Entretien avec Youssef Taoufik, chercheur à l’IRCAM
Propos recueillis par Moha Moukhlis
Pour Youssef Taoufik, chercheur à l’IRCAM, la littérature irrigue la langue continuellement et participe aussi à son épanouissement. Et dans ce sens, explique-t-il, nous pouvons noter le rôle joué par la nouvelle sensibilité littéraire chez les écrivains amazighes contemporains qui ont pu forger une langue littéraire fine et pure s’éloignant petit à petit de la langue orale utilisée dans le quotidien. Entretien.
Pour commencer, présentez-vous à nos lecteurs d’Al Bayane.
Youssef Taoufik: Je m’appelle Youssef Taoufik, je suis originaire de Zaio (province de NADOR), une petite ville où cohabitent deux tribus: l’une arabophone (Ouled Settout) et l’autre amazighophone (Kebdana). C’est là, où j’ai passé une grande partie de ma vie.
Je suis titulaire d’un baccalauréat en sciences maths et d’un Doctorat en littérature en 2015, portant sur : «La symbolique des contes amazighs à la lumière de l’anthropologie, la psychanalyse et de l’histoire des religions», dans lequel j’ai montré, à travers un corpus de quarante contes, la portée des contes amazighs reflétant la conception du monde des amazighs, s’appuyant sur un imaginaire vaste et fécond, qui n’est que l’imaginaire méditerranéen qui se nourrit des grandes mythologies babylonienne, grecque, romaine, voire islamique.
Quelle est votre appréciation de la recherche dans le domaine de la littérature amazighe?
La recherche dans le domaine de la littérature amazighe, a connu trois étapes essentielles.
La première, est celle de l’ère coloniale où les chercheurs étrangers, notamment français, ont fourni beaucoup d’efforts pour mettre les études littéraires amazighes sur les rails, dans les zones du centre et du sud, alors que nous constatons l’absence d’une politique coloniale espagnole qui s’intéresse au patrimoine culturel dans la région du nord. Les français ont travaillé sur la littérature et la langue (lexique, syntaxe, grammaire, phonologie) ; en confectionnant des dictionnaires des différents parlers, et aussi sur la collecte des corpus de la littérature orale. On peut noter également, leur travail incessant de synthèse malgré quelques préjugés non fondés qu’ils véhiculaient en tant que colonisateur. On peut citer les travaux d’Henri BASSET, DESTANG, BIARNAY, Émile LAOUST Arsène ROUX…
La deuxième partie, commence lors de l’émergence de la conscience amazighe, qui vise la revendication des droits culturels et linguistiques, à partir des années 70. Ceci grâce aux efforts fournis par les chercheurs universitaires, les militants et les cadres associatifs amazighes, afin de permettre à cette littérature essentiellement orale de passer vers l’écrit.
La troisième étape est relative à la reconnaissance officielle de la composante amazighe à partir du discours d’Ajdir,aboutissant à la création de l’Institut Royale de la Culture Amazighe. Cet événement revêt une importance majeure dans la dynamique des études amazighes. En effet, l’Institut, conformément aux missions qui lui sont assignées, à savoir la sauvegarde et la promotion de la culture amazighe dans toutes ses expressions, a initié le chantier de l’aménagement linguistique, celui de l’éducation en partenariat avec le Ministère de l’Éducation Nationale en fournissant tous les moyens nécessaires, qui serviront comme support pour l’enseignement au niveau du primaire. Sans oublier son travail dans les domaines de la recherche-action, fondamentale, sur la culture amazighe et les domaines y afférents. Le résultat est concrétisé par des dizaines de colloques, conférences et séminaires et surtout des centaines de publications portant sur la littérature amazighe.
Quelles missions sont dévolues à votre centre, au sein de l’IRCAM?
Dès sa création et conformément aux missions qui lui sont attribuées par le Dahir.
Le centre de CEAELPA (centre des études artistiques et expressions littéraires et de la production audiovisuelle) contribue à la collecte des corpus : soit par des travaux de terrains, ou par le biais des appels à candidatures à la collecte des corpus littéraires. Il participe aussi, à la promotion de la poésie orale par l’organisation annuelle d’une résidence des poètes, qui se clôture par la célébration de la journée mondiale de la poésie. On peut identiquement signaler, l’organisation de plusieurs conférences et colloque sur des sujets divers: comme L’Histoire de la littérature amazighe, La littérature amazighe (oralité et écriture), La manifestation de la culture amazighe dans les lettres et les arts au Maroc…Ces multiples activités font l’objet de publications.
On peut citer aussi le travail du centre dans le domaine de la promotion de l’art amazigh et l’accompagnement de la production audiovisuel par l’organisation de différentes activités et manifestations comme la résidence des artistes, journées de formation et ateliers dans (la photographie, le scenario…).
Que peut apporter la littérature à l’officialisation de l’amazighe?
La littérature comme étant un art qui représente la vie dans sa simplicité et sa complexité, sera au cœur de ce processus, vu son rôle dans l’éducation, dans l’enrichissement de la langue, dans l’élargissement du lexique et dans la traduction bien évidemment. En effet, la littérature irrigue la langue continuellement et participe aussi à son épanouissement. Et dans ce sens nous pouvons noter le rôle joué par la nouvelle sensibilité littéraire chez les écrivains amazighes contemporains qui ont pu forger une langue littéraire fine et pure s’éloignant petit à petit de la langue orale utilisée dans le quotidien. Nous pouvons aussi noter qu’une langue ne sera bien installée qu’avec une littérature riche qui la consolide par ses chefs d’œuvres, ses grands récits et ses travaux novateurs.
Sur quels projets travaillez-vous?
Je travaille sur la collecte des corpus oraux, notamment sur les contes populaires, et j’ai collecté dans ce sens, un corpus de 24 contes de la région du Rif. Je travaille aussi, sur la symbolique des contes. Un travail, qui verra le jour dans les semaines à venir. D’autres projets me préoccupent, notamment sur le roman amazighe et son rapport à la question de l’identité, de l’Histoire, de la société dans ses divergences, dans ses contraintes linguistiques, voire culturelles…
Votre dernier mot?
Tout d’abord, je vous remercie pour votre intérêt. Mon dernier mot ! Eh bien, Je souhaite à L’IRCAM de pouvoir réussir sa mission et de donner aux futures générations l’espoir de conserver un Maroc multiple, uni et fort.