Mohamed Zine Eddine: «Il faut réformer la gouvernance du Parlement»

Mohamed Zine Eddine, professeur du droit constitutionnel souligne dans cette entretien qu’une lecture objective  de la Constitution nous montre qu’il y ait  une  distribution intelligente des pouvoirs, et ce  en procurant une grande marge d’action à l’institution du gouvernement et celle du Parlement, tout en préservant une présence centrale de l’institution monarchique dans le jeu politique. Malheureusement, pour lui, certains acteurs politiques n’ont pas faire preuve d’ingéniosité en matière d’interprétation démocratique du texte constitutionnel.

Al Bayane: depuis l’indépendance, le Maroc a connu plusieurs réformes constitutionnelles et  on a l’impression que les règles du jeu politique se fixent en dehors de la loi suprême du pays. Comment analysez-vous un tel constat?

Mohamed Zine Eddine: Il faut d’abord souligner que le document constitutionnel n’est que l’incarnation des rapports de forces entre les acteurs politiques concernés. Cette règle s’applique à tous les Etats du monde sans exception. La Constitution 2011 ne déroge pas à cette règle universelle.  Cependant, il faut reconnaitre que la Constitution 2011 demeure un document très avancé par rapport à l’ensemble des Constitutions précédentes, en consacrant plusieurs dispositions des droits politiques, économiques et sociales. Il s’agit d’une transition des «Constitutions des programmes» à une «Constitution de droits», comme disait l’éminent politologue et constitutionaliste  Maurice Duverger. Or, le véritable problème consiste dans le fait que «l’acteur politique», en l’occurrence les partis, n’ont pas été en mesure de suivre cette tendance et plusieurs articles sont restés inappliqués jusqu’à nos jours.

Autrement dit, «l’acteur politique»  est resté  prisonnier d’une interprétation implicite des dispositions constitutionnelles ou en ayant recours à une application approximative. En termes plus clairs, une bonne application du texte constitutionnel  est tributaire à la fois du contexte et  des acteurs  politiques censés véritablement  porter le projet constitutionnel. Malheureusement, «on ne change pas une société par décret», comme disait Michel Crozier.

Qu’en est-il de l’institution monarchique?

Il faut dire que l’institution monarchique a fait preuve d’exemplarité irréprochable en matière de respect des dispositions constitutionnelles tant bien au niveau de la forme que du fond. L’institution royale a toujours intervenu dans le champ politique en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi suprême du pays.  Lorsque l’ancien SG du Parti Istiqlal, Hamid Chabat, ait sollicité l’arbitrage royal dans une affaire purement inter-partisane, SM le Roi a veillé à prendre ses distances, étant donné que son intervention ne pourrait avoir lieu que lorsqu’il s’agit de garantir la pérennité et la continuité de l’Etat… Idem lorsqu’il s’agit de la promulgation de la loi dans les trente jours qui suivent la transmission au gouvernement de la loi définitivement adoptée. Jamais un retard n’a été enregistré concernant l’application de cette règle juridique. Le même constat s’applique parfaitement sur le déroulement des réunions du  Conseil ministériel, qui sont  tenues de manière régulière. Par ailleurs, les autres acteurs n’ont pas faire preuve d’une certaine ingéniosité en matière d’interprétation démocratique du texte constitutionnel.

N’estimez-vous pas que la problématique de la séparation du pouvoir se pose encore dans le système politique marocain?

Une lecture de la Constitution 2011  nous montre qu’il y ait  une  distribution intelligente des pouvoirs, en procurant une grande marge d’action à l’institution du gouvernement et celle du Parlement, tout en préservant une  présence centrale de l’institution monarchique dans le champ politique (l’institution, de la commanderie des croyants, la nomination aux emplois militaires et diplomatiques…). S’agissant du Parlement, le domaine de la loi élargi à 30 matières, contre une dizaine en 1996. A cela s’ajoute, les 26 lois organiques prévues par le texte constitutionnel. Ce qui constitue un énorme pas en avant. En plus,  les attributions de l’institution parlementaire ont connait une grande évolution aussi bien au niveau de  l’évaluation des politiques publiques qu’au niveau de la diplomatie parallèle. De surcroit, «la Constitution a garantit à l’opposition parlementaire un statut lui conférant des droits à même de lui permettre de s’acquitter convenablement de ses missions afférentes au travail parlementaire et à la vie politique». Cependant, ces attributions n’ont pas été pleinement exploitées par les représentants de la nation. Il est regrettable qu’à chaque session parlementaire, on produit  à peine et ce dans le meilleur des cas, 40 textes de lois, sans omettre que  la qualité de la rédaction  des textes juridiques,  laisse souvent à désirer.

