont tous sur le fil du rasoir.
«Certains directeurs, notamment, celui chargé des passages à niveau et celui des infrastructures et circulation sont tellement stressés qu’ils ont pris des congés», indique-t-on dans les couloirs de l’Office dirigé par Rabii Khlie.
Rappelons que le porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi, avait affirmé au lendemain de l’accident tragique que «des sanctions seront prises contre quiconque aurait causé ce drame par manquement ou négligence, un drame qui rappelle la problématique de la sécurité des passages à niveau à travers le Royaume».
Mohammed Taleb