Figuig sous Tension
Par : Mohammed Messaoudi
Perle de l’Oriental, oasis millénaire et gardienne de l’Eau
Nichée au cœur de l’Oriental marocain, Figuig se présente comme un joyau enchanteur où l’oasis millénaire tient le rôle fidèle de gardienne des traditions ancestrales. Ornée de palmiers majestueux et de Ksour traditionnels, Figuig raconte une histoire singulière intimement liée à l’eau, cette ressource coulant dans les veines mêmes de la cité.
Les eaux souterraines, véritable trésor enfoui sous le sol aride, jouent un rôle vital dans la vie quotidienne de Figuig. Elles alimentent les activités agricoles et d’élevage tout en assurant un approvisionnement en eau potable pour l’unique oasis. Au-delà de leur aspect pratique, ces eaux sont le témoin d’une relation profonde entre l’oasis et ses ressources naturelles, une connexion transcendant le simple besoin physique pour devenir une partie intégrante de l’identité et de la culture figuiguiennes.
Au fil des générations, les habitants de Figuig ont développé des connaissances uniques et des techniques sophistiquées pour gérer l’eau de manière équitable et durable. Le système des « Khatarat » témoigne de cette ingéniosité, formant une toile complexe d’irrigation qui nourrit la terre de manière harmonieuse. De plus, la gestion démocratique de l’eau par le biais des Djemaa et des « S’Raifiyya » (aiguadiers responsables de la surveillance de la distribution d’eau) reflète un modèle de gouvernance local où la population participe activement à la préservation de ses précieuses ressources.
Les Eaux Troublées de Figuig : Politique et Protestation
Depuis le 1er novembre 2023, Figuig, joyau millénaire de l’Oriental, est plongée dans une agitation profonde, résultant de la décision controversée du Conseil Communal d’intégrer la Commune au Groupe des Communes Territoriales de l’Oriental et de céder la gestion de l’eau potable à la Société Régionale Multiservices, le Groupe de Distribution Al-Sharq.
Cette transition s’inscrit dans le cadre de la loi 83.21, envisageant la création de Sociétés Régionales Multiservices à l’échelle des douze régions du Royaume. Ces entités auront pour mission la gestion d’eau potable, de l’électricité, de l’assainissement liquide et de l’éclairage public, sous réserve de la validation des communes concernées. Cette approbation serait suivie de l’établissement d’un contrat détaillant les modalités de gestion, instaurant un cadre opérationnel limité dans le temps.
Le Conseil Communal a réagi lors de sa session extraordinaire du 26 octobre 2023 en rejetant à l’unanimité l’intégration à Al-Sharq. Cependant, l’étonnement a saisi Figuig six jours plus tard lors d’une deuxième session extraordinaire. Le vote, initialement marqué par un refus unanime, a pris une tournure surprenante en se transformant en une approbation majoritaire de 9 voix contre 8. Cette volte-face a plongé la population dans un état d’incertitude et de mécontentement quotidien.
Les rues de Figuig sont devenues le théâtre d’une contestation vivace, avec des sit-in, des manifestations bruyantes, des défilés à vélo, en camion, et des marches pédestres, rythmant la vie quotidienne de la cité. Cependant, c’est la manifestation du 26 janvier 2024 qui a marqué un tournant significatif.
Environ un millier de femmes, vêtues de haïks immaculés, ont métamorphosé les rues de la ville en une mer de détermination et de pureté. Le choix symbolique du blanc, imprégné d’innocence, résonne avec la tradition des femmes de Figuig. Telles des colombes, elles arborent cette teinte, véhiculant un message universel de paix à travers leur présence dans cette manifestation d’envergure.
Les banderoles brandies lors de cette marche proclamaient des slogans vibrants : « Les résidents de Figuig s’opposent à l’accord de cession de la gestion de l’eau potable à la Société de Distribution Al-Sharq » et « L’eau de l’Oasis de Figuig est une ligne rouge ! NON à la Société de Distribution ! », exprimant les préoccupations profondes de la population quant à la gestion de l’eau potable dans leur oasis.
Ces femmes, organisées et respectueuses de la loi, ont orchestré une manifestation d’une ampleur sans précédent. Arbres de la paix, elles ont porté des badges « Eau de Figuig n’est pas à vendre », scandant des slogans poignants. Leur marche, bien au-delà d’une simple contestation, est devenue un symbole puissant de la résilience figuiguienne. Elle appelle à une réflexion profonde sur la préservation des ressources essentielles et souligne la nécessité de respecter les aspirations des communautés locales. Dans ce tableau mouvant de protestation, Figuig écrit un nouveau chapitre, où les femmes, en blanc, deviennent les gardiennes de l’eau et les messagères de la paix.