Quelle agriculture pour un développement inclusif?

Forum du PPS sur l’agriculture

Quelle agriculture pour un développement économique inclusif ?être le sens, a affirmé Abdeslam Seddiki, membre du Bureau politique du Parti du progrès et du socialisme et ancien ministre, qui assurait, jeudi soir à Kénitra, la modération d’un forum de débat sur le thème : Quelle agriculture pour un développement économique inclusif ?   Cette rencontre est organisée par le Bureau politique du PPS en coordination avec la section provinciale de Kénitra dans le cadre des forums programmés en prévision de l’élaboration de la contribution du parti au projet du nouveau modèle de développement, conformément à l’appel de Sa Majesté le Roi,  a rappelé le modérateur.

Ismail Alaoui : Les statistiques officielles sur l’agrégation sont en contradiction flagrante

ISMAIL ALAOUI : LE PMV un plan unijambiste

Prenant la parole, Ismail Alaoui, président du Conseil de la présidence du PPS et ancien ministre de l’agriculture, a souligné la signification de cette rencontre, estimant qu’il est temps de procéder à l’évaluation objective du PMV, pour en saisir les réalisations au profit des habitants et les contraintes et procéder ainsi aux ajustements nécessaires. Et ce dans l’objectif ultime d’être au service de l’homme marocain, a-t-il dit.

Il a fait observer dans ce cadre que 13 à 14 millions de Marocains vivant en milieu rural exploitent quelque 9 millions d’hectares de la superficie agricole utile (SAU) et que la déforestation a permis la mise à disposition de quelque 4 millions d’hectares.

En d’autres mots, les ruraux sont confrontés à une crise aigüe consécutive à la rareté des terres agricoles depuis les années 70, à laquelle s’ajoutent les aléas climatiques et la qualité des sols, a-t-il dit.

Chaque exploitant n’a à sa disposition en moyenne que 0,6 Ha. Ce qui signifie qu’une famille de 10 membres n’exploite que 6 Ha. Ce qui est insuffisant pour leur permettre de s’assurer une vie décente, a-t-il affirmé.

C’est pourquoi, il est permis d’avancer que les zones rurales et agricoles représentent des foyers de tension pouvant exploser à tout moment sous l’effet d’une période de sécheresse ou pour d’autres raisons, a-t-il affirmé.

Quant à l’autre problème qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que les zones rurales abritent un surplus de 6 ou 7 millions d’habitants sans occupation qui n’attendent que l’occasion pour émigrer vers les villes pour fuir par exemple les effets dévastateurs de la sécheresse.

La responsabilité de cet exode rural est à attribuer non seulement au seul ministère de l’agriculture, mais également à l’ensemble du gouvernement dont le ministère de l’aménagement du territoire national et de la politique de la ville, a-t-il ajouté.

Pour le gouvernement, les soi-disant centres urbains émergents seraient en mesure d’accueillir les nouveaux venus et alléger la pression sur les grandes métropoles. Mais le problème de ces centres, c’est qu’ils manquent d’infrastructures de base pour assurer aux habitants les services sociaux les plus élémentaires (santé, enseignement, etc.).

En l’absence donc d’une autre solution, ce sont les bidonvilles qui absorbent les flux de l’exode rural, a-t-il laissé entendre. Depuis son lancement en 2004, le programme de villes sans bidonvilles a couté à l’Etat quelque 32 milliards de Dirhams. Ce qui montre l’effort déployé par le pays, a-t-il affirmé, notant que cela n’a pas abouti à résoudre entièrement le problème, qui persiste.

Autrement dit, il est nécessaire de doter les centres urbains émergents des équipements de base indispensables (santé, enseignement, etc.) pour qu’ils puissent jouer le rôle dont parlent les pouvoirs publics, a-t-il indiqué.

Et Ismail Alaoui de s’interroger sur le rôle qu’aurait joué le PMV pour satisfaire les besoins des quelque 13 ou 14 millions de ruraux qui n’ont à leur disposition que 1,5 million d’hectares d’exploitations, sachant qu’une grande partie d’entre eux sans terre s’adonne à des activités réduites d’élevage en exploitant les bords le long des routes, alors qu’une autre partie émigre vers les centres urbains pour s’ajouter aux masses nombreuses des vendeurs ambulants qui peuplent les trottoirs des rues et artères à l’intérieur des villes.