Or, le lexique juridique relève d’un langage affirmatif et non pas littéraire… Pour répondre à votre question,  une séparation rigide du pouvoir n’existe dans aucun Etat, y compris les pays qui sont ancrés dans une tradition démocratique. Je fais allusion, dans ce sens au système politique américain où la Constitution reconnait au plan théorique  une séparation rigide entre les pouvoirs,  mais au niveau de la pratique,  il y a ce que l’on désigne par «Checks and balances», c’est-à-dire une séparation souple des pouvoir.  A titre d’exemple, Congrès dispose de  (impeachment), c’est-à-dire cette instance a l’habileté de déclencher  une procédure de destitution du président. De son côté, le président dispose de la faculté d’influencer l’agenda législatif en recourant au droit de veto pour empêcher l’adoption d’une loi.

Comment évaluez-vous l’action du Parlement et peut-on dire que le rôle de cette institution consiste à subir l’action du pouvoir exécutif?

Il existe plusieurs facteurs qui entravent le développement de l’action parlementaire. Ainsi,  les partis politiques sont appelés à renouveler leurs élites politiques en sélectionnant des candidats compétents, capables de répondre aux attentes des citoyens.  En Allemagne, 90% des membres du Bundestag  sont titulaires d’un doctorat en droit et en économie. Ils produisent 250 textes juridiques à chaque session parlementaire. Ce qui est d’ailleurs énorme par rapport à la production du Parlement marocain. D’autres facteurs objectifs peuvent également expliquer la non-performance des membres du Parlement et qui sont liés à la nature du mode de scrutin ou encore à ce que l’on désigne par «la rationalisation du parlementarisme»,  inspirée de l’Hexagone. Par ce concept, on entend   la mise en place des mécanismes pour diminuer  l’emprise du Parlement sur l’action gouvernementale. Le but escompté est celui d’aboutir à un fonctionnement plus efficace de l’exécutif. Par exemple au Maroc, au cas où les représentants de la nation dépasseraient les délais convenus pour l’adoption de la loi des finances, le gouvernement pourrait se permettre de promulguer des décrets pour exécuter cette loi,  avec comme motif  la continuité du service public.

D’autres facteurs pouvant expliquer la faiblesse du rendement législatif sont tributaires des considérations d’ordre communicationnel entre l’institution parlementaire et l’univers académique et le manque de l’effectif nécessaire pour remplir convenablement sa mission. En fait, il serait aberrant que la  Commission de justice, de législation et des droits de l’homme fonctionne seulement avec  quatre fonctionnaires. L’heure est à la mise en place d’une bonne gouvernance parlementaire où la performance est le mot d’ordre.

Supprimer le  bicaméralisme ne serait pas, selon vous,  une  panacée idéale pour réformer l’institution législative?

Le système bicaméral a des forces et des faiblesses. Son point fort consiste à élargir l’élite politique. La Chambre des représentant n’est un pas un fourre-tout et le Maroc a fait le pari de la régionalisation et a tout intérêt à ne pas supprimer la Chambre des Conseillers. Mais, le véritable hic, c’est que l’élite économique est représentée par tout que ce soit que dans la chambre des Conseillers ou des députés et ce  à tire individuel ou sous la bannière d’une organisation patronale ou politique; Cela soulève la problématique de la représentativité  politique du citoyen lambda. La deuxième chambre doit être considérée comme un partenaire de choix dans l’action législative en vue d’une amélioration qualitative des textes juridiques. Cependant, le manque de synergie et de cohérence entre les deux chambres, reléguant au second plan ce que l’on désigne par «la navette parlementaire» en tant qu’outil de transmission et l’examen successif d’un projet ou d’une proposition de loi. D’où l’urgence de la du règlement interne de l’institution législative. Grosso modo, il s’agit d’un problème managérial de grande envergure.

Khalid Darfaf

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