PMV : une exonération fiscale toujours «inexplicable»

A son départ, les initiateurs du PMV tablaient sur l’existence d’une agriculture dualiste : moderne et «traditionnelle ». Dans leur esprit, ils comptaient sur le premier secteur moderne pour atteindre leur objectif. Ce qui s’est malheureusement traduit par la négligence de l’agriculture « traditionnelle » au moment où l’agriculture moderne a bénéficié d’un intérêt particulier et surtout d’une exonération fiscale «inexplicable ». Son imposition est reportée d’année en année pour des raisons peu convaincantes, a-t-il ajouté.

Cette agriculture, concentrée dans les périmètres irrigués, ne règle même pas, dans des cas, les factures des eaux qu’elle consomme, sachant que le prix de l’eau d’irrigation est relativement bas au Maroc.

Quant à l’agriculture « traditionnelle » qui concerne la majorité de la population rurale, elle est très peu mécanisée, même si elle utilise quelques techniques de labour, de pesticides et de fertilisants.

Selon lui, cette branche n’a rien de traditionnelle. Elle n’a rien à voir aussi avec l’agriculture solidaire, à laquelle le PMV consacre son pilier II et un dixième (1/10) seulement  des fonds accordés au pilier I (agriculture d’exportation). Quant à la solidarité dont parle le PMV, elle n’existe que dans l’esprit des rédacteurs.

Les gros exploitants ne cherchent pas à assister ou venir en aide aux petits paysans. Seul le gain les intéresse, a-t-il martelé.

L’agrégation est une utopie

Tabler sur l’agrégation pour améliorer les conditions de travail et de vie des petits exploitants relève tout simplement de l’utopie, a-t-il expliqué.

Pour s’en sortir, il est nécessaire de réviser cette classification avant qu’il ne soit tard.

Et Ismail Alaoui de soulever à ce propos un autre problème relatif à la crédibilité des chiffres annoncés au sujet des bénéficiaires des opérations d’agrégation.

Il a révélé être en possession d’un document émanant d’une source officielle dont les chiffres ne concordent pas avec ceux rendus publics dans le projet de loi de finances au titre de 2019.

Des contradictions flagrantes…

Selon le premier document, a-t-il indiqué, 60 projets d’agrégation seulement ont été réalisés : 47 en matière de production végétale et 13 en matière de production animale.

Ils ont profité à 49.000 personnes sur 150.000 Ha sur une superficie totale de 9 millions d’hectares.

Quant aux chiffres contenus dans le PLF 2019, ils indiquent que l’agrégation a porté sur 813 projets d’un cout de 18 milliards de Dirhams et bénéficié à 812.000 paysans sur 1,5 exploitants. Ils avancent aussi la superficie de 267.000 Ha.

Selon Ismail Alaoui, l’on ne peut que rester perplexe devant une telle discordance des chiffres officiels qui rendent la tâche difficile aux chercheurs.

Pour s’en sortir, le conférencier a appelé à la révision globale de tout ce qui se fait jusqu’à présenter au niveau de la campagne marocaine, quitte à revenir à d’anciennes procédés utilisés avec succès par les anciens centres de mise en valeur agricole en matière de vulgarisation et d’encadrement des paysans, surtout que le PMV n’a pas réussi à faire émerger une classe moyenne, que les pouvoirs publics veulent développer.

L’on a ainsi entendu que l’on va procéder à la redistribution des terres (dont l’origine est indéterminée) pour aider à la naissance de cette classe moyenne, passant sous silence les problèmes liés aux terres collectives et autres.

L’on doit aussi avoir à l’esprit que la redistribution de ces terres ne va jamais mettre fin aux problèmes du mode rural, sachant que les nouveaux bénéficiaires seront obligés dans quelques années à brader leurs parts aux gros propriétaires et prendre le chemin de l’exode.

Pour assurer à une telle opération des conditions de réussite, il est nécessaire d’aider à la création de nouvelles coopératives agricoles sur des bases démocratiques sans oublier de venir en aide aux paysans au niveau de l’encadrement et de la formation et surtout en matière de lutte contre l’alphabétisme.

Abdeslam Seddiki : Il faut évaluer  le bilan décennal du PMV

La démocratie ne se construit pas avec l’appauvrissement

Il a fait savoir que PPS s’est doté depuis son dernier congrès national d’une nouvelle thèse et a déjà consacré à la question du nouveau modèle de développement son université annuelle 2018, notant que l’étude du parti sur la réforme agraire des 20 et 21 novembre 1980 reste toujours d’actualité.

Selon Seddiki, l’évaluation du bilan du PMV est un impératif, sachant que ce programme sectoriel n’a pas répondu à toutes les attentes du pays en matière notamment de sécurité alimentaire, notion qu’il ne faut pas confondre avec autosuffisance alimentaire. Il n’a pas non plus permis l’émergence d’une classe moyenne dans les campagnes, a-t-il dit, notant que le fossé s’est creusé davantage entre agriculture moderne (pilier I) et agriculture traditionnelle (pilier II), baptisée de « solidaire » par le PMV.

Pour le PPS, a-t-il dit, la vision qu’il développe à propos du nouveau modèle de développement, repose sur cinq piliers :

– la première place l’homme au cœur de tout œuvre de développement,

– le deuxième souligne la nécessité d’assurer un développement rapide et durable,

– le troisième rappelle le besoin pressant de la bonne gouvernance de toute l’œuvre et la nécessité d’améliorer le climat des affaires à travers la mise en œuvre notamment du principe de la reddition des comptes,

– le quatrième indique qu’il faut prendre en compte les facteurs économiques et non économiques dans cette opération (comme l’a souligné feu Aziz Belal) ,

–  le cinquième est relatif à la promotion de la démocratie, car il ne peut y avoir de développement sans démocratie et il ne peut y avoir de démocratie sans développement.

En matière de démocratie, il faut aller le plus loin possible, car la démocratie ne se construit pas avec l’appauvrissement, a expliqué Pr. Seddiki.

Ahmed Belhamed : l’abandon de la réforme agraire et la priorité à l’irrigation

Pour sa part, l’économiste Ahmed Belhamed a traité dans sa contribution de la sécurité alimentaire que les Etats sont désormais tenus de garantir à leurs citoyens, en application de l’article 25 de la déclaration universelle des droits de l’homme.

L’alimentation est un droit qu’il faut assurer à tout citoyen, a-t-il dit, notant que le Maroc est  lui aussi passé du concept de l’autosuffisance à la sécurité alimentaire.

Il a rappelé que la population rurale est estimée à 14 millions d’habitants dont 60 pc d’analphabètes et qui n’ont à leur disposition que 13 ou 14 % de la SAU.

La SAU, a-t-il rappelé, est composée des terres arables (grande culture, cultures maraîchères, cultures permanentes, les cultures fourragères, prairies artificielles…), surfaces toujours en herbe (prairies permanentes, alpages), cultures pérennes (vignobles, vergers…).

Il a fait état des réalisations accomplies dans le cadre du développement du monde rural (électrification, désenclavement et voies de communication et routes, etc.), soulignant que les pouvoirs publics ont tablé au départ sur l’irrigation pour résoudre tous les problèmes de l’agriculture marocaine.

Il a également passé en revue les aléas naturels et climatiques, précisant que le réchauffement climatique porte également un coup dur aux capacités agricoles du pays, selon la Banque mondiale.

Il a indiqué aussi que les efforts ont permis l’irrigation de plus d’un million d’hectares.

Quant à la politique agricole poursuivie, elle a donné la priorité dès le départ à l’irrigation, ce qui a permis la couverture de certains besoins du pays en sucre, fruits et légumes, viandes et lait en provenance surtout des périmètres irrigués, alors que les autres terres agricoles non irriguées sont marginalisées.

Il a également indiqué que les pouvoirs publics ont tourné tôt le dos pour ce faire à la réforme agraire, aggravant ainsi la situation du secteur dit traditionnel dont la production reste tributaire des aléas climatiques.

Abdelaziz Aouiche prône le travail déclaré dans l’agriculture

Quant à Abdelaziz Aouiche, ancien directeur provincial de l’emploi, il a traité du thème des « rapports de travail dans l’agriculture », faisant remarquer que le secteur agricole fait appel en gros à des travailleurs saisonniers, recrutés le plus souvent sans contrat de travail.

Après avoir passé en revue la situation de l’emploi dans plusieurs cultures (fraise, framboise, arbres fruitiers et autres) il a appelé à l’application du travail déclaré et à la déclaration des travailleurs dans la Caisse nationale de sécurité sociale.

Un riche débat a ponctué cette rencontre à laquelle ont pris part plusieurs étudiants et paysans venus de toutes les régions du Gharb. Elle a été aussi marquée par la présence du Secrétaire général du parti Mohamed Nabil Benabdallah, de membres du BP et du CC et de plusieurs autres militants du PPS.

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